Le marketing utilise les mécanismes liés aux jeux pour attirer et engager ses clients. Cette stratégie peut cependant être utilisée par les services de soins de santé, pour impliquer les patients dans leurs soins, estime Thomas Leclercq, assistant et doctorant à la Louvain School of Management (UCL). Ce projet lui a valu en juillet 2016, un prix lors d’une conférence internationale sur le marketing et les services.
Vu l’expansion des possibilités offertes par la technologie, il est possible d’envisager des applications très variées, dans quasiment tous les domaines de la vie. « Mais attention, prévient Thomas Leclercq, il ne suffit pas de lancer une technologie pour qu’elle fonctionne. Pour réussir, il faut créer une relation avec le consommateur, afin de susciter chez lui l’envie de l’utiliser. Cette relation doit être émotionnelle – comme ce que l’on connaît avec les GSM, par exemple – et cognitive : il faut la comprendre pour mieux l’utiliser. Ce n’est qu’ainsi qu’une technologie peut être engageante. »
Le domaine dans lequel Thomas Leclercq a voulu évaluer l’efficacité des innovations technologiques, c’est celui des soins de santé. Et pas n’importe quelles applications : des applications ludiques, du jeu, appelé aussi « gamification ». « J’ai choisi la gamification car j’ai pensé que l’implication des malades ou traumatisés dans leurs soins est plus importante s’ils sont motivés, par exemple par une activité ludique, un classement d’utilisateurs ou par un suivi de performances. Mais jusqu’à quel point et avec quels effets négatifs possibles ? »
La technologie pour les patients
Les jeux vidéo sont déjà entrés dans pas mal d’institutions, par exemple dans les centres de réadaptation ou dans les centres gériatriques, voire dans les maisons de repos et de soins. Que ce soit a travers les « serious games » ou la gamification, afin d’inciter des polytraumatisés à réaliser des exercices de kiné, par exemple. « L’avantage est que ces technologies sortent les malades ou traumatisés d’un environnement angoissant ou très lourd… Ils peuvent aussi réaliser des mouvements de rééducation de manière ludique, en faisant passer à la trappe le côté rébarbatif des mouvements de rééducation. » Les personnes âgées y trouvent aussi leur compte, en testant sur écran, à l’aide d’une balance interactive, leurs mouvements, leur équilibre, etc.
Mais des questions persistent dans le chef de bon nombre de soignants : ces aides aux traitements sont-elles réellement efficaces ? Quels en sont les côtés négatifs ? C’est à ces interrogations qu’a cherché à répondre Thomas Leclercq, dans une étude.
Avantage de la gamification pour les soins
« J’ai mené cette étude en collaboration avec mon promoteur, le Pr Wafa Hammedi de l’Université de Namur, et le Pr Allard van Riel, professeur de la Nijmegen School of Management aux Pays-Bas. Des interviews dans des hôpitaux et centres de rééducation ont été réalisées auprès de patients et de professionnels de la santé, ainsi que des séances d’observation lors de l’utilisation de technologies gamifiées. Il s’agissait par exemple de l’utilisation de jeux vidéo (WiiFit) lors de séances de revalidation afin de motiver le patient. De ces données recueillies, nous avons mis en évidence quatre types d’avantages apportés par la gamification : le sentiment de challenge, la dynamique sociale, l’évasion et le fun. En effet, le patient ne réalise pas des tâches pour parvenir à un résultat, mais pour trouver du plaisir dans l’activité même. Et puisque l’activité est plus amusante, les patients s’impliquent davantage dans leurs soins de santé. Mais ce constat, nous pouvions le prévoir ; nous avons voulu aller plus loin que les seuls résultats positifs liés à l’utilisation de la gamification en mettant en avant les risques liés à l’utilisation de tels mécanismes, en particulier dans le contexte médical. »
S’impliquer, mais pas trop
En effet, certains effets connus chez les personnes valides peuvent également se retrouver chez ces patients, comme le souligne Thomas Leclercq : « Nous avons constaté par exemple un risque de découragement des patients lorsqu’ils n’arrivent pas à atteindre les défis mis en place dans le cadre de la gamification. A l’opposé, il existe un autre risque, à savoir la tendance de certains à vouloir dépasser leurs limites physiques pour atteindre certains objectifs, ce qui peut être contre-productif sur le plan médical. Enfin, il y a la tentation de tricher pour réussir à atteindre des objectifs, sans pour autant réaliser la tâche correctement. » D’où la nécessité soulignée par les chercheurs de contrôler ces risques lorsque des jeux sont introduits dans ces espaces non ludiques. Mais également par la suite, lorsque le patient est à la maison et qu’il poursuit ses jeux sur sa console, sans contrôle médical ! « S’il faut de l’engagement pour que le jeu atteigne son but dans le cadre d’une rééducation, cet engagement ne doit pas être excessif, au risque de rendre le jeu contre-productif. »
Un autre écueil qui peut se poser et la récompense : « Il n’y a apprentissage que tant qu’il y a récompense. Si celle-ci s’arrête, le patient ne trouvera plus de plaisir à prolonger ses séances de jeu et donc, de rééducation. Il s’agit donc de trouver un moyen pour que les bénéfices du jeu ne se limitent plus uniquement à la durée du jeu, et inciter le patient à participer au jeu au-delà du fait de gagner. »
Gamification, pas un bénéfice pour tous
Mais la gamification n’est pas à recommander à tous les types de patients. Et certainement pas à des patients atteints de maladies dégénératives, dont les performances, a priori, ne peuvent que décroitre. « En perdant de plus en plus, les patients sont confrontés à la diminution de leurs capacités, à leurs faiblesses… », souligne le chercheur. Contrairement aux patients en revalidation dont l’objectif est justement de les faire progresser !
Le jeu pour aider des patients est un sujet qui commence seulement à être étudié sérieusement. Mais les études prennent souvent des cas bien différents : « Ainsi, elles mélangent tant le serious gaming, que la gamification. »
Cet intérêt croissant pour l’apport des jeux dans les soins de santé s’est aussi marqué lors de l’attribution d’un prix pour l’innovation de son étude, au cours de la dernière conférence EIRASS (European Institute of Retailing and Services Studies). Un prix qui succède à deux autres reçus en mai, par l’Association Française de marketing...
Carine Maillard
Coup d'oeil sur la bio de Thomas Leclercq
2012 | Ingénieur de gestion à finalité spécialisée |
2012 | Assistant-chercheur à la Louvain School of Management |
2014 | Admission au parcours doctoral |
2016 | Prix du « meilleur jeune chercheur » et de « la meilleure communication » à l’AFM pour l’article intitulé « Exploration of engagement mechanics in the value co-creation process : the case of gamification on a New Product Development platform» |
2016 | Publication de l’article intitulé « Ten years of value cocreation : An Integrative Review » (Recherche et Applications en Marketing) |