Que deviennent les exclus du chômage ?

Aujourd’hui, lorsque les autorités compétentes estiment qu’un chômeur ne cherche pas assez activement du travail, elles peuvent lui retirer ses allocations de chômage. Mais quelles sont les conséquences de cette mesure ? Favorise-t-elle réellement la recherche d’emploi ? Pas sûr !

La limitation de l’octroi des allocations d’insertion à 3 ans depuis janvier 2012, s’est traduite en une première vague d’exclusion en janvier 2015. Par ailleurs le durcissement des règles du maintien du chômage ajoute également son lot de fins de droits. « Afin de mieux connaître le parcours de ces personnes une fois exclues, l’Observatoire bruxellois de l’emploi d’Actiris nous a chargé d’un état des lieux », explique Marc Zune, chercheur à l’Institute for the Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies (IACS) de l’UCL.

Rencontre avec les exclus

Pour ce faire, le chercheur et ses collègues, Elise Ugeux (UCL) et Didier Demazière (CNRS – Sciences Po Paris), ont rencontré 55 personnes exclues du chômage qui leur ont expliqué comment elles ont ressentis cette exclusion, ce qu’elles ont fait ensuite et comment elles s’en sortent, ou pas. « Nous avons veillé à rencontrer des personnes aux profils différents afin d’avoir accès à un maximum de diversité : âge, sexe, formation, localisation, etc. »

Recherche d’emploi : les règles vs la réalité

L’une des premières grandes constatations des chercheurs réside dans la manière dont la notion de recherche d’emploi est définie par les autorités et par les chercheurs d’emploi. « Il y a une différence flagrante ! La plupart des personnes exclues ne passent pas leur journée devant un ordinateur à envoyer des CV pour ensuite passer des entretiens comme le voudraient les autorités. Généralement, ces personnes recherchent des emplois non qualifiés où le système est tout autre. On trouve par le bouche à oreille, en passant démarcher directement les potentiels employeurs, en faisant d’abord ses preuves bénévolement ou sans être déclaré… Ce qu’elles ne peuvent évidemment pas dire aux personnes qui les contrôlent. » Ainsi, le resserrement des règles du chômage a tendance à écarter des personnes aux profils d’emploi ou de vie qui s’éloignent d’une norme absolue, celui de l’emploi à temps plein et stabilisé. Or les interviewés ont souvent alternés emploi et chômage, avec des durées variables et n’ont que rarement atteint le CDI standard érigé en norme à atteindre.

Par ailleurs, les personnes particulièrement précarisées ont également d’autres préoccupations qui les empêchent de passer leurs journées à chercher du travail. « Elles ont, par exemple, une famille à nourrir et font des fins de marchés pour ramasser les invendus, elles sont dans une problématique de surendettement, elles doivent se loger… Autant de choses qui demandent du temps et qui relèvent presque de la survie. Ce qui peut faire passer, par moments, la recherche d’emploi au second plan, alors que les institutions attendent des actes, formels, constants et intensifs. »

Une perte de confiance dans les institutions

Ces deux manières de voir les choses qui s’opposent tendent à créer un fossé entre les exclus et les institutions. « Tout d’abord cette contradiction très forte entre la recherche d’emploi d’un point de vue institutionnel et de leur point de vue se traduit au bout d’un moment par une perte de sens, ils ne voient pas d’intérêt à s’y plier puisque ça ne fonctionne pas dans leur cas. Ensuite, une fois l’exclusion annoncée, certaines personnes que nous avons rencontrées nous ont fait part de leur rejet des institutions. Leurs recherches ne s’inscrivant pas dans le canevas institutionnel, elles ne pouvaient se justifier lors des contrôles qu’elles vivaient alors comme une injustice. Elles avaient beau faire des efforts, ils ne se voyaient pas et n’étaient donc pas pris en compte. » Sans compter la violence administrative de la missive annonçant l’exclusion… Six mois à un an plus tard, l’exclusion reste contestée et vécue comme une injustice et ce d’autant plus qu’elle ne peut être exprimée face à des institutions jugées froides et imperméables aux vécus individuels.

Et ensuite ?

Dès que l’exclusion est décidée, les allocations de chômage sont suspendues. Mais aucune autre solution n’est automatiquement mise en place. À chacun, revient la responsabilité de trouver une solution. Bien entendu, le recours au CPAS est possible mais il n’est pas systématiquement demandé ou octroyé. Les personnes vivant avec quelqu’un qui travaille n’y ont généralement pas droit, par exemple. « En outre, dans la plupart des cas, le recours au CPAS est vécu comme dégradant et dévalorisant. Par ailleurs, son offre est rarement perçue comme adaptée. L’exclusion génère très clairement des processus marqués de dévalorisation, de dégradation et de paupérisation qui affectent tant les exclus que leur entourage », poursuit le chercheur. Et côté travail ? « La majorité des personnes rencontrées veulent travailler mais la situation difficile dans laquelle elles se trouvent les poussent à travailler pour améliorer cette situation, pas pour répondre à une envie de carrière particulière. En outre, la plupart considèrent que l’emploi standard leur est inaccessible. »

Quelles sont les améliorations à prévoir ?

L’échec de cette politique d’activation de la recherche d’emploi est sans appel pour cette catégorie de demandeurs d’emploi, car il écarte du chômage des personnes qui sont encore inscrites dans le travail, qui se définissent encore comme travailleurs. Mais comment rectifier le tir ? Comment les institutions peuvent-elles s’adapter ? Marc Zune et ses collègues ont plusieurs pistes ! « Difficile de toutes les détailler ici mais en voici les grandes lignes : il nous parait essentiel de revoir les méthodes d’évaluation de recherche d’emploi qui reposent sur une norme abstraite et supposée universelle du comportement de recherche d’emploi, notamment en développant un accompagnement plus global et personnalisé des chômeurs. Par ailleurs, il devient nécessaire de reconnaître l’ensemble des expériences de travail : petits boulots, missions, piges, mais aussi bénévolats, engagements divers, etc. et de revoir les normes d’accès au chômage, définies davantage en fonction de préoccupations budgétaires qu’en fonction de la sociologie de l’emploi. Dans le même ordre d’idée, il serait intéressant que les organismes de contrôle aient une meilleure connaissance des modes de recrutement sur les segments du marché du travail non qualifié où il est rare de postuler en envoyant des CV par mail. Enfin, un dernier point sur lequel nous insistons : porter un discours public sur les inégalités face à l’emploi et les fondements de la sélection à l’embauche. Ceci pourrait faire émerger une conscience collective sur les stigmatisations de tous ordres face à l’emploi », conclut le chercheur.

 

Elise Dubuisson

 

Coup d'oeil sur la bio de Marc Zune

Portrait de Marc. Zune

1998-2002        Aspirant auprès du FNRS

2003                  Docteur en sociologie (ULg)

2003-2007        Post-doctorat au Laboratoire Printemps de l’Université de Versailles – St-Quentin-en-Yvelines, au Centre for Globalisation Research -
                           Queen Mary University, Chargé de recherches du FNRS au centre Metices-TEF de l’ULB.

Depuis 2007     Chargé de cours puis professeur à l’UCL et membre du GIRSEF (Institut Iacchos)

Publié le 27 avril 2017