Modéliser pour prédire l’impact des mesures d’isolement, voilà à quoi doivent se raccrocher les autorités pour prendre leurs décisions face au COVID-19. Emmanuel Hanert, chercheur à l’UCLouvain, a adapté un modèle mathématique élaboré par des chercheurs Chinois afin de prédire l'évolution de la situation sanitaire en Belgique selon plusieurs scenarios.
Face à la pandémie du COVID-19, les pays adoptent des stratégies différentes et variables : immunité collective, distanciation sociale, confinement partiel ou total… A l’image de Boris Johnson, premier ministre du Royaume-Uni, les dirigeants adaptent ces stratégies en fonction des prédictions de l’impact sanitaire et économique des mesures plus ou moins extrêmes envisagées. Ces prédictions sont possibles grâce à des modèles mathématiques paramétrés en fonction des données (démographiques, hospitalières, etc.) propres à chaque pays.
Emmanuel Hanert, Professeur ordinaire et chercheur à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain s’est basé sur un modèle mathématique mis au point par des chercheurs Chinois pour l’appliquer à la Belgique. L’objectif ? Prédire l’effet des mesures de confinement (ou non) sur l’évolution de l’épidémie : est-ce que ces mesures permettent de limiter l’épidémie ? Dans quel délai l’épidémie disparaîtrait ? Avec quelle mortalité associée ? « Il est important de préciser que les modèles permettent de prédire un ordre de grandeur et une tendance, mais ne donnent pas des chiffres exacts. Il reste beaucoup d’incertitudes, ce n’est pas une boule de cristal », souligne Emmanuel Hanert.
Trois scénarios de distanciation sociale
Le scientifique a analysé les répercussions possibles de plusieurs cas de figure appliqués à partir du 7 mars dernier et sur une durée de 1,5 an, dont notamment les cas de figure suivants :
- En l’absence de mesures de distanciation/confinement
- Suite à un confinement léger n’empêchant pas l’augmentation du nombre de nouveaux cas. Comme celui actuellement appliqué aux PaysBas
- Suite à un confinement fort visant à faire décroitre directement le nombre de nouveaux cas et similaire à celui que nous vivons actuellement en Belgique
Dans le premier cas, sans mesures du tout, le modèle mathématique prédit un pic de l’épidémie après environ un mois. Au bout de 96 jours, près de 100% de la population a été touchée par la maladie et en est ressortie immunisée mais avec un très lourd tribut au COVID-19 : 80.000 décès. Le principe de cette approche est de laisser le virus largement circuler pour que la population survivante soit rapidement immunisée. Mais à quel prix ! Et encore le nombre de décès estimé ici est basé sur le taux de mortalité actuel de la maladie, un taux qui serait très certainement supérieur dans ce scénario étant donné la saturation de nos hôpitaux (avec 3% de la population belge à l’hôpital !) au bout de quelques jours seulement.
Un confinement léger, c’est-à-dire isoler les plus faibles et réduire les contacts, mènerait à une courbe d’épidémie plus étalée dans le temps ayant pour effet une diminution du nombre d’hospitalisations. C’est la méthode de l’immunité collective qui permet qu’une partie non négligeable de la population soit infectée. « En dosant bien le degré d’isolation, on pourrait arriver à juste ce qu’il faut pour avoir une immunité collective en minimisant les décès. Mais avec toujours une saturation des hôpitaux au bout d’une cinquantaine de jours, plusieurs dizaines de milliers de décès et une épidémie qui se terminerait au bout de plusieurs mois, voire une année. C’est donc une solution assez risquée », explique Emmanuel Hanert.
Avec un confinement fort tel que celui imposé actuellement en Belgique : dès le début, le nombre de personnes exposées à la maladie diminue. Le nombre d’hospitalisations est très réduit et est à peine au-dessus des capacités des soins intensifs. Le nombre de décès reste en dessous de 1000 mais une grande majorité de la population reste susceptible à la maladie, c’est-à-dire qu’elle n’a pas développé d’immunité contre la maladie. « Du coup la maladie disparaît au bout de quelques mois. Mais le hic c’est qu’après ce délai, si on enlève les mesures de confinement, il suffit que l’une ou l’autre personne infectieuse re-circule dans la population - ce qui est très probable vu les mesures différentes prises par les pays voisins - pour qu’on observe une seconde vague. Et ce, avec une épidémie et des chiffres comparables à ce qu’on aurait eu lors de la première vague sans mesures de confinement puisque la grande majorité de la population n’est pas immunisée », révèle le chercheur.
Donc : plus on diminue les contacts entre les gens, plus le pic de l’épidémie s’étale dans le temps, moins il y a des victimes. Mais moins il y a de personnes immunisées contre la maladie et plus le risque d’une seconde vague d’épidémie, qui pourrait être tout aussi dévastatrice que la première vague évitée grâce aux mesures, est bien réel.
Gagner du temps
Pour voir comment échapper à une telle seconde vague, Emmanuel Hanert a modélisé un scénario avec des périodes d’isolation qui se succèdent. « On pourrait imaginer isoler les gens tant que les hospitalisations sont au-dessus d’un certain pourcentage de la capacité du système hospitalier et lever l’isolement quand ces hospitalisations tombent en-dessous de ce pourcentage », explique-t-il. « Si on fait cela, la maladie infuse de manière plus progressive à travers la population tout en permettant aux hôpitaux de faire face pour prendre en charge les personnes qui ont des symptômes plus sérieux ». Un scénario qui est difficilement maîtrisable puisqu’il impliquerait d’imposer du jour au lendemain à la population de repasser en confinement à plusieurs reprises au cours des mois à venir.
Tant qu’il n’y a pas de vaccin, les gouvernements seront donc confrontés à ce dilemme : isoler pour réduire la mortalité versus arriver à l’immunisation d’une fraction importante de la population pour échapper à une seconde vague. Les mesures actuelles, outre d’éviter la rupture du système hospitalier, permettent de gagner du temps. « Ce dernier point est très important car les progrès sont très rapides, tant pour les traitements potentiels que pour les méthodes de diagnostiques et, à plus long terme pour un vaccin. Tout cela nous permettra d’appréhender une éventuelle seconde vague en étant bien mieux préparés ! », conclut Emmanuel Hanert.
Audrey Binet