Une équipe internationale de chercheurs en écologie, comprenant trois scientifiques en « Ecologie comportementale et conservation » de l’UCL, dont le docteur Thomas Merckx et le professeur Hans Van Dyck, révèle dans la revue Nature que l’urbanisation entraîne des changements de taille dans les communautés animales. Des résultats stupéfiants.
« Le terme « d’écologie » est très vaste, explique Hans Van Dyck, promoteur académique de l’étude et professeur à la Faculté des sciences de l’UCL. En biologie, le mot englobe une pluralité de sujets possibles puisqu’il se définit comme l’étude des liens entre organismes et environnement. Ainsi pouvons-nous être amenés à étudier des molécules, mais aussi des populations, des communautés, ou même des paysages… Ajoutez-y l’aspect « comportemental », qui étudie les interactions entre ces organismes vivants et l’environnement qu’ils occupent, et l’écologie comportementale prend alors une autre ampleur. C’est chercher à comprendre la diversité du vivant…C’est passionnant ! »
« Comprendre la diversité du vivant. » C’est ce qui guide le parcours de Thomas Merckx, pilote de la découverte publiée dans la revue Nature ce mercredi. Au sein du laboratoire « d’Ecologie comportementale et conservation » dirigé par Hans Van Dyck où la découverte a été faite, l’objectif de recherche était encore plus précis : « Nous voulions comprendre pourquoi certaines espèces survivent très bien dans des environnements anthropiques, tandis que d’autres ne parviennent pas à s’adapter à l’impact de l’homme sur leur population, explique le directeur du laboratoire. Comprendre les raisons de l’abondance, ou de la pénurie de certaines espèces dans divers endroits, c’est observer les différences entre espèces gagnantes et espèces perdantes en réaction aux actions humaines impactant leur lieu de vie. Le but : trouver les mécanismes expliquant le succès ou non d’un organisme dans un monde dominé par l’homme. »
Pour comprendre cet impact, les chercheurs de l’UCL ont travaillé avec plusieurs autres équipes belges et internationales sur des populations animales prototypes. « Ces études d’écologie comportementale se concentrent habituellement davantage dans les forêts ou les zones naturelles, contextualise le chercheur. Ce n’est que depuis quelques années que la recherche se penche sur le milieu urbain pour observer les changements de comportements de populations animales. », dans le pôle « Biodiversité » de l’institut "Earth and life institute" (ELI) où se tient le laboratoire de Hans Van Dyck.
Des insectes pour étudier plus rapidement ces changements
Les cobayes du côté de l’UCL ? « Des papillons et des sauterelles…, sourit le chercheur. Les insectes permettent d’observer les changements que le citadin peut engendrer sur pléthore d’organismes, avec rapidité. Les insectes sont en effet des organismes qui s’adaptent très rapidement et permettent de tester beaucoup plus efficacement des hypothèses d’adaptation avec eux plutôt que sur des mammifères. »
Les chercheurs de l’UCL sont arrivés à deux constats. Le premier : le milieu urbain est très fragmenté. Il faut prendre en compte l’existence de zones vertes et de zones perturbées très proches l’une de l’autre. Le second, plus surprenant : le milieu urbain est plus chaud, c’est un phénomène connu sous le nom d’îlot de chaleur urbaine. Il engendre une série de conséquences sur ces organismes dont la plus importante porte sur leur taille. « Le coût métabolique augmente dans ce contexte de chaleur urbaine, poursuit Hans Van Dyck. En conséquence, les espèces plus petites sont favorisées en milieu urbain. » La plupart devient de plus en plus petits. Mais pour les insectes dont la taille est capitale pour leur mobilité, comme les papillons, c’est l’inverse : ils grandissent. Thomas Merckx ajoute : « En nous concentrant spécifiquement sur les papillons de nuit, nous avons montré que, non seulement les espèces plus grandes sont favorisées en milieu urbain, mais aussi, les individus les plus grands. Ainsi, au moins pour les papillons de nuit, nous montrons que ces changements de taille se produisent à la fois au niveau de la communauté et au niveau intraspécifique. »
« Le milieu urbain a donc un impact sur un trait biologique clé des organismes : leur taille…Ces changements de taille posent énormément de nouvelles questions, s’enthousiasme Hans Van Dyck. Imaginez : face à des insectes plus petits, ou plus grands, comment s’adaptent les oiseaux, les chauves-souris, tous ces animaux dont c’est la proie principale ? On peut prédire que les conséquences pour d’autres espèces en milieu urbain sont lourdes. » Etape suivante : étudier ces conséquences pour les autres organismes répercutant ces évolutions de taille. « On parle de réseau écologique, explique Hans Van Dyck. Les insectes sont au cœur de plusieurs services écosystémiques d’importance : ils sont des proies mais aussi pollinisateurs… Les conséquences pour la biodiversité en milieu urbain sont énormes, comme le potentiel des suites de ces recherches. La biologie évolutive a beaucoup à offrir pour s’interroger sur le milieu urbain de demain. C’est la ville de notre futur que ces recherches permettent de dessiner. »
« Notre laboratoire ressemble à un centre de fitness…Pour insectes ! »
Entretien
Hans Van Dyck est professeur à la Faculté des sciences de l’UCL. Avec Thomas Merckx et le professeur Lux De Meester de la KUL, il a mis en place cette étude publiée ce mercredi dans « Nature ».
Plusieurs laboratoires ont combiné leurs efforts et ressources pour cette recherche.
Effectivement, c’est ce qui a permis à cette recherche d’avancer plus rapidement…Tout en gagnant en crédibilité. Nous avons travaillé au sein d’un consortium de recherche financé par un programme Pôles d'Attraction Interuniversitaires de la Politique scientifique fédérale BELSPO (bourse PAI P7/04) de cinq ans. Ce consortium impliquait des groupes de recherche issus de quatre universités (KUL, UA, UCL et UGent) et l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, assistés de quatre équipes internationales. Des collaborations essentielles lorsque des recherches impliquent plusieurs espèces étudiées.
Justement, comment avez-vous observé ces insectes à l’UCL ?
Mon équipe et moi-même sommes surtout connus pour étudier les papillons de jours, les papillons de nuit et les orthoptères – des sauterelles. Ce n’est pas que nous sommes obsessionnels, mais ils sont des modèle d’étude parfait en la matière. C’est comme en génétique où l’on travaille régulièrement avec des drosophiles : pas de passion particulière pour l’animal, mais c’est un modèle, qui fonctionne bien et qui est internationalement utilisé.
Pour l’étude publiée dans « Nature », nous avons surtout travaillé sur le terrain. Mais à l’UCL, plusieurs infrastructures nous permettent aussi d’étudier de manière optimale ces populations d’insectes. Près des auditoires Croix du sud, des insectariums sont répartis dans des chambres climatisées avec plusieurs cages où se développent aisément des élevages entiers d’insectes. Car si l’on veut comprendre les différences génétiques adaptatives entre différentes espèces rurales ou urbaines il faut les conserver dans un « jardin commun », « common garden » en anglais, pour pouvoir généraliser les résultats.
Nous travaillons aussi beaucoup dans les serres de l’UCL où nous pouvons mener des expériences sur des papillons qui ont besoin de plantes spécifiques pour se développer. Il y a aussi un moulin de vol dans lequel on peut faire voler un papillon pour comparer la vitesse de vol entre populations et calculer le coût physiologique du vol en comparant les potentielles différences entre populations urbaines et naturelles. Notre laboratoire ressemble à un centre de fitness…Pour insectes !
Marie Dumas
Coup d'oeil sur la bio de Hans Van Dyck
Né en 1970, à Herentals, Hans Van Dyck a été recruté à l’UCL comme académique en 2004. Il est biologiste de formation (Baccalauréat à la KUL et License à l’UA). Au départ : une thèse de doctorat, de 1992 à 1997, à l’Université d’Anvers (UA) dans le domaine de l’écologie comportementale, menée sous la direction des professeurs André Dhondt (Cornell University) et Erik Matthysen (UA). Plus précisément, Hans Van Dyck a étudié les stratégies de reproduction, la thermorégulation et le lien avec la morphologie fonctionnelle chez les papillons.
Après un post-doctorat au département de biologie de l’UA, il obtient un mandat de chargé de recherche du Fonds Wetenschappelijk Onderzoek (FWO, équivalent FNRS flamand). Dans cette période postdoctorale, il a – entre autres – beaucoup travaillé avec l’Université de Stockholm. Le chercheur se spécialise alors dans l’étude du comportement animal et de la théorie des traits d’histoire de vie dans un contexte de conservation de la biodiversité et d’écologie du paysage. Il veut mieux comprendre les différences en termes de style de vie entre les espèces perdantes et gagnantes à l’ère des changements environnementaux rapides induits par l’homme.
En 2004, il crée donc sa propre équipe de recherche en écologie comportementale et conservation de la biodiversité. Hans Van Dyck et son laboratoire font désormais partis du département « Earth & Life Institute » (ELI) de l’UCL. En tant que prodesseur ordinaire depuis 2014, il enseigne, entre autres, l’écologie comportementale, l’écologie du paysage, l’entomologie, l’écologie et l’évolution appliquées.
Coup d'oeil sur la bio de Thomas Merckx
Né à Hal en 1978, Thomas Merckx réalise sa thèse de doctorat à l’Université d’Anvers entre 1999 et 2005. Sous la supervision du professeur Erik Matthysen et du docteur Hans Van Dyck, il étudie la mobilité d’un papillon de jour et ancre ses recherches au sein des domaines de l’écologie évolutive et de la fragmentation des habitats. Il effectue ensuite deux post-doctorats dans la « Wildlife Conservation Research Unit » de l’Université d’Oxford (2005-2011), durant lesquels, sous la direction du Prof. David W. Macdonald, il s’intéresse à la protection des papillons de nuit. Il y souligne l'importance de l'échelle du paysage pour y parvenir. Ensuite, il étudie la réponse en termes de diversité en papillons de nuit face à un abandon des terres agricoles, et ce dans un contexte de « rewilding » à plusieurs échelles spatiales. Cette étude est réalisée à l’Université de Lisbonne entre 2011 et 2013, sous la supervision du professeur Henrique M. Pereira.
C’est en 2013 que Thomas Merckx rejoint l’équipe du professeur Hans Van Dyck (Écologie Comportementale et Conservation), à l’UCL. Jusque fin 2017, il est financé par le projet fédéral « SPEEDY », et se concentre sur les effets de l’urbanisation sur les communautés de lépidoptères et d’orthoptères. Dès début 2018, il intègre l’équipe du projet ARC, développé par les professeurs Hans Van Dyck, Michel Crucifix, Caroline Nieberding, et Sophie Vanwambeke, s’intéressant à l’apprentissage en tant que moteur essentiel pour l’adaptation des papillons de jour aux changements environnementaux rapides induits par l’Homme.