L’université, (encore) un monde d’hommes ?

Alors qu’elles sont majoritaires durant les études, la proportion de femmes diminue au fur et à mesure de la carrière académique. Un consortium d’universités européennes, dont l’UCL, s’est penché sur ce phénomène du « tuyau percé ». Voici quelques-unes de leurs conclusions.

En Belgique, il y a davantage d’étudiantes que d’étudiants. L’UCL, par exemple, compte 55 % de femmes en bacs et en masters. Mais à partir de la thèse de doctorat, la tendance s’inverse. La preuve en chiffres :

  • 37 % de femmes parmi les chargé(e)s de cours,
  • 27 % de professeures,
  • 12 % de professeures ordinaires (16 % en moyenne en Belgique).

« L’accès des femmes aux plus hautes responsabilités académiques reste aussi très limité », ajoute le Pr Bernard Fusulier, professeur de sociologie à l’UCL et chercheur FNRS. « Sur 14 membres du conseil rectoral, on ne compte que 2 femmes. Et il n’y a jamais eu de rectrice à l’UCL. Car plus on avance dans la carrière académique, moins les femmes sont nombreuses. Ce phénomène est appelé le “tuyau percé” (“leaky pipeline”). Il n’est pas propre à notre université ni même à la Belgique puisqu’il s’observe partout en Europe et aux États-Unis. »

Zoom sur la zone grise

Pourquoi les femmes sont-elles sous-représentées dans le monde académique ? Comment combattre cette asymétrie ? Telles sont les principales questions sur lesquelles s’est penché un consortium de 7 universités européennes (1), dont l’UCL. Objectifs du projet GARCIA (2) : poser un diagnostic global sur la situation, tenter d’en comprendre les causes afin d’en dégager des solutions concrètes. « L’une des particularités du projet GARCIA est de s’être centrée sur la zone grise postdoctorale », explique le Pr Fusulier qui a dirigé l’étude pour l’UCL. « C’est une période de transition, incertaine et très concurrentielle, pendant laquelle les jeunes docteur(e)s tentent d’obtenir un poste permanent dans une université ou un centre de recherche. » Car c’est clairement à partir de ce moment-là que les femmes perdent du terrain et qu’une partie significative d’entre elles arrête leur carrière académique. Pourquoi ?  

Vie familiale Vs. carrière

Il y a plusieurs explications. La première, qui n’est pas propre au monde universitaire, est la difficulté d’articuler vie professionnelle et vie familiale. « Les docteur(e)s en quête d’un poste ont généralement la trentaine », explique le Pr Fusulier. « Soit l’âge auquel certaines décisions privées doivent être prises, notamment le projet d’enfant. Or, hommes et femmes ne sont pas égaux biologiquement et socialement face à la parentalité et à la charge de travail qu’elle génère… Nombre de chercheuses essayent constamment d’équilibrer carrière et vie familiale. Mais qui dit équilibre dit risque de tomber ! D’autant que la concurrence est forte et que la sélection s’opère selon des critères spécifiques. »   

Des exigences contradictoires

À l’UCL, comme dans de nombreuses universités, le recrutement des professeur(e)s s’opère à l’aune de 2 référentiels :

  • Le référentiel de la compétition selon des critères assez standardisés : nombre et prestige des publications, expériences à l’étranger, obtention de crédits de recherche, etc.
  • Le référentiel de l’intégration, au sein de l’université ou du centre de recherche même : le ou la chercheur(-se) doit s’être montré(e) fiable, digne de confiance, bon(ne) pédagogue, coopératif(-ve), prêt(e) à s’engager pour l’institution, etc.

« Bref, on demande aux candidat(e)s d’être à la fois au top au niveau international et impliqué(e) en interne », observe le Pr Fusulier. « Or, parent et non parent, homme et femme ne sont pas dans les mêmes conditions pour rencontrer cette double exigence ! »

Le mentorat : une piste vers plus d’égalité

La plupart des jeunes chercheur(-se)s rencontré(e)s à l’UCL ne savent pas quels sont les seuils requis pour rencontrer cette double exigence, car ces seuils ne sont pas clairement explicités. Livrés à eux-mêmes, ils se lancent alors dans une course effrénée qui peut être longue et dissuasive.

À cet égard, le projet GARCIA a consacré un rapport au mentorat, un programme qui va sans doute être développé et systématisé à l’UCL. « L’idée est de rendre les règles du jeu plus transparentes et d’accompagner les jeunes chercheur(-se)s de façon plus égalitaire. C’est d’autant plus nécessaire pour les femmes, car elles ont moins de mentors, de modèles féminins autour d’elles, notamment en sciences et technologies, qui pourraient les conseiller et leur ouvrir l’accès à certains réseaux soutenants. »

Un problème de société ?

Reste une question : le monde académique peut-il, à lui seul, combattre les asymétries liées au genre ? Ne faudrait-il pas que la société dans son ensemble soutienne davantage les femmes qui souhaitent faire une carrière universitaire ? « Les universités ne peuvent rompre complètement avec le modèle sociétal dans lequel elles s’inscrivent », concède le Pr Fusulier. « Cela dit, elles disposent d’une marge de manœuvre pour faire bouger les lignes. Exemple : la Suisse est une société assez traditionnelle au niveau des genres. Ce qui n’empêche pas l’université de Lausanne de développer une politique des genres très volontariste et d’investir d’importants moyens financiers pour soutenir les carrières scientifiques féminines. » À défaut de changer le monde, les universités peuvent donc essayer de se changer elles-mêmes…  

 

Candice Leblanc

 

***Notes***

(1) Autriche, Belgique, Islande, Italie, Pays-Bas, Suisse et Slovénie.

(2) « Gendering the Academy and Research: combating Career Instability and Asymmetries » : www.garciaproject.eu 

 

Coup d'oeil sur la bio de Bernard Fusulier 

Portrait de Bernard Fusulier

1993                   Maîtrise en sociologie (UCL)

1995-2001          Assistant de cours (UCL)

2000                    Doctorat en sociologie (UCL)

2001-2003          Réalisation d’un « Marie Curie Individual Fellowship » (Université d’Aberdeen, Écosse)

Depuis 2003       Chercheur qualifié du FNRS et chargé de cours à l’UCL

2004                    Obtention d'un European Re-Integration Grant

2005-2008          Responsable de l’Unité d’anthropologie et de sociologie de l’UCL

Depuis 2009       Secrétaire général puis président de l’Association belge francophone de Sociologie et d’Anthropologie

Depuis 2011       Professeur à l’UCL

Depuis 2016       Directeur de recherches FNRS

2016-2018          Président du comité « Femmes et Sciences » de la Fédération Wallonie-Bruxelles

 

Les recherches du Pr Fusulier ont été principalement financées par l’Union européenne, le FNRS, la Politique scientifique fédérale (BELSPO) et la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Publié le 17 mai 2017