L’épuisement parental est universel. La souffrance liée au stress dans le rôle de parent fait l’objet de plus en plus d’attention ces dernières années. Certaines régions du monde sont-elles davantage touchées par le phénomène? Oui, les pays occidentaux, plus individualistes. Et la Belgique fait partie du top trois. C’est le constat des chercheuses Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak. Elles ont coordonné une étude à travers le monde. Résultat ? La culture d’un pays joue un rôle prépondérant dans le burn-out parental.
Un niveau de stress élevé dans la famille peut conduire à l'épuisement des parents, quelle que soit la région du monde dans laquelle ils se trouvent. Avec de graves conséquences pour eux mais aussi pour leurs enfants. Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak, chercheuses au sein de l’Institut de recherche en psychologie (IPSY) étudient le phénomène depuis plusieurs années. Elles ont initié et dirigé une étude internationale menée par des centaines de chercheur·euses issus de 42 pays et visant à examiner la prévalence du burn-out parental. Les résultats publiés dans Affective Science sont surprenants. « La prévalence varie beaucoup d’une culture et d’un pays à l’autre », explique Isabelle Roskam. « On aurait pu émettre l’hypothèse qu’elle allait être la même un peu partout mais que les raisons pour lesquelles on s’épuise allaient être différentes ». Ce n’est pas le cas.
Chacun pour soi
Ce sont les pays occidentaux riches et individualistes qui ont en moyenne peu d’enfants qui sont les plus touchés. Selon les scientifiques, la culture joue un rôle capital dans le burnout parental, plus que les facteurs socioéconomiques et sociodémographiques analysés dans l’étude. Leurs résultats montrent clairement que les valeurs d’individualisme qui caractérisent les pays occidentaux peuvent soumettre les parents à un niveau de stress plus élevé. Pourquoi ? Isabelle Roskam lance des pistes. « Nos pays individualistes cultivent le culte de la performance et du perfectionnisme. De plus, la parentalité y est une activité très solitaire, contrairement aux pays d’Afrique par exemple où tout un village se sent concerné par l’éducation des enfants », commente l’experte. Ces régions plus pauvres qui ont souvent beaucoup d’enfants sont en effet davantage collectivistes. Cette dimension semble jouer un rôle protecteur majeur vis-à-vis de l’épuisement des parents. Or la notion de collectivité manque cruellement dans nos civilisations occidentales, encore plus en cette période de crise sanitaire. Les familles se retrouvent isolées et coupées de leurs relations sociales. Pour la chercheuse, une autre raison pourrait expliquer le lien entre burn-out parental et individualisme. Elle est liée aux injonctions contradictoires. « Dans nos sociétés, on vous conseille d’être à l’écoute de vos besoins. Quand vous devenez parent, pour bien remplir votre rôle, on vous demande d’entendre d’abord ceux de vos enfants. Du coup vous culpabilisez quand vous prenez du temps pour vous. Or c’est essentiel de s’occuper de soi ».
Le parent bon
Quelles mesures pourrait-on envisager pour prévenir le stress dans la parentalité ? « La première serait de raviver dans nos cultures la dimension de partage et d’entraide entre parents au sein d’une communauté plus ou moins large. Etre parent est un job complexe et on peut partager ses responsabilités avec d’autres adultes ou donneurs de soins. Il est important également de sortir du culte du parent parfait, s’octroyer la possibilité de faire des erreurs. Vive le retour du parent suffisamment bon ! ». Prévenir le burnout parental dans nos sociétés est capital. Parce qu’il peut avoir des conséquences psychiques dramatiques pour les parents et pour les enfants. « Nos études ont montré une augmentation très importante du risque de négligence et de violence à l’égard des enfants. Ils sont la source du stress et pour s’en protéger, le parent s’en éloigne ». Ce détachement affectif mène à des carences en matière d’éducation et de santé. Certains parents n’ont plus les ressources pour aider l’enfant à faire ses devoirs ou l’emmener chez le médecin. Autre danger, la violence verbale et physique dans des moments de forte irritabilité. « En consultation, on mesure combien les enfants se rendent compte que leurs parents sont en souffrance et qu’ils ont quelque chose à voir avec cette situation. Ils culpabilisent ».
Prendre distance
Cette étude constitue un socle sur lequel toute une série de recherches interculturelles peuvent être menées. « La dynamique collective du consortium que nous avons dirigé est essentielle », explique Moïra Mikolajczak. « Nous avons travaillé étroitement avec des expert·es issu·es de toutes les cultures concernées, les seul·es capables d’adapter les outils et les méthodes pour collecter les données dans leur pays, d’en garantir la validité et de les interpréter correctement. Ensemble, on est plus fort que tout seul ! ». Jusqu’à présent, toutes les études sur le burn-out parental se sont intéressées aux facteurs personnels : êtes-vous un parent perfectionniste ? Comment gérez-vous vos émotions ? Avez-vous de l’aide à la maison ?... « Comme dans le cas du burn-out professionnel, on pense d’abord aux variables individuelles mais on sait aussi que beaucoup d’autres éléments liés à l’entreprise interviennent. Les parents qui tombent en burn out exercent leur parentalité dans une contexte culturel particulier. Il faut en tenir compte pour traiter les symptômes ». L’étude permet également de prendre de la distance par rapport à la culture dans laquelle on vit. « C’est déculpabilisant. C’est se dire : ok, il ne s’agit pas que de moi. Je vis dans un environnement où circulent beaucoup de recommandations sur ce que les parents doivent faire ou ne pas faire. En soi, elles sont toutes bonnes » commente Isabelle Roskam. La question à se poser serait plutôt : comment puis-je m’approprier ces conseils pour en faire quelque chose de raisonnable et de juste pour moi, à mon niveau et dans ma situation ? « Etre ainsi ce parent suffisamment bon, pas le parent parfait. C’est une démarche importante qui permet de diminuer la pression qu’on se met à soi-même ».
Anne Mauclet
Le burn-out parental, c’est quoi ?
Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam ont été invitées à publier un article sur le phénomène de l’épuisement parental dans la prestigieuse revue Trends in Cognitive Sciences : "Beyond job burnout: parental burnout!".
Le burnout parental est un trouble survenant lorsqu’un parent est soumis à un excès de stress parental sans disposer de suffisamment de ressources pour en compenser l’effet. L’épuisement parental peut ainsi toucher tout parent qui cumule plus de risques que de ressources pendant trop longtemps (cf. Figure 1). Le parent s’épuise alors dans sa parentalité, jusqu’à devenir l’ombre de lui-même puis l’opposé du parent qu’il était et voulait être. Les conséquences du burnout parental peuvent être dramatiques, tant sur le parent lui-même (problèmes de santé, augmentation drastiques des idées suicidaires) que sur ses enfants (augmentation nette du risque de comportements de négligence et de violence parentale, verbale et/ou physique).
Figure 1. Processus étiologique à l’oeuvre dans le burnout parental (source : Mikolajczak & Roskam, 2018)