Qu’est-ce qui a tué les antilopes saïgas?

En 2015, au Kazakhstan, près de 200 000 antilopes saïgas sont mortes en moins d’un mois. Une équipe multidisciplinaire et internationale de chercheurs s’est penchée sur cette mystérieuse hécatombe.

L’antilope saïga (Saiga tatarica) est une espèce emblématique. Et pas seulement à cause de son drôle de museau en forme de trompe ! C’est aussi la seule espèce d’antilope eurasienne . Victime du braconnage et de la diminution de la surface de son habitat, elle est sur la liste des espèces animales menacées. À ce titre, elle est surveillée depuis plusieurs années par les spécialistes de la biodiversité.

Une épidémie « éclair »

En 2015, une équipe de scientifiques est justement en train d’observer la période de vêlage , au Kazakhstan, quand les antilopes saïgas commencent à tomber malade. « Quelques jours à peine s’écoulaient entre l’apparition des premiers symptômes et la mort », raconte le Dr Julien Radoux, bioingénieur à l’Earth and Life Institute de l’UCL. « Dans les hordes touchées, pas une seule antilope ne survivait. C’est allé très vite. En seulement 3 semaines, environ 200 000 bêtes sont mortes… Soit 62 % de la population totale. »

À qui la faute ?

Tout de suite, les scientifiques se demandent ce qui a bien pu causer cette mortalité de masse (mass mortality event en anglais, MME). Les vétérinaires sur place effectuent des prélèvements sur les cadavres et les font analyser en laboratoire. Après avoir exclu d’autres virus et bactéries, la coupable est découverte : il s’agit de Pasteurella multocida type B. Cette bactérie pathogène a infecté les antilopes, entrainant une septicémie fatale dans 100 % des cas. « P. multocida est présente de manière latente dans de nombreux individus sains », commente le Dr Radoux. « Elle aurait déjà provoqué des MME par le passé, mais jamais de cette ampleur. D’autres facteurs sont forcément intervenus. » Reste à savoir lesquels...

À la recherche des facteurs aggravants

Plusieurs hypothèses sont envisagées et vérifiées. Les antilopes étaient-elles en mauvaise santé ? Ont-elles manqué de nourriture ? Souffraient-elles de carences ? Après analyses des prélèvements, les chercheurs concluent que non : rien d’anormal chez les antilopes n’est à signaler. La réponse est donc à chercher dans l’environnement. À l’UCL, Julien Radoux travaille sur Lifewatch. Ce programme collecte des données par satellite (neige, végétation, feux, etc.) ayant une influence sur la biodiversité en Europe et les fournit à d’autres équipes de recherches. « En 2015, nous avons constaté une anomalie au Kazakhstan : la végétation était moins dense que d’habitude à la même date. De plus, les températures et les précipitations ont été exceptionnellement plus élevées avant et pendant le MME. » Or, ce sont là des conditions idéales pour le développement et la prolifération de bactéries comme P. multocida ! Les antilopes saïgas en ont fait les frais. « Cette hypothèse est confirmée par les deux précédents MME ayant frappé cette espèce, en 1981 et 1988 », ajoute le Dr Radoux. « Il avait aussi beaucoup plu et fait très chaud ces années-là… 2015 a été une année record : jamais les écarts de température et de précipitations n’avaient été aussi importants depuis 1948(1) ! » En d’autres termes, plus il fait chaud et humide, plus les antilopes saïgas sont susceptibles d’être victimes d’un MME d’origine bactérienne.

Une collaboration multidisciplinaire

Ces conclusions ont fait l’objet d’une publication dans la revue américaine Science Advances(2). La particularité de cette étude est sa dimension multidisciplinaire et internationale. Y ont contribué des vétérinaires, des biologistes, des écologues, des statisticiens ainsi que des bio-ingénieurs. Grâce à Lifewatch, l’UCL a fourni les données sur la végétation et la neige et analysé les informations qui ont permis, au final, de faire le lien entre la virulence de P. multocida et les conditions environnementales. « C’est parce que nous collectons des données sur de longues durées que nous sommes en mesure d’identifier les tendances, les moyennes et les anomalies », commente le Dr Radoux. « C’est la première fois que nous participons à une étude multidisciplinaire de cette ampleur, mais ce n’est sans doute pas la dernière. Après tout, nos données sont des informations précieuses pour quiconque s’intéresse à la biodiversité. »

Candice Leblanc

(1) 1948 = date du début des relevés météorologiques dans cette région du monde.
(2) Richard A. Kock et al., « Saigas on the brink : Multidisciplinary analysis of the factors influencing mass mortality events » in Science Advances, janvier 2018. http://advances.sciencemag.org/content/4/1/eaao2314 

 

Coup d'oeil sur la bio de Julien Radoux

2002                     Master en ingénierie environnementale à l’UCL
2002-10               Assistant de géomatique à la Faculté d’ingénierie biologique, agronomique et environnementale de l’UCL
2004-06               Stereo-Forecast Project
2006-10               ORFEO-ASSIMIV Project
2010                     Doctorat en ingénierie environnementale à l’UCL 
2010-11               Projet État du Territoire wallon
2011-12               UNESCO-Watch Project 
2012+2015-16    Land Cover CCI Project
Depuis 2012       Projet Lifewatch 

Le projet Lifewatch est financé par la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre d’European Research Infrastructure Consortium (ERIC). 

Publié le 20 mars 2018