Quand la tumeur résiste à l’immunothérapie

L’immunothérapie n’est efficace que sur une minorité de patients. Une équipe de l’UCL a identifié l’un des mécanismes permettant à la majorité des tumeurs de résister à l’immunothérapie.

Depuis quelques années, l’immunothérapie révolutionne le traitement de certains cancers. Mélanome, cancer du poumon, lymphome… Des patients autrefois condamnés à court terme ont été guéris par ces nouveaux traitements anticancer. « Malheureusement, l’immunothérapie n’est efficace que chez un quart à un tiers des patients atteints d’un cancer métastatique agressif », rappelle le Pr Benoît Van den Eynde, chercheur à l’Institut de Duve et directeur du Ludwig Institute for Cancer Research Brussels (1). « Et pour cause : au fur et à mesure de leur développement (qui peut prendre des années), les tumeurs ont appris à résister à notre système immunitaire. »

Induire des tumeurs au lieu de les transplanter

Le Pr Van den Eynde et ses confrères sont parvenus à identifier l’un de ces mécanismes de résistance (2). Mais pour ce faire, ils ont dû mettre au point un nouveau modèle d’étude : des tumeurs induites. « Jusqu’à présent, les chercheurs travaillaient avec des tumeurs transplantées, c’est-à-dire cultivées in vitro et injectées dans des souris », explique le Pr Van den Eynde. « En général, en laboratoire, l’immunothérapie agit efficacement sur ces tumeurs transplantées. Dans la réalité, par contre… Pour comprendre pourquoi l’immunothérapie n’est pas aussi efficace sur les cancers humains, il nous fallait créer un modèle de tumeur plus proche de la “vraie vie”. »

Les chercheurs ont donc modifié le génome de souris de façon à ce que, suite à l’injection d’un produit spécifique, elles développent spontanément et « naturellement » un mélanome. L’avantage de ces tumeurs induites ? Elles engendrent un micro-environnement tumoral beaucoup plus proche de la réalité clinique humaine.

L’influence du micro-environnement

Une tumeur n’est pas composée que de cellules cancéreuses. Elle recrute aussi d’autres types de cellules, notamment pour se défendre et construire les vaisseaux sanguins qui la nourrissent. C’est ce qu’on appelle le micro-environnement tumoral. Et c’est dans ce micro-environnement que se trouvent réunies les conditions qui font qu’un traitement anticancer va fonctionner… ou pas.

La preuve : les chercheurs ont injecté des lymphocytes T (système immunitaire du patient pour l’aider à éliminer les cellules cancéreuses">immunothérapie) aux tumeurs transplantées et aux tumeurs induites. Dans les premières, les petits soldats du système immunitaire ont attaqué les cellules cancéreuses. Dans les secondes, par contre, ils se sont avérés inactifs. Pire : après 3 semaines, ils étaient tous morts ! Comment expliquer ce phénomène ?

Le tueur de lymphocytes

« Il existe un type de cellule, les PMN-MDSC, qui expriment du FAS-Ligand », explique le Pr Van den Eynde. « Cette protéine peut aller se fixer sur le récepteur d’autres cellules et provoquer leur mort programmée (apoptose). Un peu comme un jeu de touche-touche entre cellules : “je te touche, tu es morte !” »

À l’origine, ce mécanisme permet à notre système immunitaire de s’autoréguler : quand les lymphocytes ont fait leur office et détruit l’ennemi, le FAS-Ligand les arrête. Oui, mais voilà ! « Nous avons constaté que de nombreuses tumeurs induites avaient recruté en abondance des PMN-MDSC dans leur micro-environnement. Ce qui leur permettait de retourner ce mécanisme d’autorégulation contre les lymphocytes qui, “touchés” par le FAS-Ligand présent en grandes quantités, mouraient avant d’avoir pu faire leur travail. »

 

                                               immunothérapie cancer Van den eynde

 

Vers une immunothérapie plus efficace ?

Bonne nouvelle : ce mécanisme de résistance peut être saboté, soit en injectant un anticorps pour éliminer les PMN-MDSC, soit en utilisant un leurre : du FAS soluble. « Le FAS soluble va se fixer sur le FAS-Ligand et empêche donc celui-ci de se fixer sur le récepteur des lymphocytes… et de provoquer leur apoptose ! » En d’autres termes, le FAS soluble agit comme un bouclier pour les petits soldats du système immunitaire (les lymphocytes) qui peuvent donc aller combattre la tumeur sans craindre ses petits mercenaires (les PMN-MDSC).

Au final, combiner un anticorps ou un leurre avec l’immunothérapie permettrait d’en augmenter l’efficacité chez davantage de patients. « En théorie ! » précise le Pr Van den Eynde. « Car, maintenant, nous devons vérifier que cela fonctionne de la même façon chez l’homme. »

Parallèlement, les chercheurs veulent aussi explorer d’autres pistes, identifier d’autres mécanismes de défense développés par les tumeurs pour résister à l’immunothérapie. « Ni le FAS soluble ni les anticorps anti-PMN-MDSC n’ont suffi à venir complètement à bout de nos tumeurs induites. Celles-ci ont donc certainement plus d’un tour dans leur sac pour se défendre. » Heureusement, nos chercheurs aussi !

 

Candice Leblanc

 

(1) Le Ludwig Institute for Cancer Research est composé d’une demi-douzaine de centres de recherches répartis dans le monde.

(2) J. Zhu et al., « Resistance to cancer immunotherapy mediated by apoptosis of tumor-infiltrating lymphocytes » in Nature Communication, novembre 2017. Voir https://www.nature.com/articles/s41467-017-00784-1

Coup d'oeil sur la bio de Benoît Van den Eynde

benoit van den eynde

1986 Diplôme de médecine, chirurgie et accouchements à l’Université catholique de Louvain (UCL)

1995 Doctorat à l’UCL

Depuis 2000 Chargé de cours à l’UCL

Depuis 2004 Membre du Comité directeur de l’Institut de Duve

2005 Membre de l’Académie royale de Médecine

2010 Lauréat du Prix quinquennal du FNRS

2011-2013 Cofondateur d’iTeos Therapeutics SA (spin-off de l’Institut de Duve)

Depuis 2010 Directeur du Ludwig Institute for Cancer Research Brussels

Depuis 2012 Professeur ordinaire à l’UCLDepuis 2016

Professeur à l’université d’Oxford (UK)

Les recherches du Pr Van den Eynde ont été principalement financées par le Ludwig Institute, l’Institut de Duve, Welbio, le FNRS/Télévie et la Fondation contre le Cancer.

Publié le 16 novembre 2017