Les RH, un métier en mutation

Une équipe de la Louvain School Management de l’UCLouvain a publié un « white paper » sur la gestion des ressources humaines dans le secteur non marchand. Ces métiers mal connus sont en première ligne pour appréhender les transformations actuelles et futures du travail.

Les gestionnaires des ressources humaines (GRH) ont un impact énorme sur la vie des travailleurs d’une organisation(1). « Et ils assument de lourdes responsabilités, comme en témoigne le procès “France Telecom”(2) », explique Laurent Taskin, professeur à la Louvain School of Management. « Pourtant, ce métier et les défis auxquels sont confrontées les personnes qui l’exercent sont méconnus et/ou mal compris. Notamment parce que le métier est encore en cours de professionnalisation. À l’Université, par exemple, le master en GRH n’existe que depuis 2007. »

C’est pour mieux appréhender cette profession que le Pr Taskin et son équipe ont rassemblé, à deux reprises, un panel composé d’une trentaine de responsables RH du secteur public et non marchand. Quelles sont les spécificités de leur métier ? À quels défis sont-ils confrontés ? Quelles compétences et conditions faut-il pour (bien) exercer ce métier et lui donner sens ? Les résultats de cette enquête ont été publiés dans un « white paper »(3) accessible ici.

3 grands enjeux

Actuellement, les directeurs des ressources humaines (DRH) dans le secteur public et non marchand sont confrontés à 3 grands enjeux sociétaux qui représentent autant de défis dans l’exercice de leur métier :

  1. La digitalisation et la robotisation. Comment les nouvelles technologies vont-elles transformer, voire se substituer à certaines tâches effectuées jusque-là par des humains ? Cette question taraude nombre de DRH. « L’enjeu, pour eux, est de veiller à l’humanisation du travail », commente le Pr Taskin. « Car, quand les technologies menacent de remplacer l’humain, les travailleurs et les travailleuses revendiquent d’autant plus leur humanité et attendent davantage d’être traité.e.s humainement. »
  2. La financiarisation du management consiste à réduire le travail humain à des indicateurs financiers via des objectifs chiffrés, des tableaux de bord, des reportings, etc. Cette « philosophie » de la performance vient du secteur privé et a été progressivement imposée au secteur public et non marchand. « Cette vision a pour conséquence une abstraction du travail, de sa qualité », explique le Pr Taskin. « Dans un hôpital, par exemple, la financiarisation du management se traduit par le nombre de patients qu’un infirmier doit voir durant sa journée, le nombre d’actes qu’il doit poser. Un chiffre qui ne tient pas compte de la qualité des soins prodigués… Or, cet aspect est fondamental pour évaluer correctement son travail. »
  3. La perte de centralité du travail. La valeur « travail » occupe de moins en moins de place dans la vie des individus, au profit d’autres valeurs : la famille, les amis, les loisirs, etc. Plusieurs phénomènes en témoignent : le souci croissant d’équilibrer vie privée et vie professionnelle, la réduction constante du temps de travail contractuel(4), les expériences-pilotes sur la semaine de 4 jours ou l’allocation universelle, etc. « L’enjeu, pour les DRH, est dès lors de rendre le travail attractif, notamment en proposant un projet de carrière personnalisé à chaque travailleur.se. »
L’humain comme ressource

La plupart des DRH du secteur public et non marchand n’adhèrent pas à ce que recouvre la dénomination même de leur profession. « Dans “DRH/GRH”, l’humain est considéré comme une ressource à exploiter », explique le Pr Taskin. « Or, à moyen et long terme, cette conception du travail est contreproductive, car elle détruit plus de valeur qu’elle n’en produit ! Elle crée de la souffrance, épuise les gens, les démotive, etc. En témoigne le nombre croissant de burn-out, par exemple. Or, une alternative est possible : le management humain. »

Qu’est-ce que le management humain ?

Plus qu’un slogan, le management humain est un modèle qui met l’accent sur la dimension humaine, réflexive et collaborative du management. « Il faut oser questionner sa conception de l’humain, impliquer les parties prenantes, se centrer sur l’expertise et le travail et viser la reconnaissance au travail », explique le Pr Taskin. « Dans un hôpital, par exemple, il s’agit d’offrir les meilleurs soins possible au patient. Pour ce faire, le management humain consiste à réunir les travailleur.se.s – qui sont bien placé.e.s pour connaitre les réalités du terrain ! – et réfléchir ensemble aux moyens d’améliorer la qualité des soins. Dans ce cadre, le but du management humain est la reconnaissance du travail dans ses dimensions subjective, objective et collective. Il est là pour identifier les expertises, les valoriser et aider les travailleur.se.s à les développer ou les approfondir. En ce sens, le management humain est au service des métiers et des personnes dont l’organisation a besoin pour remplir au mieux ses missions. »

Candice Leblanc

(1) Organisation s’entend ici au sens d’entreprise, d’institution ou d’administration.
(2) Le 6 mai 2019 s’est ouvert le procès « France Telecom ». Le haut management y est accusé de harcèlement moral sur l’ensemble du personnel en 2008-2009. Harcèlement qui serait à l’origine d’une vague de suicides (35 personnes) et de dépressions parmi les employés de l’entreprise.
(3) Un « white paper » est un rapport de recherche vulgarisé sur l’état d’une question à un moment donné.
(4) En un siècle, le temps de travail annuel moyen d’un salarié en Belgique a été presque divisé par deux : 2701 heures en 1911 contre 1387 heures en 2014.

Coup d’œil sur la bio de Laurent Taskin

Laurent Taskin est professeur à la Louvain School of Management depuis 2007. Expert reconnu des questions liées aux transformations du travail, des organisations et du management, il participe à la mise en œuvre d’un management humain et responsable dans les organisations. Il est titulaire d’un master en économie appliquée, d’un DEA en sciences de gestion et d’un titre de docteur en sciences économiques et de gestion de l’UCLouvain. Éditeur-en-chef de la revue International Journal of Work Innovation et titulaire de la Chaire laboRH en Management humain et transformations du travail, il est ou a été professeur invité dans plusieurs universités étrangères : Université de Warwick (UK), UQAM et Université Laval (Canada), City University of London (UK), etc.

Publié le 26 juin 2019