Quand le virus se « scratche » à une cellule

 
Des chercheurs de l’UCL ont découvert le rôle essentiel joué par une glycoprotéine présente à la surface des herpèsvirus. Ces virus sont responsables de plusieurs maladies, potentiellement graves chez certaines personnes. Or, les traitements manquent…

La famille des herpèsvirus compte dans ses rangs les virus responsables des boutons de fièvre (herpès buccal), de la varicelle, du zona ou encore de la mononucléose. Aussi désagréables soient-elles, ces maladies sont généralement bénignes pour des sujets en bonne santé. Tant mieux, car si nous disposons d’une panoplie d’antibiotiques pour combattre les bactéries pathogènes, nous avons peu de médicaments antiviraux(1). En cas de maladie virale, à part se reposer et « attendre que ça passe », il n’y a pas grand-chose à faire ! Problème : ces mêmes maladies peuvent être redoutables chez les personnes immunodéprimées (séropositives, atteintes de cancer, etc.) ou les fœtus(2). D’où l’intérêt de mieux comprendre ces virus afin de mettre au point des médicaments antiviraux.

Quand le virus « tâte le terrain »

On parle d’infection virale lorsqu’un virus parvient à s’introduire dans une cellule afin de s’y dupliquer. Ce processus se déroule en plusieurs étapes. « La première étape consiste, pour le virion, à s’arrimer à la cellule en question et vérifier que celle-ci est compatible avec lui », explique David Alsteens, chercheur au FNRS et professeur au sein du Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology (LIBST) de l’UCL. « Pour ce faire, certaines glycoprotéines situées à la surface du virion entrent en interaction avec des récepteurs de la membrane cellulaire. Un peu comme ce jeu de plage où vous vous lancez une balle duveteuse (le virus) sur une raquette (la cellule) à scratch. Le scratch représentant ici les liaisons entre les glycoprotéines virales et les récepteurs cellulaires. Dans notre jargon, nous appelons l’ensemble de ces interactions la multivalence. Un concept-clé pour comprendre la première étape de l’infection virale. »

Scratcher, mais pas trop !

Les glycoprotéines (gp) des virus sont différentes selon les types de virus et mal connues. Les herpèsvirus, par exemple, possèdent une quinzaine de gp différentes ; seul le rôle d’un tiers de ces gp a été clairement identifié. Martin Delguste est un aspirant FNRS et il effectue sa recherche dans le laboratoire du Pr Alsteens. En collaboration avec le Pr Laurent Gillet de l’Université de Liège, il s’est intéressé à la plus grosse, gp150.   « Nous avons découvert que cette glycoprotéine joue un rôle de modulateur », explique le Pr Alsteens. « C’est elle qui gère le nombre de liaisons, d’interactions entre les autres gp de l’herpèsvirus et les récepteurs cellulaires. » C’est une fonction très importante pour le virus. En effet, celui-ci doit être suffisamment « scratché », arrimé à la cellule… mais pas trop ! Car s’il y a trop de liaisons, le virion se retrouve entravé. Or, il doit pouvoir se déplacer à la surface de la cellule pour y trouver les voies d’accès qui lui permettront de rentrer à l’intérieur. « Un peu comme si le virus essayait ses clés dans les différentes serrures de la cellule. S’il ne peut pas correctement se déplacer à la surface de la cellule, il ne peut pas essayer toutes les portes d’entrée disponibles ». gp150 sert donc à trouver le juste équilibre dans la multivalence, en gérant la quantité et la force des liaisons virus-cellule.

Une cible pour de nouveaux antiviraux ?

Jusqu’ici, les chercheurs ignoraient que le virus peut réguler le nombre de ses liaisons avec la cellule qu’il envisage d’infecter. Comprendre le rôle de modulateur de gp150 est donc une vraie découverte ! Elle a fait l’objet d’une récente publication dans la prestigieuse revue Sciences Advances(3). « Il nous reste maintenant à découvrir le rôle des autres gp », commente le Pr Alsteens. « Cela dit, gp150 pourrait s’avérer une bonne cible pour un médicament antiviral. » En effet, l’une ou l’autre molécule pourrait peut-être saboter gp150 et empêcher le virus d’établir le bon nombre de liaisons avec les récepteurs cellulaires. Ce qui empêcherait le virus soit de s’arrimer à la cellule, soit de s’y déplacer… et éviterait ainsi l’infection. Une hypothèse à vérifier.

Candice Leblanc

(1)Hormis les vaccins qui visent à prévenir certaines maladies virales.
(2)Le cytomégalovirus (famille des herpèsvirus) est particulièrement redouté chez les femmes enceintes.
(3)M. Delguste et al., « Multivalent binding of herpesvirus to living cells is tightly regulated during infection » in Science Advances, 16 août 2018.

Coup d’œil sur la bio de David Alsteens

2007: Master en ingénierie chimique et bio-industrie à l’UCL 
2011: Doctorat en bio-ingénierie à l’UCL et lauréat du prix de la thèse de la Société de microscopie de Belgique
2011-13: Chercheur FNRS à l’UCL
2011-15: Chargé de cours à l’UCL
2013-15: Chercheur à l’École polytechnique fédérale (ETH) de Zurich (Suisse)
Depuis 2015: Chercheur qualifié du FNRS    
Les recherches du Pr Alsteens ont été principalement financées par le FNRS et l’Europe grâce à une bourse ERC Starting Grant.

Publié le 20 août 2018