Antarctique: un Noël pour le climat

L’Antarctique est un lieu idéal pour étudier l’évolution de notre système climatique. Une équipe de chercheurs de l’ULB et de l’UCLouvain part ce 1er décembre réaliser le bilan de masse de la calotte glaciaire antarctique et en surface localement, dans le cadre du projet MASS2ANT. A leur retour, mi-janvier, ils utiliseront les observations collectées pour raffiner les estimations de l’impact de ce « Continent Austral » sur l’élévation du niveau des mers.  

L’Antarctique, cet acteur majeur du système climatique

L’Antarctique et l’océan Austral jouent un rôle dominant dans la dynamique du système climatique car ils ont un impact sur:

  • Le niveau des mers : si la calotte glaciaire antarctique fond entièrement, le niveau des mers augmente de 60 mètres ;
  • Le réchauffement climatique : l’océan Austral est un énorme réservoir qui amortit le réchauffement climatique, en jouant un rôle de climatiseur ;
  • L’effet de serre : l’océan Austral absorbe énormément de CO² anthropique et modère ainsi l’amplification de l’effet de serre. 

Bien que cette région fasse partie des endroits les plus reculés au monde, elle représente un terrain d’étude idéal pour de nombreux scientifiques. D’autant que l’Antarctique n’a pas encore livré tous ses secrets… Ce 1er décembre, une équipe de chercheurs de l’ULB et l’UCLouvain s’envole pour le « Continent Austral » afin d’étudier le bilan de masse de la calotte antarctique. Vous l’avez compris, toute modification de la masse de la glace antarctique a un impact conséquent sur le reste du monde. Parmi eux, Hugues Goosse, coordinateur du projet MASS2ANT et professeur extraordinaire à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain. Conscients du caractère tout spécial de leur mission et de l'intérêt du grand public pour ce no man's land, les chercheurs tiennent un blog sur lequel ils posteront des anecdotes, observations et réponses à diverses questions sur l'Antarctique. 

Etudier l’accumulation de neige

L’Antarctique est une calotte de glace, c’est-à-dire une étendue de glace continentale de grande dimension, sur laquelle la neige s’accumule. Le projet MASS2ANT vise à mieux comprendre cette accumulation de neige. L’objectif de l’expédition consiste à prélever, puis analyser la neige à la surface et étudier l’accumulation de celle-ci, en analysant les couches internes de la glace. Grâce à ces paramètres, les chercheurs pourront déterminer la composante qui domine entre la calotte qui a tendance à grossir car il neige plus et la calotte qui a tendance à fondre car il fait plus chaud. Cette fonte n’a pas lieu à la surface de la calotte, où il fait trop froid toute l’année, mais lorsque la glace continentale rencontre l’océan à la côte et via la formation d’icebergs. 

Une grande disparité géographique

Avant eux, d’autres scientifiques se sont rendus sur le Continent Austral et ont déjà étudié l’accumulation neigeuse. Ils ont constaté une forte augmentation de l’accumulation de la neige ces 50 dernières années dans certaines régions. Toutefois, celle-ci varie fortement d’une région à l’autre. Par exemple, les régions côtières sont caractérisées par une accumulation plus importante puisque les précipitations y sont plus nombreuses que dans les régions plus montagneuses. C’est pourquoi l’équipe, coordonnée par Jean-Louis Tison, a décidé de retourner sur place, afin de réaliser leurs prélèvements dans une zone de transition entre la montagne et la côte. Toutes les données précédentes leur serviront de point de comparaison pour mieux prévoir les changements climatiques futurs.

Comment était la neige il y a plusieurs siècles ?

Concrètement, l’équipe va mesurer plusieurs paramètres: les propriétés de la neige en surface, telles que sa densité et sa structure, l’accumulation passée de la neige à l’aide de radars analysant les couches internes de la glace et collectera une carotte de glace. Cette dernière devrait permettre de reconstruire diverses caractéristiques du climat de ces 300 ou 400 dernières, en particulier l’accumulation de neige. L’étude de la neige en surface va permettre de mieux comprendre comment elle évolue après s’être déposée et finalement se transformer en glace.
Pour la première partie du travail, un forage d’une carotte de glace d’une dizaine de centimètres de diamètre sera réalisé à l’aide d’un carottier. Sa longueur devrait atteindre les 300 mètres. Cette carotte sera ensuite divisée en morceaux d’1,50 mètre puis emballée dans des sachets et rangés dans un container frigorifique qui arrivera par bateau à Anvers en mars 2019. Un expert de l’ULB sera ensuite chargé d’analyser la composition de la glace (composition de l’eau, présence d’aérosols en provenance de l’océan, inclusion de gaz, etc.) pour dater chaque couche d’accumulation neigeuse et reconstruire le climat passé. 
L’autre partie du travail consistera à récolter les premiers centimètres de neige en surface pour analyser la distribution spatiale des chutes de neige, comment elle s’accumule et comment elle se modifie avec le temps. 

Une zone de transition, entre océan et montagnes

Comme évoqué plus haut, les lieux de ce nouveau forage et de la récolte de neige ont été minutieusement étudiés. Ceux-ci sont situés entre la côte et l’intérieur du continent. La carotte sera prélevée au sommet d’un dôme de glace, sur une surface relativement plate où l’accumulation de neige se fait de façon homogène, sans perturbation trop forte due au transport par le vent ou la dynamique de glace. Pour la logistique, l’équipe a dû choisir un endroit proche de la base Princesse Elisabeth. « Ces points de forage ont été déterminés sur la base d’images satellite et de la topographie, mais sur place, nous choisirons des lieux plus précis en fonction de la topographie réelle et des potentielles zones de perturbations », explique Hugues Goosse.
Départ prévu le 1er décembre de Belgique. Et c’est le 5 décembre qu’ils partiront pour l’Antarctique… si tout va bien ! « Tout dépendra des conditions météorologiques sur place. S’il y a une tempête, on attendra », détaille le chercheur de l’UCLouvain. 

Une équipe interuniversitaire

Le projet MASS2ANT est réalisé en collaboration entre l’UCLouvain, l’ULB, l’IRM, l’Université du Colorado à Boulder et l’Université Technique de Delft. L’ULB coordonne la partie expérimentale, tandis que l’UCLouvain se focalise plutôt sur la partie théorique et la modélisation. Hugues Goosse est le seul représentant de l’UCLouvain et vivra sa première expédition en Antarctique. Sur place, il sera accompagné de Jean-Louis Tison, chef d’expédition et membre du Laboratoire de Glaciologie de l’ULB, de Nander Wever , de Sarah Wauthy , de Sainan Sun , Etienne Gros   et Mana Inoue .

Se préparer au froid

Cette expédition, les équipes de l’ULB et l’UCLouvain la préparent depuis de nombreux mois. C’est surtout la préparation scientifique qui fut importante : observations préalables, choix de l’endroit, matériel d’observation, etc. La préparation physique est nécessaire mais pas aussi extrême qu’on pourrait le penser : « Nous n’allons pas réaliser un exploit physique sur place. Nous devons juste nous préparer à avoir froid, jusqu’à -15 degrés », tempère le chercheur de l’UCLouvain. Examens médicaux (test à l’effort, analyse sanguine, visite chez le dentiste, etc.) ont été réalisés afin de s’assurer de la bonne santé physique des participants à l’expédition.
Les espoirs d’Hugues Goosse sont grands : « Nous espérons pouvoir récolter des carottes de glace de très bonne qualité et sur une grande profondeur. Pour la neige, on espère avoir des profils clairs qui ne sont pas perturbés et qui sont représentatifs des conditions météorologiques. » En fonction de la précision de tous ces éléments, l’équipe pourra reconstruire le climat à ce lieu précis sur une longue échelle de temps. Reste à savoir jusqu’où la technique les emmènera, et donc jusqu’où ils pourront forer dans la calotte… Réponse en 2019 !

Lauranne Garitte

Suivez les aventures des chercheurs au quotidien via leur blog www.bel-antar2018.be

 

 

 

Publié le 22 novembre 2018