Il suffit que des bébés soient privés de la vue quelques semaines pour que leurs cortex sensoriels se réorganisent de manière permanente. Leur conférant ainsi une sensibilité auditive plus fine !
Ce n’est un secret pour personne, la privation de l’un des sens pousse le cerveau à affiner les sens préservés. Ainsi, les personnes aveugles ont l’ouïe, le toucher et l’odorat plus fins. Mais qu’en est-il pour les personnes qui ne sont que temporairement privées de la vue, comme les bébés atteints de cataracte congénitale bilatérale, une opacité des cristallins empêchant le passage de la lumière ? C’est précisément à cette question qu’Olivier Collignon, chercheur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCL a répondu !
Privé de la vue jusque 6 mois
« Nos travaux font partie d’un grand projet Européen s’intéressant aux conséquences de la privation visuelle sur l’organisation du cerveau. La particularité de la maladie qui nous occupe est qu’elle est totalement curable et que les bébés qui en souffrent retrouvent la vue en moyenne 6 mois après leur naissance. Ce qui nous permet aujourd’hui, 25 ans plus tard, d’étudier l’effet de cette privation qui a lieu à un moment critique du développement cérébral. En effet, les premières années, voire les premiers mois de vie sont considérés comme fondamentaux pour le développement du cerveau. »
Pas de troubles importants de la vue
Première constatation réalisée auprès de patients opérés pour ce type de cataracte à l’âge de 6 mois : ils ne présentent pas de troubles majeurs de la vue à l’âge adulte. « De manière générale, ces personnes voient relativement bien. Elles présentent des troubles légers comme des difficultés pour reconnaître les visages ou pour percevoir les détails très rapprochés d’une image. »
Cependant, malgré cette absence de troubles majeurs de la vue, l’analyse IRM du cerveau de ces patients montre que même après 20 ans de vision, leur cortex visuel est plus orienté vers un traitement auditif de l’information qu’une personne n’ayant pas été privée de la vue. C’est-à-dire que cette partie du cerveau s’est adaptée en tout début de vie afin de mieux répondre aux stimuli qu’elle recevait.
Une ouïe plus fine !
Suite à ces IRM, Olivier Collignon et Adelaïde de Heering, chercheuse à l’ULB, ont voulu pousser plus loin l’analyse : « Nous voulions observer la façon dont ils traitent différentes informations sensorielles. Pour ce faire, nous leur avons fait faire des tâches comportementales simples comme détecter un flash, l’information visuelle, ou un son, l’information auditive. Ce qui nous a permis de constater qu’il n’y a pas de différence entre le traitement de l’information visuelle chez les patients « cataractes » et chez les personnes n’ayant jamais été privées de la vue. En revanche, les patients « cataractes » présentent un avantage sensoriel par rapport aux autres : ils sont plus rapides et plus efficaces pour répondre aux stimuli auditifs ».
Une dominance sensorielle altérée
Mais ce n’est pas tout ! Les chercheurs se sont intéressés au « coût » du changement de modalité dans le traitement d’informations sensorielles : de manière générale, il nous est plus facile de réagir à une information visuelle comme un flash après avoir reçu un autre flash que de répondre à un flash après avoir reçu un son. En revanche, lorsque l’on passe d’un type de stimulus à l’autre, notre cerveau est plus lent à réagir, c’est ce qu’on appelle le coût du changement de modalité. « Chez une personne qui a toujours vu, il est plus facile de passer d’une information auditive à une information visuelle que le contraire. Tout simplement parce que l’information visuelle est dominante sur l’information auditive dans des taches de localisation spatiale comme celles que nous avons utilisées. Mais ce n’est pas le cas chez les patients « cataractes » ! Chez eux, nous avons remarqué un traitement plus facile d’un son après un flash. Ce qui montre que la dominance sensorielle est différente. Chez ces patients, c’est l’information auditive qui prévaut. »
« Ces résultats confirment que les premiers mois de vie sont cruciaux pour le développement cérébral et plus précisément pour l’organisation des systèmes sensoriels. Les toutes premières expériences sensorielles des bébés ont un impact fondamental sur le reste de leur vie », conclut Olivier Collignon dont les résultats ont été publiés dans la revue Current Biology.
Elise Dubuisson