Alexandre Guay, Chaire Francqui à la KU Leuven

 Les cours donnés dans le cadre de la Chaire Francqui débutent ce 28 février à la KU Leuven. Alexandre Guay, philosophe et chercheur en science et société, en est le professeur invité. Il raconte son parcours et ses projets dans le cadre de l’organisation de ce cycle de conférence prestigieux. 

Sur l’estrade, Alexandre Guay ne s’arrête ni de penser, ni de marcher. « Ça m’aide à réfléchir », lance-t-il à des étudiants captivés. Lorsque ce philosophe des sciences intervient en public, ils sont nombreux à se venir l’écouter. Depuis dix ans, ce professeur qui vient d’obtenir la Chaire Francqui à la KU Leuven, enseigne une matière encore peu courante sur le continent européen : la philosophie de la physique. « Cela consiste à questionner toutes sortes de problèmes philosophiques liés de près ou de loin à la science, explique-t-il. Des problèmes qui peuvent être de nature déontologique, mais aussi internes à la matière scientifique : observer comment la science fonctionne parmi les humains, comment elle parvient à ses conclusions, comment nous formulons ces conclusions… »

Né au Canada en 1972, Alexandre Guay commence par des études de physique mathématique à l’Université de Montréal. « Je passais mon temps au labo, se souvient-il. Puis, lorsque j’ai commencé ma thèse de philosophie en 1998, j’y suis resté, mais de l’autre côté : mon travail n’était plus d’expérimenter, mais d’aller voir les physiciens travailler dans ce même laboratoire... » Son doctorat porte sur la notion de symétrie en physique quantique. « Pour comprendre ce sujet complexe, il paraphrase : « Imaginez un flocon de neige, illustre-t-il. Si vous le tournez d’un angle de soixante degrés, il reste identique. Les lois de la nature ont des symétries et la physique quantique est dominée par des arguments de symétrie…J’ai donc cherché à développer des outils pour mieux comprendre l’usage de ces symétries en science. Avant de me pencher particulièrement sur l’une d’elles : la symétrie de jauge. » Très abstraite, cette symétrie a des conséquences nombreuses sur l’interprétation de plusieurs théories fondamentales. Cette étude inaugure sa carrière internationale. 

Finir sa thèse « au café »

« J’ai fait de la philosophie par hasard », s’amuse-t-il. C’est en rencontrant Jean-Pierre Marquis, professeur de logique, philosophie des sciences et fondements des mathématiques au département de philosophie de l’Université de Montréal, qu’il découvre la matière. « Ses recherches touchent à plusieurs aspects de la philosophie des sciences et de la philosophie des mathématiques, raconte Alexandre Guay sur son mentor. Il a publié un livre sur l’histoire et la philosophie de la théorie des catégories ainsi que plusieurs articles sur la vérité, la logique catégorique, la topologie algébrique et les fondements des mathématiques…C’est un homme passionnant. »

En 2003, il reçoit un financement pour rejoindre l’Université de Pittsburgh aux Etats-Unis. Prestigieuse proposition qu’il s’empresse d’accepter… Avant même d’avoir mis le point final à sa thèse : « J’ai dû finir ma thèse le plus vite possible dans un café, se souvient-il. C’était le seul endroit où on ne venait pas me déranger ! »

Jusqu’en 2005, Alexandre Guay travaille dans le département d’histoire et de philosophie des sciences de l’Université. « J’y ai plus appris en deux ans que pendant tout mon doctorat, grâce au plus grand philosophe des fondements de la physique : John Earman. Ça m’a tout apporté. » L’Université, qui reçoit régulièrement des chercheurs à la renommée internationale dans ses locaux, offre un panel d’intellectuels de haut vol au cerveau avide d’Alexandre Guay.   

Un avant-goût de la Belgique

Deux ans plus tard, direction la Côte d’Azur : c’est le Centre national de recherche scientifique (Cnrs) français qui l’appelle pour venir enseigner le temps d’une école doctorale estivale. « Je ne connaissais rien de la France, se rappelle-t-il. Le terrain était fertile : ma discipline était très peu développée dans les universités hexagonales, je suis rapidement arrivé à Paris pour y enseigner. » 

Après un an et un bref retour au Canada pour travailler comme chercheur postdoctoral en histoire des sciences, Alexandre Guay obtient un poste permanent à l’Université de Bourgogne à Dijon en France. Engagé comme philosophe à la faculté des sciences, il enseigne pendant cinq ans à ce poste encore confidentiel. « C’est là que j’ai vu passer le poste de l’UCLouvain. Je ne connaissais pas la Belgique, à part un petit tour à Bruxelles pour visiter le musée des Sciences naturelles et les Musées royaux des beaux-arts… Mais je n’ai pas hésité. » Depuis près de deux ans, il est président de l’institut supérieur de philosophie à l’Université. « Je donne beaucoup de cours à des ingénieurs et des scientifiques, explique le professeur Guay. Je leur explique ce qu’est un raisonnement scientifique, ce qu’est la représentation, quelles sont les thèses que l’on peut avoir sur la science, qu’est-ce que le statut de la science par rapport aux autres études… J’essaye de développer leur conscience et les outils éthiques utiles au traitement des problèmes scientifiques. »

Surprise et attentes de la Chaire

Actuellement, Alexandre Guay encadre des post-doctorants : qu’est-ce qu’un individu en biologie, quelle est la différence entre une possibilité logique, physique, mathématique et métaphysique, qu’est-ce qu’une explication en science, y en a-t-il de non causales ? Quelques sujets de thèses parmi les nombreuses que ce professeur prolixe encadre.

Au sein de cette activité de recherche dynamique, l’arrivée de la Chaire Francqui fut une surprise. « C’était inattendu !, s’étonne encore le professeur Guay. Je suis très content et motivé. La KULeuven est une université prestigieuse qui va me permettre de faire des choses que je n’avais pas faites avant… Mettre des bouts de mes recherches ensemble pour avoir une vision plus globale de ce que j’ai étudié jusqu’ici. Avec pour objectif l’écriture d’un livre sur la relation entre métaphysique et physique. » Un livre qui tournerait autour de quatre concepts fondamentaux : la notion de loi de la nature, d’émergence, de causalité et d’individualité. »

En cinq blocs de deux heures, ce professeur passionné espère interagir avec les curieux qui viendront l’écouter et le voir marcher… à partir du 28 février, jusque début mai.

C’est quoi la Chaire Francqui ?

La Fondation Francqui offre, aux Universités belges, la possibilité d'inviter, pour une série de conférences, soit des professeurs belges, soit des professeurs étrangers. Des chaires sont attribuées, chaque année, à diverses facultés dans les différentes universités.

Marie Dumas 


Alexandre Guay

 

Publié le 26 février 2019