Les sols, atout majeur pour stocker le carbone


© Wikimedia Commons : Hélène Rival, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons Terrain agricole dans la plaine du Forez, Les Massards, Loire.

 

Le CO2 absorbé par les plantes se retrouve sous forme de carbone dans la matière organique qui compose les sols de notre planète. Le programme 4 pour 1000 lancé suite à la COP21 en 2015 vise à augmenter de 0,4% la teneur en carbone des sols, ce qui suffirait à stopper l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère et de renforcer la sécurité alimentaire.

Chaque année, 30% du CO2 que nous rejetons dans l’atmosphère sont récupérés par les plantes qui l’utilisent lors de la photosynthèse. Lorsque les plantes meurent, elles sont transformées par les micro-organismes (bactéries, champignons, vers de terre, etc.) en matière organique (humus) qui est donc riche en carbone (58% de sa masse) et est indispensable à notre alimentation car elle retient l’eau, l’azote et le phosphore nécessaires à la croissance des plantes. Les sols contiennent ainsi deux à trois fois plus de carbone que l’atmosphère. Le but est donc d’augmenter cette teneur de 0,4% (4 pour 1000) par an dans la couche superficielle (30 à 40 cm) du sol, ce qui suffirait à stopper l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère. Et vu le rôle de cette matière organique, cela permettrait donc aussi de renforcer la sécurité alimentaire, de produire davantage de nourriture. Un double avantage donc.

Divers partenaires (pays, régions – dont la Wallonie, seule représentante belge-, instituts de recherche ou ONG) prennent part à cette initiative. Une réunion de certains d’entre eux en 2019 en France vient de déboucher sur la publication dans Nature Communications[1] d’un article qui peut être considéré comme une feuille de route pour l’implémentation de ce dispositif au niveau mondial.

Les tourbières, des étendues à préserver !

Bas van Wesemael, Professeur de géographie physique au Earth and Life Institute faisant partie des 2% des scientifiques les plus influents du monde selon le récent classement de l’Université de Stanford, est cosignataire de l’article : « Accroître une quantité de 4 pour 1000, cela paraît simple. Mais le problème est de mettre cela en œuvre au niveau mondial. Et il y a d’abord de nombreuses questions théoriques à étudier. » Et Bas van Wesemael d’en soulever une, qui paraît presqu’anodine : pourquoi les sols ont-ils perdu du carbone au fil du temps ? Car les sols cultivés perdent du carbone depuis des millénaires, depuis l’invention de l’agriculture pourrait-on dire. Le cycle du carbone est en effet à l’équilibre en milieu naturel mais si l’on défriche par exemple des forêts pour faire place à des sols cultivés, il ne l’est plus : il y a moins de matière organique qui se forme, ne serait-ce que parce qu’une partie est exportée sous forme de récolte : betteraves et céréales qu’on enlève de nos champs n’y retournent pas pour former de la matière organique ! Les solutions sont pourtant connues : réduire la déforestation bien sûr, mais aussi encourager des pratiques agro-écologiques qui favorisent cette rétention du CO2. Comme ne pas laisser le sol à nu pour éviter les pertes de carbone ; restaurer les cultures, les pâturages et forêts, planter des arbres et des légumineuses qui fixent l’azote de l’atmosphère dans le sol, nourrir le sol de fumier, labourer moins, etc.

Le Professeur van Wesemael cite aussi un autre exemple préoccupant : celui des tourbières. Certes, elles sont peu présentes chez nous mais constituent d’immenses étendues en Sibérie, en Ecosse ou au Canada. « Il faut absolument éviter qu’elles se minéralisent, insiste-t-il. Si on les draine pour cause d’urbanisation comme c’est le cas aux Pays-Bas ou pour implanter des cultures à leur place comme l’huile de palme en Indonésie, elles s’assèchent, il y a davantage d’oxygène qui y entre et les micro-organismes sont plus actifs donc rejettent davantage de CO2. »

Cartographier le carbone du sol

Pour pallier un éventuel manque de carbone dans le sol, il faut évidemment savoir où se situe ce manque. C’est la tâche de l’équipe du Professeur Bas van Wesemael : produire des cartes, notamment de la Wallonie, où les carences apparaissent en un coup d’œil. « Les cartes actuelles ont été établies à partir des analyses de routines à la demande des fermiers. Chaque année en effet, ces derniers doivent faire analyser leur sol pour connaître la quantité d’engrais qu’ils pourront épandre. La teneur en carbone est une des données relevées, d’où nos cartes qui sont ainsi régulièrement mises à jour, ce qui permet d’observer des évolutions. » Lesquelles, soit dit en passant, ne sont guère favorables sauf, mais c’est marginal, en province de Luxembourg. Des renseignements précieux qui ne concernent d’ailleurs pas seulement le changement climatique. « S’il y a trop peu de carbone dans le sol, précise le chercheur, les mottes de terre sont fragiles. En cas de fortes pluies il y a donc davantage de risques de ruissellement et d’inondations. En outre, les pesticides et les herbicides sont fort absorbés par la matière organique ; s’il y a peu de carbone (donc peu de matière organique puisque celui-ci en représente environ 58%), il faut limiter l’emploi des herbicides et pesticides car ils s’écouleront très vite dans les nappes phréatiques. »

Depuis peu, les chercheurs de l’UCLouvain sont passés à la détection par satellite ; ils viennent d’ailleurs de décrocher un contrat avec l’ESA (Agence spatiale européenne) pour ce faire. Cela permet de dresser des cartes très précises, parcelle par parcelle à condition qu’elles soient sans végétation. Et qui révèlent parfois des surprises : dans les alentours de Gembloux des taches rondes révèlent de fortes teneurs en carbone dans certains champs : ce sont les traces laissées par les anciens fours à charbon de bois, combustible nécessaire pour la sidérurgie d’avant la révolution industrielle !

Henri Dupuis
 

Coup d’œil sur la bio de Bas van Wesemael

Originaire des Pays-Bas, Bas van Wesemael décroche son Doctorat en science environnementale en 1992 à l’Université d’Amsterdam. Il est ensuite chercheur post-doctorant d’abord à la KU Leuven puis à la Middlesex University au Royaume-Uni. En 1999, il est nommé chargé de cours à l’UCLouvain et Professeur ordinaire en géographie physique depuis 2009. Il est spécialisé dans les sciences du sol. A deux reprises, en 2019 et 2020, il a été nommé Clarivate Analytics Highly Cited Researcher.

 

[1]Towards a global-scale soil climate mitigation strategy, W. Amelung et al., Nature Communications 11, 2020, https://www.nature.com/articles/s41467-020-18887-7

Publié le 19 janvier 2021