Une équipe de l'Earth and Life Institute a généré une base de données décrivant l’évolution de l’occupation du sol si thématiquement détaillée qu’elle est aujourd'hui utilisée par des institutions telles que l'OCDE ou l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Cette base de données consiste en une série de cartes caractérisant la surface du sol et son évolution de 1992 à nos jours, générées grâce aux données satellites d’observation de la terre. Des cartes précieuses notamment pour anticiper l'impact de l'homme et du réchauffement climatique...Une excellente nouvelle à partager donc, surtout en ce début de semaine du Festival International Eau et Climat à Louvain-la-Neuve!
Les prémisses du projet remontent à la fin des années 2000. À l'époque, les Nations Unies prennent conscience de la nécessité d'encourager les mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions. Pour répondre à cette préoccupation, l'ESA met en place le programme Climate Change Initiative (CCI). L'objectif : réaliser le monitoring d'une série de variables climatiques essentielles et en mesurer l'évolution grâce à l’utilisation d’images satellitaires. On parle d'ozone, de température de surface ou encore d’occupation du sol (land cover). Concrètement, il s'agit de revisiter les algorithmes de classification d'images à partir des archives satellitaires européennes afin de suivre l’évolution de l’occupation du sol. Pour cela, la chaîne de traitement doit permettre de reproduire les cartes régulièrement, au fil des ans, afin de pouvoir constater l'évolution des variables. Une fois le produit terminé, modélisateurs du climat, organisations, entreprises ou laboratoires peuvent gratuitement l'utiliser selon leurs propres besoins.
24 cartes caractérisant l’évolution de la surface terrestre
« Nous sommes tous conscients que pour comprendre et anticiper la manière dont la surface de la Terre évolue, en raison de l’impact de l’Homme et du réchauffement climatique, il faut faire un suivi détaillé de certains de ses paramètres « vitaux », explique Céline Lamarche, bioingénieur participant au projet. C'est pour cette raison que l'Agence Spatiale Européenne a lancé ce programme. Participer à ce projet, c’est avoir l’opportunité de contribuer, même de manière minime, à une solution à ce grand défi du changement climatique. Notre contribution est de développer un dataset qui caractérise l'occupation de surface à l'échelle mondiale sur base annuelle de 1992 à nos jours. » Vingt-quatre cartes – une par an – ont ainsi vu le jour. Elles permettent de décrire le monde au travers de 22 classes dont le suivi est un enjeu majeur comme les surfaces forestières, l’agriculture, l’eau et les villes.
« Nous sommes responsables de dériver une information sur l’occupation du sol en valorisant des images satellites. Cette information est une des données d’entrée des modèles climatiques européens précise la chercheuse. C’est le fruit d’un travail d’une dizaine d’années qui nous a permis d’extraire une information la plus pure et cohérente possible à partir de données satellitaires bruitées. En améliorant la qualité de la donnée « occupation du sol », nous contribuons à en améliorer la représentation de la surface terrestre dans les modèles climatiques. C’est la première fois qu’un tel produit est créé, et nous avons déjà beaucoup d’utilisateurs et pas seulement dans la sphère climatique. En plus d’en faire le suivi, les observations satellites nous ont aussi permis de caractériser la saisonnalité de la surface terrestre : on peut donner des probabilités de neige, de feu et de quantité de végétation à la précision du km2».
Les premières cartes produites sont de résolution moyenne, les pixels correspondant à des surfaces de 300 mètres sur 300. À l'avenir, elles devraient être affinées en haute résolution grâce aux données fournies par les satellites Sentinel du programme Copernicus de l'Union européenne, qui permettent d'avoir des pixels correspondant à 10 mètres de côté. « Ces données satellites libres d'accès révolutionnent la manière dont on peut observer la terre et traiter cette quantité gigantesque d’informations, se réjouit Céline Lamarche. Cela ouvre le champ des possibles pour les chercheurs. »
Un dialogue établi entre les communautés
Quatre à cinq personnes travaillent sur le projet ESA CCI en permanence à l'UCLouvain. Mais notre série de cartes d’occupation du sol n'auraient pas pu voir le jour sans les collaborations une douzaine d’autres partenaires scientifiques et notamment des climatologues, indique la chercheuse. « C'est d'ailleurs la grande force du projet ! Travailler main dans la main avec nos utilisateurs nous a mené à une compréhension mutuelle de leurs besoins en données mais aussi à une assurance de leur bonne compréhension et usage. On a d’ailleurs développé un outil d’exploitation de nos cartes pour faciliter leur utilisation directement par les climatologues. Si chaque entité avait travaillé de manière plus indépendante, on ne serait pas arrivé à ce résultat. »
En 2017, l'équipe néolouvaniste a procédé à la distribution publique des cartes. Le produit a été adopté par des organisations d'envergure, telles que l'OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), qui les utilise pour établir les « indicateurs de croissance verte » (Green Growth Indicators) permettant aux pays d'évaluer si leur croissance se fait au détriment de leur capital naturel. La FAO (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture) utilise aussi cette série de cartes pour suivre l’évolution des statistiques d'occupation du sol par pays. Le World Food Program compte également parmi les utilisateurs, tout comme des industries privées, qui s'en servent dans leur simulateur de vol ou pour du matériel éducatif.
Poursuivre la série temporelle
« Le projet est mature au point de rendre un service concret à la société, se réjouit Céline Lamarche. C’est une chance pour nous que les résultats de ce projet aient été adoptés et que nous ayons réussi à construire une communauté de plus de 1500 d'utilisateurs avec laquelle nous avons encore des échanges.». La série de cartes, libre d'accès, est téléchargeable en ligne et peut être observée de manière interactive dans un viewer en ligne.
Si l'équipe du Pr Defourny va continuer à affiner et exploiter les cartes couvrant les années 1992 à 2015 grâce à un nouveau financement de l'ESA pour la recherche, elle va également développer de nouvelles cartes pour les années 2016 à 2019. « Le produit, considéré comme suffisamment mature par la communauté, a été sélectionné pour entrer dans une phase opérationnelle à travers le Copernicus Climate Change Service C3S de la Commission européenne, ajoute la chercheuse. Quand une équipe de modélisateurs du climat décide d'adopter votre produit, il faut qu’il couvre la plus longue période possible et soit mis à jour fréquemment... ».
Anne-Catherine De Bast
Coup d’œil sur la bio de Pierre Defourny et de Céline Lamarche
Pierre Defourny est Professeur ordinaire à l’UCLouvain, responsable du Laboratoire d’Environnemétrie et Géomatique (UCLouvain/ELI-Geomatics) qui se concentre sur le suivi de la surface terrestre par télédétection, de l'échelle locale à mondiale, et la modélisation de l'utilisation des terres à l'aide de systèmes d'information géographique pour soutenir l'agriculture, la foresterie et l'aménagement du territoire. |
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Céline Lamarche est assistante de recherche de l’Earth and Life Institute (UCLouvain). Après un master en bio-ingénieur en sciences et technologies de l'environnement, elle intègre l’équipe de recherche en Observation de la Terre du Laboratoire d’Environnemétrie et Géomatique en 2010. |