Espaces publics: nouveaux usages, nouveau visage!

De plus en plus, l'espace public est envisagé en tant que tel, et non plus comme une zone de circulation ou secondaire. Au CREAT-UCLouvain (Centre de Recherche et d’Étude pour l’Action Territoriale), des chercheurs collaborant au sein de la Conférence Permanente du Développement Territorial planchent sur le sujet pour apporter des pistes de solutions et des recommandations. Cette recherche a été présentée à l'occasion du colloque annuel de la CPDT, le 12 décembre 2018 à l’Aula Magna de Louvain-la-Neuve.

 

Et si on retravaillait l'espace public ? Et si on lui donnait la qualité, la convivialité, la sûreté dont il a été trop souvent dépourvu ? Et si on traitait l'espace public comme une ressource plutôt que le résidu de tout ce qui s'est construit autour ? « L'espace public est encore régulièrement le parent pauvre de la composition des villes et des villages, regrette Bénédicte Dawance, chercheuse au CREAT-UCLouvain (Centre de Recherche et d’Étude pour l’Action Territoriale), pôle de référence en aménagement du territoire et en urbanisme. La conception des espaces publics chez nous manque de savoir-faire. On les considère souvent comme des abords ou un espace réservé aux circulations. »

« Or ils ont besoin d’être repensés en raison de nouveaux modes d’habiter (logements et jardins moins vastes, recherches de contacts sociaux, de convivialités, de loisirs…), de nouvelles mobilités, de nouvelles occupations temporaires et c’est le lieu où les pouvoirs publics ont une capacité à infléchir les choses, enchaîne Yves Hanin, professeur et directeur du CREAT. Aujourd'hui, on assiste à une petite révolution : on constate qu'il y a de nouvelles demandes, de nouveaux enjeux autour de l'espace public. Tout doit être réinvestigué, il faut voir comment, avec quels moyens et avec qui les concevoir et les gérer au quotidien. »

En Wallonie, les espaces publics sont trop souvent peu conçus afin de répondre aux différentes attentes.

Pour combler ce manque, Bénédicte Dawance et d'autres chercheurs travaillent sur l'élaboration d'un vade-mecum présentant des recommandations pour concevoir, aménager et gérer l’espace public dans le cadre de la CPDT (Conférence Permanente pour le Développement Territorial). Ce guide, commandé par la Wallonie, sera mis à disposition des Communes, des concepteurs, des designers urbains et de tout qui joue un rôle dans la conception de l'espace public et la gestion. Prévu pour mai 2019, il permettra de donner aux pouvoirs publics des clés de compréhension des nouveaux usages et attentes, mais aussi des bons modes de gestion, précise la chercheuse. L'espace public est le lieu du vivre-ensemble. Dans les villes et les villages, on a tendance à limiter les réflexions sur l’espace publics aux places et aux jardins publics et on en oublie très généralement simplement la rue ou les sentiers. Les petits espaces de la vie quotidienne des gens, comme les lieux d’attentes des transports en commun, de dépôts des vélos ou autres, les éléments pour pouvoir se reposer comme les bancs ou encore les toilettes publiques sont peu réfléchis. S’ils le sont c’est généralement de manière très découpées et fragmentées. Dans ce vade-mecum, cinq points sont mis en évidence : la configuration de l'espace public, le partage et les usages, l'écosystème, l'espace public en tant que lieu attractif, de bien-être, de paysage et d'identité, et enfin le processus de conception : il faut le revoir pour garantir une transversalité entre les outils et les interlocuteurs. »

 

Avec et pour les usagers

Il s'agit également de consulter voire d’impliquer les usagers de l'espace public, afin de répondre au mieux à leurs besoins. Ceux qui le traversent, ceux qui l'occupent mais aussi les sans-abris qui y habitent.

En parallèle, l'idée est aussi de faire le point sur le montage de projet et la gestion à venir : quelles sont les alternatives souhaitables et réalistes à celle d’actions unilatérales des pouvoirs publics ? Copropriétés, coopératives ou associations prennent de plus en plus de place dans le processus. « Louvain-la-Neuve offre une grande diversité et qualité d’espaces publics dont certains sont strictement gérés par les autorités municipales alors que d’autres ont été conçus et sont gérés par différents partenaires dont les associations ou les habitants, remarque Yves Hanin. On peut mettre en place un dispositif qui permette de réguler la question, trouver une place pour chaque usager. L'idée est que l'espace public soit in fine en partie géré par ceux qui l'utilisent. »

 

20 ans de travail et de réflexions

Cette recherche sur les nouveaux usages et nouvelles conceptions et gestions des espaces publics a été présentée lors du colloque annuel de la CPDT organisée le 12 décembre à Louvain-la-Neuve, parmi un panel d'autres réflexions, sur le thème « Des territoires d'hier, inventons ceux de demain ». Cet événement était pour la CPDT l'occasion de faire le bilan des résultats de recherches de ces 20 ans d'existence, d'évoquer les questionnements actuels et à dégager la prospectives du développement territorial en Wallonie pour les 20 prochaines années.

Créée par le gouvernement wallon, la CPDT repose sur accord de coopération adopté en 1998 entre la Région et l’interuniversitaire réunissant les universités de Louvain, Bruxelles et Liège, pour fédérer les centres de recherche actifs dans la partie francophone du pays. A l'UCLouvain, ce sont des chercheurs du CREAT qui l'ont intégrée. Chaque année, la CPDT mène des recherches mais aussi organise des formations sur des thématiques définies par la Région wallonne. Le volet formation est en effet également important puisqu’il assure la formation continue annuelle de quelques 240 conseillers en aménagement du territoire actifs dans les communes et d’une quarantaine de fonctionnaires régionaux. Cette formation est une réelle mise en commun des résultats de recherches et des compétences des acteurs de terrain. Elle permet des échanges constants entre universitaires, architectes, urbanistes, juristes, économistes, environnementalistes travailleurs de la fonction publique. Nombre d’anciens étudiants des programmes de master en urbanisme des trois universités ont intégré les équipes de recherches mais aussi ces postes au sein des collectivités territoriales et des bureaux experts nationaux et internationaux. Il y donc là un réel réseau et un développement du métier autour de la thématique territoriale. »

Les recherches et les formations sur les enjeux de la mobilité en lien avec l’urbanisme, de l'urbanisation du territoire, des nouvelles localisations des activités économiques, de supracommunalité dont les aires de coopérations métropolitaines et transfrontalières, de gestion territoriale de l'environnement sont récurrentes depuis 20 ans. Il y a une réelle capitalisation de connaissances et de compétences au sein de nos universités en lien avec la demande scientifique et sociale. La CPDT est aujourd’hui une sorte de modèle qui est reproduit notamment entre les universités et les régions à Lyon et Grenoble, à Strasbourg et bientôt au Grand-Duché de Luxembourg...

 

Le CREAT, une équipe interdisciplinaire depuis plus de 50 ans

Le CREAT a été créé en 1965 notamment pour poser les jalons du premier plan d’aménagement en lien avec le projet de Louvain-la-Neuve. Aujourd’hui il compte une vingtaine de chercheurs de tous horizons (urbanistes, architectes, géographes, bioingénieurs, historiens, sociologues...) qui se penche sur trois grands domaines : (1) le développement territorial (comment penser le territoire pour assurer le bien-être des individus et le développement économique de manière durable), (2) la structuration du territoire aux différentes échelles en mettant en cohérence et en interrelation les pôles qui concertent les équipements et les services, les réseaux de transports des personnes et des marchandises et les aires résidentielles, agricoles, forestières, ...) et (3) la composition du territoire qui relève davantage de la 3e dimension. La recherche concernant les espaces publics croise ces trois grands domaines même si elle est davantage centrée sur la composition. « En effet une fois qu'on sait quel type de développement est souhaitable dans un quartier, une commune ou une région, on s’interroge sur la localisation des équipements comme les jardins collectifs ou les lieux d’intermodalités afin de concevoir ensuite l’espace public en articulant les gabarits des immeubles qui le bordent, en tenant compte des rez-de chaussées mais aussi de la gestion de l'eau et de la végétation qui jouent un rôle écologique indéniable notamment en ville,... » détaille Yves Hanin. La recherche sur les espaces publics dans le cadre de la CPDT est donc un exemple des différentes recherches que nous réalisons. Pourtant menée globalement, elle permettra de répondre à des enjeux locaux. « Notre expertise permet de proposer des solutions locales adaptées et spécifiques par rapport à des défis globaux, comme celui des espaces publics. En tant que CREAT, on a le souci de comprendre l'action au niveau macro et de travailler avec des acteurs de terrain pour trouver des solutions adaptées, qui permettent de garder l'identité de chaque territoire. »

 

Anne-Catherine De Bast


 

Coup d'oeil sur la bio de Yves Hanin

Yves Hanin (54 ans), sociologue-urbaniste, a suivi des études de sociologie, puis d'architecture urbaine et aménagement du territoire à l'UCLouvain. Docteur en art de bâtir et urbanisme depuis 2004, il est aujourd'hui chercheur et enseignant à l'UCLouvain et directeur du Centre de Recherches et d'Etudes pour l'Action Territoriale (CREAT-LOCI-UCLouvain). Il développe au sein d'une équipe interdisciplinaire des approches prospectives de la recomposition des territoires et de la reconfiguration des espaces bâtis et non bâtis en lien avec les défis des transitions écologiques, démocratiques, socio-démographiques, énergétiques et technologiques qui caractérisent le processus de métropolisation défini comme le nouveau temps long des relations entre espaces et sociétés.
 
 

Coup d'oeil sur la bio de Bénédicte Dawance

Bénédicte Dawance (42 ans) est architecte-urbaniste. Elle a suivi des études d'architecture à l'Institut supérieur d'architecture Saint-Luc-Liège, puis des études spécialisées en urbanisme et développement territorial à l'UCLouvain. En 2000, elle devient collaboratrice indépendante en architecture et participe à divers projets d'architecture avec orientation urbanistique, puis collaboratrice indépendante en urbanisme et aménagement du territoire. Depuis 2007, elle est assistante de recherche au Centre de Recherches et d'Etudes pour l'Action Territoriale (CREAT-LOCI-UCLouvain). Elle y est chercheuse, chargée de projets en aménagement et urbanisme et participe à la formation continue.

 

 

Publié le 18 décembre 2018