La conscience en question(s)

Ce 30 avril, le Pr Nicolas Vermeulen donne une conférence publique sur «La conscience dans tous ses états». L’occasion de revenir sur un concept pas si évident que ça à définir… ni à conscientiser!

Nous avons une vision biaisée de notre fonctionnement mental. Nous nous figurons que la conscience procède d’une perception «immédiate» du monde qui nous entoure. Que nous décidons de tout en conscience. Que rien de ce qui nous passe par la tête – littéralement – ne nous échappe… «Chacune de ces affirmations est inexacte», prévient d’emblée Nicolas Vermeulen, professeur de psychologie à l’UCLouvain. «La réalité est plus complexe. Nous n’avons pas conscience des choses; nous avons l’impression d’une conscience des choses.»

Une petite seconde de retard…

Commençons par la fausse impression d’immédiateté, ce sentiment d’avoir ou de prendre conscience d’une chose en temps réel, au moment même où elle se passe. «C’est une illusion», explique le Pr Vermeulen. «En fait, la conscience a un léger retard sur les premiers traitements d’une information par notre cerveau. Par exemple, si je décide de bouger la main, les neurones de mon système moteur s’activent déjà entre 0,5 et 1 seconde avant que la décision de bouger la main n’atteigne ma conscience. En d’autres termes, notre cerveau décide et réagit plus vite que notre conscience. Ce qui explique notamment la notion de réflexe. Si je conduis une voiture et qu’un obstacle survient, je vais freiner avant même de conscientiser que je dois freiner… et bien avant d’avoir identifié l’obstacle en question.»

Mille infos, une (seule) attention

Le cerveau est en perpétuelle activité. Il n’arrête jamais. A chaque seconde qui passe, il traite un grand nombre d’informations, notamment celles qui lui sont transmises par nos sens (ouïe, vue, odorat, toucher, etc.). En revanche, notre attention est beaucoup plus limitée. C’est le fameux effet «cocktail party» : «Dans une soirée, j’entends plusieurs sons – la musique, les discussions, les rires, etc. – mais je n’en écoute réellement qu’un seul. Mon voisin direct, par exemple. Mais si quelqu’un m’appelle par mon nom, je vais me retourner. Preuve que mon cerveau traite plusieurs informations sensorielles à la fois… même si j’écoutais attentivement mon voisin.»

Le cerveau, cette machine à « routiniser »

Cette «sélection attentionnelle» n’est possible que parce que notre cerveau routinise la grande majorité des informations, des pensées et des processus décisionnels. Et pour cause : «L’être humain prend en moyenne 30000 décisions par jour», rappelle le Pr Vermeulen. «Rien que se préparer un thé requiert pas moins de 70 décisions motrices et intellectuelles : ouvrir l’armoire, choisir une tasse, s’en saisir, mettre de l’eau dans la bouilloire, la faire chauffer, ouvrir la boite à thé, choisir un sachet, etc. Or, nous ne conscientisons qu’une petite partie de ces actions, et encore! La plupart du temps, nous les faisons sans réfléchir. Ces décisions “inconscientes” sont autant de routines. Ce qui nous permet d’économiser des ressources (mentales) pour les décisions qui comptent pour nous. C’est-à-dire celles que nous prenons de façon consciente.»

Le cerveau propose, la conscience dispose

Bref, notre cerveau nous mâche le travail. Grâce aux routines sensorielles, il opère une présélection parmi les (trop) nombreuses informations qu’il traite en permanence. «Notre structure cérébrale est comme un filtre qui oriente notre attention vers ce qui est important pour nous. Pour nous aider à prendre des décisions, notre cerveau trie les informations et propose à notre conscience une interprétation, une version plausible de notre environnement. Et il peut se tromper. Toutefois, dans ce processus, notre conscience n’est pas passive. Elle a une sorte de “droit de véto”. Elle dispose ainsi de 100 à 250 millièmes de seconde pour corriger, voire interrompre l’interprétation proposée par le cerveau.» Des phénomènes qui relativisent nos certitudes et même notre vision du libre arbitre, qui voudrait que nous posions des choix «en âme et conscience»!

Et les émotions dans tout ça?

La conférence publique que le Pr Vermeulen donne ce 30 avril (1) est l’occasion d’approfondir ces questions. Et notamment ce qui est au cœur de ses recherches : le rôle et l’impact des émotions sur les processus de conscientisation. «Tout ce qui est émotionnel retient davantage notre attention. Nous conscientisons plus vite et plus fréquemment les informations connotées émotionnellement.» Le Pr Vermeulen et son équipe ont mené plusieurs expériences avec 2 catégories de mots :

  • les mots neutres (exemples : table, chaise, etc.);
  • les mots dits émotionnels (exemples : amour, meurtre, colère, etc.) qui génèrent instinctivement des émotions, positives ou négatives, chez les individus.
  1. Des volontaires installés devant un écran ont été soumis à des mots projetés de façon très (trop) brève pour être reconnus. Or, à vitesse de projection équivalente, les mots émotionnels ont été plus souvent déchiffrés et identifiés que les mots neutres. Autrement dit, les émotions favorisent l’accès à notre conscience.

Candice Leblanc

(1) « La conscience dans tous ses états » aura lieu le mardi 30 avril, de 18 h 30 à 20 h, à l’auditoire Socrate 11, sise place du Cardinal Mercier, 10, à Louvain-la-Neuve. Entrée libre et gratuite. 

Coup d’œil sur la bio de Nicolas Vermeulen

 

Nicolas Vermeulen est professeur de psychologie à l’UCLouvain et chercheur qualifié FNRS. Il est titulaire d’un master et d’un doctorat en psychologie, obtenus respectivement en 2001 et 2005 à l’UCLouvain. Depuis 2015, il préside le comité d’éthique de l’Institut de recherche en sciences psychologiques (IPSY). Dans ses recherches, le Pr Vermeulen s’intéresse particulièrement aux émotions et leur impact sur les processus de conscientisation.

 

Publié le 30 avril 2019