L'évolution de la forêt à la loupe

 
La recherche était ambitieuse : réaliser un inventaire de la répartition des champignons à l'échelle européenne. Ce travail, aujourd'hui publié dans la revue Nature, n'aurait pu être mené à bien sans l'aide de collaborateurs à travers toute l'Europe. A l'UCL, c'est le groupe de recherche en Sciences Forestières au sein de « Earth and Life Institute », qui a contribué à l'étude, en tant que responsable du programme ICP-Forests, le réseau européen de surveillance de la santé des forêts, pour la Wallonie.

« Ici, c'est la partie principale de la placette, annonce Hugues Titeux, ingénieur agronome, s'arrêtant dans un espace clôturé au cœur du bois de Lauzelle (Louvain-la-Neuve). C'est ici que l'on mesure la qualité de l'eau qui passe à travers le feuillage. » Autour de lui, des sondes et des capteurs, enterrés ou visibles, enregistrent une série de paramètres et prélèvent toutes sortes d'échantillons dans le but de contrôler le taux d'humidité du sol.
« En tout, sur nos 8 parcelles en Wallonie, nous prélevons 450 échantillons d'eau et 15 échantillons de feuilles par an, ajoute le chercheur de l'UCL. Cela nous permet de faire des bilans, de mesurer les éléments nutritifs dans tous les compartiments, comme les feuilles ou le sol. On peut dès lors calculer les flux qui passent de l'un à l'autre, voir si la quantité de nutriments qui arrive est égale à celle qui sort. On cherche à savoir si le système est en équilibre, ou si la situation est préoccupante. » L'ingénieur agronome enchaîne: « L'un des principaux paramètres que l'on mesure, c'est la défoliation,c'est-à-dire la perte des feuilles. Quand on remarque un souci, on essaie de creuser pour en trouver la cause. Il peut s'agir de sécheresse, de maladies,... Les suivis doivent être faits sur de longues périodes, sinon, statistiquement, on ne peut tirer aucune conclusion. »
Cet espace, une placette de 70 mètres sur 70, est destinée à l'observation et à la surveillance de l'état sanitaire des arbres et de la végétation. Il y en a 7 autres, dispersées aux quatre coins de la Wallonie. Toutes sont gérées par l'UCL, avec l'aide de collaborateurs locaux qui se rendent régulièrement sur les parcelles pour y prélever des échantillons, vérifier que les systèmes fonctionnent et intervenir en cas de problème.

Une étude menée grâce au réseau

Si l'équipe en charge de ce travail aujourd'hui sous les feux de la rampe, c'est parce qu'elle a pris part à une recherche ambitieuse : la réalisation d'un inventaire de répartition des champignons ectomycorhiziens à l'échelle européenne, qui fait aujourd'hui l'objet d'une publication dans la revue Nature.
Pour cela, impossible de travailler à huis-clos. Le travail nécessitait la coopération de dizaines d'intervenants implantés dans les pays concernés. En Wallonie, c'est Hugues Titeux, du groupe de recherche en Sciences Forestières, au sein de l’Earth and Life Institute, qui a ainsi collaboré à l'étude , en tant que coordinateur du programme europen ICP-Forests (International Co-operative Programme on Assessement and Monitoring of Air Pollution Effects on Forests) pour la Wallonie.
« Concrètement, pour mener le travail à bien, les chercheurs ont fait 9888 prélèvements de sol sur 103 placettes en Europe, desquels ils ont isolés 29664 ectomycorhizes afin de les décrire et de les identifier ensuite sur base d’une analyse ADN, précise Hugues Titeux. C'est un travail énorme ! En général, quand on s'intéresse à la diversité des plantes, 3 ou 4 visites par an sur le même site permettent d'inventorier tout ce qui s'y trouve. Mais pour les champignons, la fructification ne se formant pas chaque année et étant éphémères, il fallait passer par les analyses ADN ».
Si la mycologie n'est pas la spécialité du groupe de recherche en Sciences forestières de l'UCL, les chercheurs louvanistes ont néanmoins contribué à l'échantillonnage des sols et fourni toutes les données qui concernaient leurs placettes. « Tous les responsables de réseaux ont été associés à la publication, ajoute le scientifique. Toutes les informations collectées depuis des années sur les placettes ont contribué à l’interprétation des résultats portant sur l’identification des champignons. Ceci a permis de mettre en évidence les variables environnementales qui expliquent le mieux la variabilité des communautés mycorhiziennes et d’identifier espèces indicatrices pour ces variables C'est un exemple d'utilisation du réseau ICP-Forests pour une utilisation différente de celle pour laquelle il a été mis en place, un bel exemple de collaboration entre chercheurs qui travaillent sur des thématiques très pointues et un réseau qui a des objectifs de recherches appliqués. » 

Surveiller pour mieux gérer

Car initialement, si ICP-Forests a permis de faire avancer cette recherche, le réseau a été installé pour une raison toute autre... Il s'agit d'un programme européen de surveillance de la santé des forêts mis en place dans les années 80 pour mesurer l'impact des pluies acides, liées aux émissions excessives d'azote et d'oxydes de soufre dans l'atmosphère, sur les écosystèmes et mieux comprendre leur évolution. « Un dépérissement forestier attribué à l'acidité des pluies a été observé en Europe centrale à l'époque et a permis une prise de conscience de la nécessité de faire des efforts, notamment en matière de pollution, souligne Hugues Titeux. Les autorités craignaient que le dépérissement se répande. L'idée était de suivre attentivement et de comprendre l'évolution des forêts ». 
Depuis, des mesures drastiques ont été prises, et l'abandon de l'utilisation massive du charbon a permis de diminuer les retombées acides. Mais pas question pour autant d'arrêter la surveillance des forêts... Elles sont soumises à d'autres « agressions », telles que sécheresses, excès d'eau, attaques d'insectes ou d’autres types de pollutions, qui fragilisent les arbres en les soumettant à des stress répétés. Le réseau permet d'identifier les nouvelles menaces, de comprendre leurs effets et de mieux orienter la gestion des forêts lorsque cela peut diminuer les conséquences.

6500 sites d'observation

Le projet réunit la plupart des pays membres de l'Union européenne ainsi qu'une dizaine de pays européens non membres. Le système se base sur deux niveaux. Le premier compte 6500 points d'observation en Europe, dont 65 en Wallonie. Il permet un suivi léger, basé sur la santé et la croissance des arbres. Les observations sont réalisées par des agents du Département de l'Etude du milieu naturel et agricole (DEMNA) de la Wallonie, tandis que l'UCL se charge de l'analyse et de l'interprétation des données.
Le second niveau dénombre 860 parcelles, dont 8 en Wallonie depuis 1996. Entièrement géré par l'UCL, qui s'occupe de la gestion quotidienne, de l'entretien, de l'observation, des mesures, des résultats et de leur interprétation, grâce à un financement wallon. Il est équipé de manière à comprendre les processus et identifier les facteurs responsables de l'évolution sanitaire. 
Chaque année, les résultats des analyses et les constatations de l'équipe louvaniste sont classés dans une banque de données européenne. Des formations sont également organisées par le réseau pour s'assurer que tous les chercheurs travaillent selon les mêmes méthodes, et permettre ainsi d'obtenir des données comparables.

Anne-Catherine De Bast

 

Coup d'oeil sur la bio de Hugues Titeux

Hugues Titeux, Ingénieur Agronome de l’UCL (1998), est spécialiste en chimie du sol et passionné par l'étude et la protection de la biodiversité. Après une thèse portant sur le fonctionnement des sols forestiers, il a effectué des recherches dans ce domaine à l’INRA-Nancy et au laboratoire des sciences du sol de l’UCL. Il a également participé à des projets de recherches dédiés à la gestion de la fertilité des systèmes des bananeraies familiales dans la région des grands lacs africains   (CIALCA), ainsi qu’à la caractérisation de la pollution historique dans les sols wallons (POLLUSOL2). Parallèlement, il a dispensé des cours portant sur la l’étude et la gestion durable des sols aux étudiants bio-ingénieurs de l’UCL. Depuis 2013, il est chargé de recherche au sein du groupe de recherche en sciences forestières (ELI-e), afin d’assurer la coordination et le suivi scientifique des projets relatifs au monitoring de la santé des forêts en Wallonie (ICP-Forests). 
 

Publié le 20 août 2018