Le prix GSK pour l'équipe de Sophie Lucas

Ce 14 décembre, la Professeure Sophie Lucas et son équipe de l’Institut de Duve de l’UCLouvain ont reçu le prestigieux prix GSK de l’Académie de Médecine. L’occasion de revenir sur leurs prometteuses recherches et découvertes dans le domaine de l’immunothérapie du cancer.

Tous les deux ans, le prix GSK de l’Académie de Médecine récompense des travaux dans les domaines de la vaccinologie et de l’immunologie. Ces travaux doivent apporter une contribution importante aux connaissances fondamentales ou cliniques et, éventuellement, avoir un impact pour le patient. Pour le cru 2019, c’est un groupe de recherche de l’Institut de Duve à l’UCLouvain, qui a reçu ce prestigieux prix. Sophie Lucas et son équipe sont récompensés pour les recherches menées dans leur laboratoire ces 5 à 10 dernières années à propos de l’immunologie des tumeurs

L'immunothérapie, une alternative prometteuse

Ce groupe de recherche de l’Institut de Duve étudie la réponse immunitaire que les patients cancéreux peuvent monter contre leur propre tumeur. « A long terme », explique la Pr. Sophie Lucas, « l’objectif est d’essayer de manipuler ces réponses immunitaires pour les rendre plus efficaces et permettre le rejet des cellules tumorale par le patient lui-même. » Ce serait une avancée incroyable dans le domaine de l’immunothérapie, qui est elle-même une belle alternative aux thérapies du cancer qui ciblent les cellules tumorales elles-mêmes, comme la chimiothérapie ou la radiothérapie. L’immunothérapie, au contraire, cible les cellules du système immunitaire, afin de les stimuler pour que, à leur tour, elles se retournent contre la tumeur du patient pour la détruire.

Les « Tregs », le point de départ des recherches

Aujourd’hui, Sophie Lucas est fière d’affirmer avoir développé avec son équipe un nouveau médicament qui commence tout juste à être testé chez les patients cancéreux pour cibler leur système immunitaire. Pour arriver à ce magnifique résultat (qui a encore du chemin à faire), l’équipe de l’Institut de Duve a progressivement fait des découvertes majeures ces dix dernières années. Premier pas : « En 2004-2005, on s’est demandé si certaines cellules du système immunitaire pouvaient jouer un rôle négatif chez les patients cancéreux », explique la chercheuse. En d’autres termes, certaines cellules diminuent-elles les réponses immunitaires antitumorales ? L’équipe soupçonnait que des lymphocytes T régulateurs (les Tregs) pourraient en effet être très toxiques pour les patients cancéreux. Les Tregs régulent tellement le système immunitaire qu’ils diminuent l’efficacité des cellules immunitaires supposées éliminer les cellules cancéreuses. Résultat : le système immunitaire n’est plus efficace pour lutter contre le cancer qui progresse.

La découverte du messager TGF-beta

Lors de cette première découverte, personne ne savait comment ces « Tregs » fonctionnaient. Comment ces cellules parviennent-elles à diminuer l’efficacité des cellules immunitaires antitumorales chez l’Homme ? Dans le laboratoire de Sophie Lucas, les chercheurs ont cloné et cultivé in vitro les Tregs pour en arriver à une découverte majeure : les Tregs fonctionnent en produisant un messager inter-cellulaire. Cette molécule, appelée TGF-beta, transmet en effet des messages depuis les Tregs vers d’autres cellules. Ce messager possède la faculté d’inhiber les cellules immunitaires anti-tumorales, diminuant ainsi leur efficacité. Le coupable en chair et en os était donc révélé. Quoique… La recherche ne s’est pas arrêtée là, et en 2009, l’équipe s’est rendu compte que les Tregs avaient besoin d’une autre molécule, située à leur surface, pour produire ces messagers. Une sorte de complice, appelé GARP. En quelques années à peine, l’équipe de Sophie Lucas a donc identifié les Tregs, le TGF-beta et GARP comme trois acteurs majeurs qui diminuent les réponses immunitaires antitumorales.

Un nouvel outil thérapeutique

L’équipe a ensuite cherché à développer des agents thérapeutiques (des anticorps monoclonaux) qui empêchent les Tregs d’émettre le messager TGF-beta par l’intermédiaire de GARP. En 2015, ils ont obtenu un tel outil thérapeutique, en dérivant un anticorps monoclonal capable de bloquer GARP et la production de TGF-beta par les Tregs. En 2018, l’équipe a réussi à visualiser la structure tridimensionnelle de GARP liant le TGF-beta à la surface des Tregs. Par la même occasion, les chercheurs ont compris comment leur anticorps monoclonal pouvait empêcher l’émission du messager TGF-beta inhibiteur, et donc jouer un rôle potentiel de médicament.

Les prémices des essais cliniques

Grâce à l’ensemble de ces observations, l’équipe a commencé à réaliser des tests chez la souris afin de voir si l’anticorps monoclonal anti-GARP pouvait soigner des souris cancéreuses. « Les résultats de ces tests ne sont pas encore publiés », explique Sophie Lucas, « Il semble toutefois que ce médicament fonctionne chez la souris. L’administration de cet anticorps monoclonal parvient à induire le rejet de certaines tumeurs. » Cette découverte prometteuse a éveillé l’intérêt d’une firme pharmaceutique, qui a pris ces anticorps en licence en août 2018. « Les essais cliniques chez l’Homme viennent de commencer. Quelques premiers patients atteints de cancer viennent d’être injectés avec nos anticorps monoclonaux anti-GARP », signale, enthousiaste, la chercheuse, en juillet 2019.

Et maintenant?

Quels sont les prochaines étapes de cette recherche qui a déjà bien avancé sur le chemin de l’immunothérapie du cancer ? « Elles sont multiples », répond Sophie Lucas. « Aujourd’hui, un tas d’horizons s’ouvrent à nous ». Première étape : si les essais cliniques donnent des résultats encourageants, l’équipe aura accès à des biopsies prélevées chez des patients traités avec l’anticorps anti-GARP. Les chercheurs pourront analyser ces échantillons, et vérifier que la molécule fonctionne comme ils le pensent. « A ce moment-là, ce sera aussi l’occasion de voir si on peut combiner nos anticorps avec d’autres médicaments anti-tumoraux pour en améliorer l’efficacité. » Deuxième étape : quels que soient les résultats des essais cliniques, le groupe de recherche va continuer à travailler sur les aspects très fondamentaux de la biologie du TGF-beta et de GARP. « Il n’y a pas que les Tregs qui produisent le TGF-beta via GARP. On sait que d’autres cellules le font également, mais on ne sait pas à quoi cela sert », ajoute la chercheuse. Quelle est la fonction de GARP et du TGF-beta produit par ces autres cellules : est-elle de systématiquement diminuer les réponses immunitaires ? Ou ces acteurs jouent-ils d’autres rôles ? « Pour mieux comprendre la biologie de cet ensemble de molécules magnifiques, nous élargirons notre domaine d’expertise, actuellement essentiellement focalisé sur le cancer, pour nous intéresser aux infections chroniques ou aux maladies auto-immunitaires, par exemple », complète Sophie Lucas. Parmi toutes ces belles avancées, quand pourrions-nous voir apparaître un médicament efficace ? « Il faudra encore 3 à 5 ans pour voir si notre médicament montre des signes d’efficacité sans toxicité excessive pour les patients qui souffrent de cancer », répond Sophie Lucas. Le prix reçu ce 7 septembre a sans nul doute motivé l’équipe de l’UCLouvain à poursuivre ses recherches vers l’eldorado : soigner les patients cancéreux avec l’immunothérapie.

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Sophie Lucas

Sophie Lucas obtient un diplôme de docteur en médecine de l’UCL en 1994, puis un diplôme de docteur en sciences biomédicales en 2000 pour ses travaux en immunologie des tumeurs, réalisés dans le laboratoire du professeur Thierry Boon à l’Institut Ludwig pour la Recherche sur le Cancer. Elle effectue ensuite un séjour post-doctoral de deux ans dans la compagnie de biotechnologie Genentech, à San Francisco, où elle étudie de nouvelles cytokines et leurs récepteurs dans le laboratoire de Frédéric de Sauvage. En 2004, elle fonde son propre groupe de recherche à l’Institut de Duve, sur le campus de la faculté de médecine de l’UCL. Chercheur qualifié du FNRS depuis 2008, elle devient Professeur en Immunothérapie du Cancer auprès de l’UCL en octobre 2016. Ses recherches portent sur le rôle des lymphocytes T régulateurs dans la suppression des réponses immunitaires chez l’homme, et plus particulièrement chez les patients souffrant de cancer. Son laboratoire a découvert un mécanisme jusque-là inconnu, permettant aux lymphocytes T régulateurs de produire une cytokine immunosuppressive connue sous le nom de TGF-beta. Ce mécanisme requiert une protéine appelée GARP, et GARP peut être ciblé thérapeutiquement avec des anticorps monoclonaux. Ces recherches ouvrent donc des perspectives de développement d’une nouvelle approche d’immunothérapie du cancer.

Portrait vidéo de Sophie Lucas

 

Publié le 14 décembre 2019