Évolution démographique oblige, la question des pensions se pose à tous les gouvernements. Rencontre avec le Professeur Pierre Devolder qui vient de créer une chaire d’excellence Ethias et a lancé avec d’autres collègues un projet ARC (Actions de recherche concertées) interdisciplinaire sur le sujet.
L’UCLouvain ne s’en cache pas : les pensions sont devenues un thème de recherche prioritaire. Tout commence par une rencontre entre un actuaire -Pierre Devolder- et une juriste -Alexia Autenne- qui partagent le même constat : le sujet est multidisciplinaire. En 2014, ils se tournent vers la Fondation Louvain afin qu’elle les aide à financer une chaire à développer selon trois axes. La recherche tout d’abord avec le recrutement de deux chercheurs post doctorants qui étudient des nouveaux mécanismes pour les régimes de pension publics et complémentaires. L’enseignement ensuite avec la création d’un certificat de formation continue en droit et financement des pensions. Des activités de diffusion des connaissances enfin avec l’organisation, tous les deux mois, des rencontres (les « Pensions’ Mornings ») à destination de professionnels du secteur. Mais cette initiative était financée grâce à un legs qui, comme tous les legs, finit par s’épuiser. La Fondation Louvain et les Professeurs Autenne et Devolder ont alors cherché un autre partenaire. Ils l’ont trouvé en la personne de l’assureur Ethias avec lequel ils viennent de créer une Chaire d’excellence sur les pensions complémentaires (le deuxième pilier, lire l’encadré).
« En parallèle, explique Pierre Devolder, Professeur d’actuariat et de finance, chercheur à l’Institut de statistique, biostatistiques et sciences actuarielles (ISBA) nous avons monté un projet ARC (lire l’encadré) dans le cadre de la dynamique Louvain4ageing, mais en étendant le périmètre de nos futures recherches. Nous l’avons donc construit avec deux économistes (les Professeurs Jean Hindriks et Vincent Vandenberghe) et un philosophe (le Professeur Axel Gosseries). » Grâce à cet ARC et la chaire Ethias, le groupe ‘pensions’ de l’UCLouvain compte désormais une quinzaine de chercheurs en plus des cinq académiques promoteurs du projet. Un noyau qui montre l’importance que l’UCLouvain- notamment à travers son réseau Louvain4ageing- accorde à la problématique générale du vieillissement. « Pour l’université, il ne s’agit pas seulement de recherches académiques, précise Pierre Devolder. Il y a aussi un message sociétal important. On essaie d’éclairer le futur, de trouver des solutions aux questions que se posent les pouvoirs publics et la population. » Une implication dans la société encore renforcée par la présence de Pierre Devolder et Jean Hindriks au sein du Conseil académique des pensions, assemblée de 12 experts qui conseillent le gouvernement et les partenaires sociaux.
Changement fondamental
La raison de toute cette agitation autour des pensions est évidente : nos systèmes ont souvent été créés après la seconde guerre mondiale et le monde d’alors n’est plus celui d’aujourd’hui. « Nous sommes face à un changement structurel fondamental, se réjouirait presque Pierre Devolder : la démographie -le vieillissement ne fait que commencer-, la durée et le rythme des carrières, tout change ! »
Si notre système est aujourd’hui mis à mal, n’est-ce pas parce qu’il est entaché d’une faute originelle à savoir son système de financement ? « Oui et non, répond Pierre Devolder. Il y a deux manières de financer le système : la répartition et la capitalisation. Après la guerre, les fondateurs de notre sécurité sociale ont choisi la répartition : les actifs d’aujourd’hui paient les retraités d’aujourd’hui ; il y a donc transfert direct d’argent entre générations. Ils auraient pu choisir la capitalisation : chaque génération épargne pour elle-même. Les deux camps se sont affrontés de manière assez tranchée. Les partisans de la capitalisation faisaient valoir que chacun doit être responsable ; qu’on ne laisse pas de dettes à ses enfants ; que cela permet d’insuffler de l’argent dans l’épargne collective. A l’inverse, ceux qui défendaient la répartition ont mis en avant la solidarité indispensable en cas d’accident de la vie et les problèmes d’inflation et de crash financier qui ont miné les systèmes de capitalisation entre les deux guerres. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut un mix des deux systèmes.»
SAS : un projet pour le premier pilier
C’est pourquoi le but du projet ARC est de développer un système de pension qui répond à trois objectifs parfois contradictoires. Le premier : la soutenabilité financière. Un système de pension n’a en effet de sens que s’il est payable. Le deuxième : l’adéquation sociale. Si le système soutenable conduit à la pauvreté des personnes âgées, rien n’aura été résolu ! Il doit être juste et équitable. Le troisième : il doit être sûr, notamment au niveau juridique. Il faut veiller à la gouvernance des systèmes. D’où le nom du projet : SAS, Sustainable, adequate and safe.
Chacun dans son domaine, selon son angle de vue, les chercheurs vont tout d’abord examiner différents systèmes à travers le monde (pour mémoire, dans l’UE, il n’y a pas deux systèmes identiques de pension !). Ensuite, ils vont construire notamment des modèles stochastiques, sur base d’analyses de risques (démographiques, financiers, inflationnistes, etc.), et non plus des scénarios médians comme on l’a trop fait. « La moyenne, c’est ce qui n’arrivera jamais », aime à répéter Pierre Devolder. Enfin, les données seront introduites dans ces modèles afin de disposer de simulations fiables.
Bien des questions se posent en effet par rapport à notre système actuel. L’une d’elles, et non la moindre, étant son caractère inégalitaire. « Etant basé sur un âge uniforme de retraite, notre système organise un transfert d’argent des pauvres vers les riches, constate Pierre Devolder. Toutes les études montrent en effet que les gens plus riches, plus diplômés vivent plus longtemps que les autres et cette différence se chiffre en années, non en mois. » Un des moyens de résoudre cette contradiction serait de se baser non plus essentiellement sur un âge uniforme de retraite mais sur la durée d’une carrière (les plus diplômés, donc les plus hauts revenus, commençant en général une carrière plus tardivement). Cela a déjà été suggéré par le Conseil académique des pensions mais le projet SAS va notamment affiner les corrélations entre espérance de vie, niveau social et diplômes afin de modéliser un tel système.
Une autre piste de réforme est celle du système à points. Une piste fort débattue sous la précédente législature mais sur laquelle les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à se mettre d’accord. Face aux critiques, notamment sur la valeur des points, Pierre Devolder propose un compte pension exprimé en euros, ouvert pour chaque affilié (lire à ce propos son très intéressant article qui vient de paraître dans la revue Regards Economiques )
Le deuxième pilier : rente ou capital ?
Si le projet ARC est pour l’essentiel consacré à des études sur le premier pilier, la chaire Ethias est, pour sa part, totalement dévolue au deuxième pilier.
Ici aussi, bien des questions se posent. Comme par exemple l’impact qu’auraient des modifications sur le premier pilier. Ou quel est le niveau optimal de partage entre premier et deuxième pilier ? Faut-il le rendre obligatoire comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas ? Faut-il l’étendre aux fonctionnaires comme on a commencé à le faire avec les contractuels des provinces et des communes ?
En Belgique, le deuxième pilier est à l’heure actuelle à plus de 90% un système qui verse un capital : l’âge de la retraite venu, l’ensemble de la somme épargnée est versé au bénéficiaire. « Pourtant, fait remarquer Pierre Devolder, un régime de retraite est par essence un régime qui vous octroie une pension, un revenu régulier pour remplacer le salaire. C’est comme ça que fonctionne le premier pilier. Mais le deuxième pilier est devenu une sorte de compte d’épargne. Le Belge n’a pas confiance, il sait que s’il décède avant l’âge de la retraite ou peu de temps après, il aura tout perdu. Pourtant, il devrait se rappeler que d’un autre côté, s’il vit très longtemps, son capital aura fondu, il l’aura utilisé bien avant son décès. » Le débat entre les deux tendances s’est installé avec les assureurs au centre du jeu. Car opter pour la rente (la possibilité existe toujours au niveau légal), signifie pour eux devoir supporter le risque de la longévité. Un risque à long terme, difficile à prévoir. Mais d’un autre côté il n’y a pas de client plus fidèle pour un assureur que celui qui a une rente viagère. Qui va pouvoir être fidélisé dans d’autres produits. « Et dans le monde de demain, conclut Pierre Devolder, l’épargne sera de plus en plus dans les mains des retraités, donc ne faut-il pas revenir plutôt à des rentes ? »
Henri Dupuis
Le système des pensionsEn Belgique, le système des pensions comporte trois piliers. Le premier consiste en une rente viagère (un montant perçu chaque mois par le bénéficiaire jusqu’à sa mort) versée par l’Etat (la sécurité sociale). Tous les travailleurs et les employeurs ont l’obligation de participer au système par le versement de cotisations. Le montant de la rente est fonction de différents facteurs parmi lesquels le statut, la durée de la carrière, le montant des revenus perçus lorsqu’on était actif. Le deuxième pilier est dit complémentaire. Il est organisé par les entreprises (ou certaines administrations) au bénéfice de leurs seuls membres. Il est libre et tant les bénéficiaires que les employeurs y participent. Le troisième pilier, contrairement aux deux précédents, relève de l’initiative individuelle et non plus collective. Chacun, dans la mesure de ses moyens et envies, peut en effet souscrire dans le cadre de l’épargne pension, un contrat auprès d’une compagnie d’assurances ou d’une banque. |
Les ARCLes Actions de Recherche Concertées sont une initiative de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour favoriser l’émergence de nouvelles équipes interdisciplinaires. Elles visent au développement de centres universitaires ou interuniversitaires d’excellence en recherche fondamentale dans des domaines considérés comme prioritaires par les académies universitaires. Après déclaration d’une manifestation d’intérêt, les promoteurs sélectionnés doivent remettre un dossier qui explique le projet, le budget, les actions de diffusion, etc. et le défendre devant le Conseil de la Recherche et des lecteurs externes. Les ARC s’étendent en principe sur 5 ans et sont dotées d’un financement important permettant l’engagement et le travail de plusieurs chercheurs sur cette durée. |
Coup d'oeil sur la biographie de Pierre Devolder
Pierre Devolder est licencié en sciences mathématiques de l’ULB (1981). « Je n’ai pas seulement choisi ces études car j’y réussissais bien dans le secondaire mais aussi pour le caractère esthétisant des mathématiques qui relèvent à la fois des sciences et de l’art. J’aimais ce caractère abstrait et théorique bien plus que les activités de laboratoires par exemple. En outre, le mathématicien est très libre, il peut s’inventer des univers, n’est pas contraint par des réalités physiques. » Mais Pierre Devolder est aussi attiré par les applications que permettent les mathématiques, raison pour laquelle il s’engage dans la voie de l’actuariat. Il y fera son doctorat avec une thèse sur les modèles stochastiques de capitalisation (ULB, 1986).
Parallèlement, il entame (1983) une brillante carrière d’actuaire dans le secteur privé, à la Royale Belge (aujourd’hui AXA), sans négliger quelques activités académiques (cours à l’ULB, à Strasbourg). « En 2003, se souvient-il, le professeur Jaumain de l’UCL m’a contacté. Il désirait renforcer les études actuarielles à l’université et me proposait une chaire. J’ai mis un mois à me décider ! » Professeur d’actuariat et de finance, Pierre Devolder est aussi membre du Conseil académique des pensions.