Une large part des personnes âgées de 75 ans et plus, en ce compris les résidents de maisons de repos et de soins et les patients âgés hospitalisés, ne reçoivent pas le traitement qui leur convient le mieux. Ces prescriptions dites ‘inappropriées’ constituent le sujet d’étude de la Pr Anne Spinewine, qui a reçu le prix « Healthy Ageing » décerné par la Fondation AstraZeneca, le 12 décembre 2017.
La Pr Anne Spinewine est Cheffe du service de pharmacie clinique au CHU UCL Namur (site Godinne), chercheuse au Louvain Drug Research Institute (Clinical Pharmacy Research Group) – UCL et professeure à l’UCL. Elle s’intéresse depuis plusieurs années à la bonne prescription des traitements chez la personne âgée, ainsi qu’à la continuité des traitements lorsque la personne change d’environnement, par exemple entre domicile, hôpital et maisons de repos. « Je travaille globalement autour de la qualité d’utilisation des médicaments chez la personne âgée. On constate en effet qu’ils ne sont pas utilisés de manière optimale, ce qui a un impact négatif sur la qualité de vie, notamment du fait des effets secondaires, et sur la morbi-mortalité. J’ai axé entre autres mes travaux sur les prescriptions inappropriées. Cela couvre la sur-prescription, la mauvaise prescription et la sous-prescription. »
Identifier et chiffrer
Pour connaître l’état de la situation, plusieurs étapes ont été nécessaires pour le groupe de recherche d’Anne Spinewine. « Tout d’abord, il s’agit de disposer des bons moyens pour évaluer la qualité des prescriptions. Nous avons donc développé, sur base de méthodes existantes, des instruments de mesure de la qualité des prescriptions. Elles ont été validées et constituent une aide précieuse pour le clinicien. Ensuite, il a fallu déterminer la prévalence des prescriptions inappropriées ainsi que leurs conséquences pour les patients. Nous avons mené des projets dans des maisons de repos et/ou de soins, dans des hôpitaux ainsi qu’en ambulatoire. Il en est ainsi ressorti que tout environnement confondu, environ la moitié des personnes âgées ne recevaient pas les traitements adéquats. Dans notre dernier grand projet, ce chiffre est monté jusqu’à 80% des résidents de maisons de repos et/ou de soins… Il est d’ailleurs apparu que dans 1 cas sur 4, l’hospitalisation d’une personne âgée est due à une prescription potentiellement inappropriée… »
Pourquoi une mauvaise prescription ? Et comment faire mieux ?
Pour savoir pourquoi des prescriptions ne sont pas appropriées, il est important de comprendre ce qu’il se passe. En effet, les médecins sont formés pour prescrire le bon traitement au patient qui se trouve devant lui… mais la prise en charge d’une personne âgée polymédiquée reste souvent complexe pour lui. « Nous allons tenter de mieux comprendre, notamment par des entretiens en face à face avec des prestataires de soins de santé. En effet, il arrive que le médecin soit bien au courant que le traitement n’est pas approprié, mais maintient sa prescription car il anticipe que son patient refusera d’en changer, qu’une autre approche de prise en charge plus adéquate n’est pas remboursée, etc. De là, nous pourrons tenter de trouver des solutions. »
Ce travail de compréhension est en cours, notamment à travers quelques études cliniques menées dans des hôpitaux qui misent sur la collaboration, les approches multidisciplinaires pour améliorer la prise en charge des patients dans les services de gériatrie. « Nous avons pu démontrer que lorsque le pharmacien hospitalier est impliqué dans les unités de soins, comme par exemple en gériatrie, la prescription s’en trouve améliorée », confirme la Pr Spinewine. D’ailleurs, ces preuves apportées par des études cliniques scientifiquement solides ont motivé le Service Public Fédéral Santé Publique à dégager du budget pour développer davantage l’activité de pharmacie clinique… Un frein aurait pu être la difficulté de faire adhérer certains médecins à cette nouvelle activité. Or, les réticences ne proviendraient souvent que de médecins qui n’ont pas encore reçu d’information claire : « Ceux qui ne perçoivent pas l’intérêt de cette démarche changent bien souvent d’avis lorsqu’ils constatent que les balises sont posées, que les personnes impliquées sont correctement formées, que les conditions de travail et de collaboration sont bien définies », rassure la spécialiste.
La situation en MRS
L’approche interdisciplinaire donne aussi de bons résultats dans les maisons de repos et/ou de soins, où plus d’un résident sur 3 prend au moins 10 médicaments chroniques, comme a pu le démontrer l’équipe de la Pr Spinewine : « Simplement diffuser des recommandations de bonne pratique ne suffit pas : il faut instaurer une approche collaborative entre les différents intervenants, à savoir les médecins, le personnel infirmier ainsi que les pharmaciens. Nous avons donc mené un projet qui va dans ce sens, mais pour qu’il fonctionne, il est impératif que chaque partie soit correctement formée et informée. Nous avons donc dispensé des formations destinées à tous ces intervenants sur les médicaments et en particulier sur l’approche de révision de la médication en interdisciplinarité. Ensuite, des discussions ont été initiées pour chaque résident, impliquant toutes les parties prenantes. Cette manière de procéder a eu des résultats très encourageants : la qualité des prescriptions s’est améliorée, certaines classes de médicaments ont été réduites, les professionnels de la santé étaient très satisfaits de ce travail en équipe, et ce malgré des contraintes en termes d’organisation. Cette implication de tous peut être difficile à mettre en place, notamment du fait des cadres de travail différents. »
Evolutions politiques
Au vu de ces résultats encourageants, l’équipe de la Pr Spinewine termine de rédiger des recommandations qui seront transmises à la ministre de la Santé prochainement, afin de favoriser un cadre légal et financer adapté à cette prise en charge interdisciplinaire qui, en fin de compte, permet aussi des économies d’échelle.
Soulignons également que ces projets de recherche sont soutenus par les autorités non seulement nationales (INAMI, ministère de la Santé), mais aussi à d’autres niveaux, comme l’Union Européenne ou la Région Wallonne. « Pour prendre un exemple, l’Union Européenne (programme H2020) contribue au financement de l’évaluation d’un programme informatique de support à la décision concernant les traitements des personnes âgées. Celui-ci prend en compte les données introduites par le médecin par rapport à l’historique médical du patient, des traitements pris, des médicaments supportés ou non, de sa pathologie… Il élabore à partir de là des propositions de traitement à donner, supprimer, réduire ou augmenter et le médecin, en partenariat avec le pharmacien, peut de là prendre sa décision. »
Continuité des soins
Un autre axe sur lequel travail la Pr Spinewine et qui a retenu l’attention du jury d’AstraZeneca est la continuité des soins. Les personnes âgées passent plus fréquemment d’un environnement de soins à l’autre, entre domicile, hôpital, maison de repos, de soins. Un problème de transmission de l’information sur les traitements en cours ou chroniques peut alors se poser. « Il s’agit de situations à risque, en particulier de ré-hospitalisation lorsque le traitement à prendre (ou à ne plus prendre) n’a pas été communiqué correctement. Lorsque des personnes âgées viennent aux urgences, 9 fois sur 10 il manque certaines informations sur les traitements pris à la maison… Il est donc important d’assurer la communication d’un service à l’autre, d’un environnement à l’autre pour assurer cette continuité. Le projet d’E-Santé, en Région Wallonne, prévoit d’améliorer ce transfert d’informations. Une phase pilote a porté sur une application accessible par le médecin généraliste et les autres prestataires de soins, et qui optimise la communication de l’information sur les traitements pris par le patient. Ce dernier peut aussi y ajouter des informations sur ses traitements, via une application qui lui est dédiée. »
Et l’on en vient à un troisième axe de travail : l’implication des patients dans leur santé. « Les médecins et pharmaciens devraient prendre en compte la perspective du patient. C’est particulièrement important dans la déprescription. Il s’agit dès lors de trouver le moyen de l’impliquer dans la décision, ce qui augmente les chances qu’il y adhère… »
Carine Maillard
Coup d'oeil sur la bio de Anne Spinewine
© CHU UCL Namur asbl
1976 : naissance
1994-1996 : Candidatures, Sciences pharmaceutiques, Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (FUNDP), Namur
1996-1999 : Master en Sciences pharmaceutiques, UCL.
2000-2001 : MSc, Clinical Pharmacy, International practice and Policy, School of Pharmacy, University of London.
2002-2006 : Doctorat en Sciences Pharmaceutiques, orientation pharmacie Clinique, UCL.
2002-2006 : Aspirant chercheur FRS-FNRS.
2005-2007 : Master en Pharmacie hospitalière, UCL.
2007 : Prix national de la Société belge des Sciences pharmaceutiques.
2009-Aujourd’hui : Chercheuse dans le groupe de recherche en pharmacie clinique (Louvain Durg Research Institute – UCL), professeure en faculté de Pharmacie et des Sciences Biomédicales (UCL) et cheffe du service de pharmacie clinique au CHU UCL Namur, site Godinne.