Les mécanismes du mélanome mieux compris

L’équipe d’Anabelle Decottignies vient de découvrir que le mélanome ne se développe pas comme la plupart des autres cancers. Ce qui le rend plus difficile à combattre. Explications.

Depuis plus de 15 ans, Anabelle Decottignies, Maître de recherche FNRS à l’Institut de Duve s’intéresse aux télomères, des structures qui se trouvent à l’extrémité de chacun de nos chromosomes. « Ces structures spécialisées protègent l’extrémité des chromosomes mais dans certains cas, elles dysfonctionnent ce qui permet le développement de cancer. Raison pour laquelle nous nous y intéressons », explique la scientifique.

Notre ADN est malmené quotidiennement

Pour mieux comprendre ces travaux, il faut se pencher sur les mécanismes à l’origine des cancers, c’est-à-dire les attaques que subit notre ADN. Tous les jours l’ADN de nos cellules ne subit pas moins de 60.000 dommages sous l’effet de la pollution, des radiations du soleil mais aussi par le simple fait de vivre et de respirer. « Heureusement, la plupart de ceux-ci sont immédiatement corrigés par les systèmes de réparation de nos cellules », souligne Anabelle Decottignies. « Toutefois, ces systèmes ne sont pas infaillibles et certains dommages persistent. Avec le temps, ils s’accumulent et finissent par donner naissance à des mutations. Or, c’est précisément l’accumulation de mutations dans notre génome qui augmente le risque de développer des cancers. Ce qui explique pourquoi l’âge fait partie du facteur de risque le plus important dans le cas des cancers. »

Premier système de protection : le vieillissement cellulaire

Reste que la nature est relativement bien faite puisqu’elle a mis en place des mécanismes qui entravent le développement des cancers. Actuellement deux systèmes de défense sont particulièrement bien connus des scientifiques. « Le premier est ce que l’on appelle le vieillissement cellulaire : nos cellules possèdent une horloge biologique qui les amène progressivement, au fil des divisions cellulaires, vers un état dit de sénescence. Elles diminuent alors progressivement leurs activités. Plus précisément, cette horloge biologique se situe à l’extrémité de nos chromosomes au niveau des télomères : avec le temps, les divisions cellulaires font raccourcir les télomères et lorsque leur longueur passe sous un seuil, la cellule enclenche son programme de sénescence ce qui la rend notamment résistante au cancer. » Cependant, ce système ne fonctionne pas tout le temps ! En effet, certaines mutations peuvent empêcher la cellule d’enclencher ce programme de sénescence. Résultat : ces cellules plutôt que de ralentir leurs activités continuent leur course vers le cancer.

Second système de protection : la mort cellulaire

Ici aussi la nature a prévu une parade baptisée mort cellulaire. Ainsi, les cellules qui échappent au programme de vieillissement cellulaire sont rapidement confrontées à un second système de protection de l’organisme. « Ces cellules étant relativement âgées, c’est-à-dire qu’elles ont déjà subi de nombreuses divisions cellulaires, leurs télomères sont devenus hyper courts. Or, lorsque les télomères des chromosomes d’une cellule atteignent une taille critique, la mort de celle-ci est enclenchée. La majorité des cellules ayant réussi à passer le premier système de protection est donc stoppée par le deuxième ! D’ailleurs, si ces multiples protections n’existaient pas, les taux de cancers seraient bien supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui », poursuit Anabelle Decottignies. Seules quelques rares cellules qui ont échappé à ces deux mécanismes de protection acquièrent des mutations qui permettent d’activer le maintien de leurs télomères. Dans environ 90% des cancers, la télomérase, l’enzyme embryonnaire capable d’allonger les télomères, est réactivée. Elles deviennent alors immortelles et peuvent engendrer des cancers.

Zoom sur le mélanome

Conscients du rôle des télomères dans le développement des cancers, les chercheurs de l’équipe d’Anabelle Decottignies se sont intéressés à leur implication dans le mélanome, la forme la plus dangereuse de cancer de la peau. Pour en savoir plus, ils ont analysé une quinzaine de tumeurs collectées par l’Intitut Ludwig auprès de patients atteints de mélanome. Ce qui leur a permis de faire une découverte surprenante : « Ces analyses nous ont permis de constater que ce que l’on croyait vrai pour tous les cancers ne l’est pas pour le mélanome : ce type de cancer semble pouvoir se développer à partir de cellules encore « jeunes » possédant de longs télomères. Une particularité qui leur permet non seulement d’éviter la première barrière protectrice imposée par le vieillissement cellulaire dans des cellules aux télomères raccourcis, mais leur épargne également la deuxième où une mort cellulaire massive est activée en réponse à des télomères hyper courts ».

La taille des télomères influence la survenue de cancer

Les résultats obtenus par les chercheurs de l’UCL expliquent que certaines personnes génétiquement programmées pour avoir des télomères plus longs que la moyenne des personnes du même âge, sont plus sujettes à développer un mélanome alors que, pour la presque totalité des autres cancers, c’est la situation inverse qui est observée. « En effet, d’ordinaire, ce sont les personnes génétiquement programmées pour avoir des télomères plus courts que la moyenne des personnes du même âge qui présentent un risque accru de développer un cancer. Et pour cause, leurs cellules vieillissent plus vite. » Des résultats confirmés par le groupe australien du Professeur Roger Reddel, du Children’s Medical Research Institute de Sydney. Celui-ci est arrivé aux mêmes conclusions en analysant des neuroblastomes, un cancer infantile qui prend naissance dans les cellules nerveuses immatures du système nerveux sympathique (Les neuroblastes). Leurs travaux sont publiés dans le même numéro de Cell Reports.

Des implications sur les traitements et la prévention

Ces observations remettent en cause la manière de traiter ce type de cancer : il semble inutile de proposer un traitement qui ciblerait la télomérase comme c’est le cas pour d’autres cancers. « En outre, protéger ses enfants du soleil est primordial car, dans le cas du mélanome, c’est d’avantage lui que l’âge qui remporte la palme du meilleur facteur de risque ! », conclut Anabelle Decottignies.

Elise Dubuisson

 

Coup d'oeil sur la bio d'Anabelle Decottignies

Portrait Anabelle Decottignies

1992 :                 Diplome d'Ingénieure chimiste et des bio-industries (UCL)

1992-1998 :       Doctorat en Ingénieur chimiste et des bio-industries (UCL) avec le Prof. André Goffeau

1999-2001 :       Post-doctorat, Imperial Cancer Research Fund, London, UK avec Sir Paul Nurse

2001-2002 :       Chargé de Recherches FNRS, FYSA, UCL-LLN

2002-2004 :       Chargé de Recherches FNRS, Institut de Duve, UCL-LEW

2004-2014 :       Chercheur Qualifié FNRS, Institut de Duve, UCL-LEW

Depuis 2014 :    Maître de Recherches FNRS, Institut de Duve, UCL-LEW

Publié le 21 juin 2017