PME et ressources humaines : la clé du succès ?

Avoir un responsable ou un département des ressources humaines est-il réellement un plus pour les petites et moyennes entreprises ? C’est ce que Laurent Taskin, professeur de management à l’UCL, a voulu savoir !

Les petites et moyennes entreprises (PME) représentent 92,5 % du tissu économique belge. Pourtant, la gestion des ressources humaines (GRH) est loin d’être partout professionnalisée. Seule une minorité de PME possède un responsable ou un département chargé de la GRH. Ce n’est pas forcément un problème quand la PME ne compte qu’une poignée de travailleurs. Par contre, ça peut le devenir lorsque les membres du personnel sont ou deviennent plus nombreux. « Dans notre modèle économique, l’enjeu de toute entreprise, c’est la croissance », rappelle Laurent Taskin, professeur à la Louvain School of Management de l’UCL. « Or, on ne fonctionne pas de la même façon à 3-4 et à 50 ou 100 personnes ! Certains processus (recrutement, rémunération, organisation du travail, formations, mobilité au sein de l’entreprise, etc.) gagnent à être standardisés, sous peine d’engendrer tensions et frustrations au sein de l’entreprise. » Mais jusqu’à quel point ? Dans quelle mesure une GRH professionnalisée contribue-t-elle à la croissance d’une PME ?

Innovation et performance

Pour le savoir, le Pr Taskin et Michel Ajzen de l’UCL, ainsi que François Pichault et Giseline Rondeaux de HEC-ULg ont mené l’enquête auprès de 730 PME en Wallonie et à Bruxelles (1). Les chercheurs ont commencé par classer ces PME en fonction de leur degré de performance et d’innovation. Qu’entendent-ils par là ? « Souvent, la performance est considérée sous les seuls angles économique et financier », explique le Pr Taskin. « Nous y avons rajouté 3 autres indicateurs : les performances sociale, organisationnelle et environnementale qui, aujourd’hui, sont incontournables pour évaluer correctement la performance globale d’une entreprise. »

Second paramètre : l’innovation. « Souvent, on évalue le degré d’innovation d’une entreprise au nombre de brevets qu’elle a déposés. Là encore, nous avons ajouté d’autres critères : critère d’innovation organisationnelle (au sein de l’entreprise), critère de représentation (prix, primes à l’innovation, participation à une mission royale à l’étranger, etc.), etc. »

Des résultats surprenants

Au terme de l’enquête, les 730 PME interrogées ont d’abord été classées en 4 groupes :

  • Les PME très performantes, mais peu innovantes (P+I-)
  • Les PME peu performantes, mais très innovantes (P-I+)
  • Les PME très performantes et très innovantes (P+I+)
  • Les PME peu performantes et peu innovantes (P-I-)

Ensuite, les chercheurs ont voulu voir quels étaient les liens entre performance, innovation et gestion des ressources humaines (GRH). Ils en ont sélectionné 20 et sont allés à leur rencontre pour les interroger sur leurs pratiques en GRH.

« Dans les entreprises P+I-, la GRH est généralement en cours de formalisation », rapporte le Pr Taskin. « Il n’y a pas (forcément) de directeur ou de département de RH, mais certains “process” ont été formalisés et des outils de GRH mis en place. Exemples : une procédure de recrutement, l’évaluation annuelle des travailleurs, une grille salariale, etc. »

Dans les PME ayant obtenu un haut score en innovation, mais étant peu performantes (P-I+), la GRH se fait au cas par cas. Elle est plus informelle, plus flexible et/ou plus spontanée.

Peut-on en conclure que performance rime avec GRH et innovation avec (quasi) absence de GRH ? « Eh bien non ! Car dans les 6 PME à la fois très performantes et très innovantes (P+I+), nous avons constaté qu’il y avait un arbitrage entre les deux extrêmes. Sur certains aspects, leur GRH est (très) formalisée, voire systématisée. Alors que sur d’autres, elle est plus informelle, plus individualisée. Ce qui, selon nous, révèle une vraie intelligence managériale. »

Tester les conclusions sur le terrain

Publier une étude, c’est bien. Aller sur le terrain avec ses résultats pour essayer d’améliorer le management d’une PME, c’est mieux ! Et c’est exactement ce qu’ont fait le Pr Taskin et ses confrères. « Nous sommes allés trouver une entreprise P+I- et une entreprise P-I+. Nous les avons accompagnées pour faire de leur GRH un atout pour la croissance de leur entreprise, tant en termes quantitatifs que qualitatifs. Nous espérons faire le bilan dans un ou deux ans et proposer une méthode concrète aux PME belges pour professionnaliser leur GRH en tenant compte de leurs réalités spécifiques. » Un souhait qui traduit l’engagement du Pr Taskin sur le terrain, dans le travail réel, et dans une perspective humaniste du management, loin d’une gestion exclusivement par et pour les chiffres…

Candice Leblanc

(1) Le rapport de l’étude « Entreprises innovantes et performantes : quelles bonnes pratiques en gestion des ressources humaines ? », financée par Acerta, est consultable sur https://lentic.be/wp-content/uploads/2016/03/White-Paper-HR-VF.pdf

Les recherches du Pr Taskin ont été principalement financées par l’UCL (ARC, FSR), la Fédération Wallonie-Bruxelles (DGO6) et des entreprises publiques et privées, notamment dans le cadre de la Chaire laboRH.

Coup d'oeil sur la bio de Laurent Taskin

Laurent Taskin

2001 Master en économie appliquée à l’UCL
2006 Chercheur invité à la Warwick Business School, University of Warwick (UK)
2007 Doctorat en sciences économiques et de gestion de l’UCL
Depuis 2007 Professeur à la Louvain School of Management
2011-2016 Président de l’Institut des sciences du travail
Depuis 2011 Editeur en chef de l’« International Journal of Work Innovation »
Depuis 2012 Titulaire de la chaire laboHR en management humain et transformations du travail
Depuis 2015 Professeur invité à l’Université Saint-Louis (Bruxelles)
Depuis 2016 Professeur invité à la Cass Business School (University of London, UK) et à l’UQAM (Canada)

Publié le 12 septembre 2016