Depuis plus de 10 ans, des chercheurs de l’UCL ont fait de la reconstruction faciale leur cheval de bataille. Leur objectif : proposer des techniques innovantes qui s’adaptent au maximum au receveur. Explications.
En 2005, le professeur Benoît Lengelé de l’UCL réalisait la première greffe mondiale du visage. Une grande première qui ne s’est pourtant répétée qu’une trentaine de fois : « La greffe de visage n’est pas une opération anodine, elle requiert l’association de deux disciplines : la chirurgie plastique et la transplantation d’organe. Avec comme conséquence, la prise à vie d’un traitement immunosuppresseur pour éviter le rejet du greffon », explique le Dr Jérôme Duisit, médecin-assistant en chirurgie plastique et doctorant aux laboratoires de morphologie expérimentale (Pr B. Lengelé) et de chirurgie expérimentale et de transplantation (Pr P. Gianello). « Par ailleurs, pour des raisons évidentes, il est nécessaire de recourir à un donneur qui présente des similitudes physiques avec le receveur. Autant de paramètres qui font que ce genre de greffe n’est réalisé qu’auprès d’un type bien particulier de patients : des patients jeunes en bonne santé et souffrant d’une défiguration majeure entrainant un impact fonctionnel. Quand il manque les deux lèvres, par exemple. »
Au cœur de l’ingénierie tissulaire
Conscient des limites de cette chirurgie réparatrice, ce chercheur a imaginé aborder cette problématique par un autre angle, celui de l’ingénierie tissulaire ! Son objectif : fabriquer des greffons qui s’adaptent au receveur et pas l’inverse. « Quand on pense à l’élaboration de tissus et plus largement d’organes, on pense directement à l’impression 3D. Or, cette technique ne peut se cantonner qu’à des structures de très petites tailles. Elle ne peut donc nous être utile pour l’instant », précise-t-il. L’idée de Jérôme Duisit est plutôt de se tourner vers des tissus existants à traiter de manière à les rendre compatibles. « Plus précisément, il s’agit de prélever un greffon donneur, de le vider de ses propres cellules tout en conservant son architecture biologique ainsi que ses nerfs et vaisseaux. Ce qui nous donne une sorte de matrice sans cellules et qui n’est donc pas sujette à rejet. C’est un projet ambitieux parce que le visage est composé d’un grand nombre de tissus différents : de la peau, du cartilage, du muscle, des vaisseaux, etc. »
Étape n°1 : neutraliser le greffon
Pour commencer, le chercheur s’est concentré sur une greffe non motrice, c’est-à-dire une partie du visage qui n’est pas fonctionnelle comme l’oreille ou le nez. « Pour ce faire, nous avons mis au point une technique capable de neutraliser le greffon en supprimant toutes ses cellules. Plus précisément, il s’agit de pomper un liquide dit de décellularisation depuis un réservoir à l’aide d’une pompe péristaltique. Ce liquide va progressivement diffuser dans le greffon et provoquer la dissolution des parois des cellules du donneur. Ensuite, le greffon est lavé et dégraissé. Pour une oreille, ce processus prend en moyenne une dizaine de jours. »
Matrices d’oreille et de doigt stérilisées (crédits J. Duisit/UCL)
Étape n°2 : préparer le greffon pour la greffe
Une fois le greffon débarrassé de toutes les cellules issues du donneur, il faut le préparer pour la régénération, en le repeuplant avec de nouvelles cellules, à terme celles du receveur. Ce que Jérôme Duisit fait à l’aide d’un bioréacteur qu’il a lui-même mis au point en collaboration avec l’Ecole polytechnique de Louvain et le Louvain Bionics. « L’objectif de ce bioréacteur est de récréer un environnement régénérateur : c’est-à-dire faire circuler un milieu de culture nourricier comme circulerait du sang et favoriser l’ensemencement du greffon par des cellules prélevée chez le donneur. » De cette manière, le greffon va petit à petit être colonisé par les cellules du receveur et sera donc parfaitement compatible sans qu’un traitement immunosuppresseur ne soit nécessaire. « Le bioréacteur que nous avons mis au point, adapté à la médecine régénératrice des parties du corps, est le premier de ce genre dans le monde. Il fait d’ailleurs l’objet d’un brevet de l’UCL », poursuit le chercheur.
Préparation à la culture des greffons, dans le bioréacteur avec milieu de culture (rouge) (crédits J. Duisit/UCL)
Mise en place dans un incubateur stérile pour maturation (crédits J. Duisit/UCL)
Un bioréacteur par organe
Suite à ces essais concluants sur l’oreille, le chercheur s’intéresse maintenant à la lèvre. Celle-ci amène une complication de plus : il faut qu’elle soit capable de bouger lorsque le muscle est sollicité. « Il faut donc que nous mettions au point un bioréacteur qui soit capable de mimer les mouvements de contractions des muscles de la lèvre afin que le greffon soit rapidement fonctionnel après la greffe. Idéalement, il faudrait inventer un bioréacteur par organe afin que l’organe concerné soit soumis aux mêmes conditions que lorsqu’il est dans l’organisme. »
Injection de cellules souches dans une matrice de lèvre (crédits J. Duisit/UCL)
Dernier volet ? L’os !
Lorsque ses travaux sur la lèvre seront terminés, Jérôme Duisit s’attaquera au dernier volet : l’os. C’est-à-dire la greffe d’un doigt. « Si nous arrivons à appliquer cette technique au doigt, il sera possible de greffer toute autre structure composée d’os, de tendons et d’articulations. Ce projet est vraiment novateur et ouvre des perspectives encourageantes de reconstructions chirurgicales pour les personnes ne pouvant bénéficier aujourd’hui d’une allogreffe de membre. Par ailleurs, elle permettrait de contourner l’obstacle majeur rencontré par les allogreffes : le manque de disponibilité de donneur compatibles. »
Un greffon sur-mesure ?
Malgré le caractère enthousiasmant de ce projet, il faut être réaliste, même si des perspectives thérapeutiques révolutionnaires s’ouvriront pour les patients, les médecins resteront confrontés à deux problèmes majeurs : le besoin important de donneur et le respect des spécificités propres à l’individu. Quand il s’agit d’une greffe de visage, il est essentiel que le greffon respecte l’identité morphologique du receveur. « Pour pallier cela, on pourrait imaginer l’élaboration d’une matrice entièrement synthétique en trois dimensions à l’image du receveur sur laquelle viendraient s’associer ses cellules. À la clé : un greffon sur-mesure ! Mais de nombreux obstacles restent à franchir pour y arriver », conclut prudemment Jérôme Duisit.
Elise Dubuisson
Coup d'oeil sur la bio de Jérôme Duisit
2004 : Docteur en Chirurgie Dentaire (Université Claude Bernard Lyon)
2010 : Docteur en Médecine (UCL)
2010 : Médecin-assistant Candidat Spécialiste en Chirurgie Plastique et Reconstructrice (UCL)
2013-2017 : Doctorat en Sciences (UCL) soutenu par la Fondation Saint-Luc, le Fonds Spécial de la Recherche (UCL) et le Fonds Dr Gaëtan Lagneaux.