Que vont devenir nos insectes et nos fleurs ?

Les changements climatiques que nous vivons aujourd’hui impactent déjà la nature qui nous entoure. La température moyenne augmente, les extrêmes de températures et de pluviométrie se multiplient, les sécheresses estivales se banalisent. Quelles influences ces phénomènes climatiques auront-ils sur les relations entre les plantes et leurs pollinisateurs ? C’est la question que se pose Charlotte Descamps, doctorante au Earth and Life Institute de l’UCLouvain, depuis quatre ans.

La pollinisation est l’un des meilleurs exemples qui montre que « la nature est bien faite ». Le pollinisateur se nourrit de pollen et de nectar, puis, en butinant, dépose ce pollen sur le pistil d’autres fleurs, permettant ainsi la reproduction des plantes et la production de fruits. Un processus gagnant-gagnant pour les deux parties, qui est possible si, et seulement si, les ressources florales (le pollen et le nectar) sont disponibles et accessibles pour les insectes pollinisateurs. Avec les changements climatiques, les ressources florales risquent d’être impactées par l’augmentation de la température moyenne et la fréquence des sécheresses. Or, ces ressources sont au cœur des relations entre plantes et pollinisateurs. Si les ressources en pollen et en nectar sont modifiées, qu’adviendra-t-il de ce partenariat gagnant-gagnant ? C’est cette question que Charlotte Descamps, assistante à la Faculté des bioingénieurs et doctorante au Earth and Life Institute à l’UCLouvain, a décidé d’élucider.

Des plantes modèles, choisies et cultivées en conditions contrôlées

Pour s’emparer de ce sujet peu étudié par la communauté scientifique, Charlotte Descamps a commencé par sélectionner des espèces végétales qui lui serviront de modèles d’étude, sur la base de leur attractivité pour les pollinisateurs et de leurs hautes productions en pollen et en nectar. Un de ces modèles est par exemple la bourrache, plante potagère qui, avec ses fleurs bleues en étoile et son nectar très sucré, attire de nombreuses abeilles. Chaque expérience nécessite de 3 à 5 mois de culture, depuis la germination des graines, la culture en serres jusqu’à l’expérience à proprement parler durant la floraison, qui se déroule en chambres de culture sous conditions contrôlées. Six traitements sont appliqués, en combinant trois températures et deux régimes d’arrosage différents. Chaque chambre de culture est programmée à une température fixe : 21 C°, 24 C° ou 27 C°. Les plantes y sont arrosées différemment : un groupe est arrosé régulièrement et l’autre pas, afin de mettre les plantes en stress hydrique pour simuler des conditions de sécheresse estivale. L’étude de ces deux paramètres, l’eau et la température, n’a pas été choisie par hasard car ce sont des paramètres fondamentaux pour la croissance des plantes et qui sont amenés à varier dans le contexte des changements climatiques.

Les traits floraux changent

Alors que la chercheuse de l’UCLouvain projetait de se focaliser sur les effets des changements climatiques uniquement sur les ressources florales, elle a, petit à petit, élargi son objet d’étude aux traits floraux. « Les résultats sur les modèles étudiés jusqu’ici confirment qu’il y a un réel impact des conditions climatiques sur les traits floraux », explique la chercheuse, « On s’attendait à ce que la quantité de nectar diminue à cause du stress provoqué par la hausse de température et le stress hydrique, mais on ne s’attendait pas à ce que les fleurs elles-mêmes réagissent à ce point à ce stress. Or, on a remarqué une vraie plasticité florale qui se manifeste de différentes façons. » C’est l’une des conclusions inattendues de cette recherche : la morphologie des plantes et des fleurs change en situation de stress. D’une part, le nombre de fleurs diminue, ce qui réduit les quantités de pollen et de nectar disponibles pour les insectes à l’échelle d’une plante. Mais d’autre part, la taille des fleurs diminue également lorsque les plantes sont à 27°C ou en stress hydrique. La forme des fleurs est dès lors impactée par les stress et certains pétales peuvent même disparaître. Les diminutions du nombre de fleurs et de leur taille réduisent par conséquent l’attractivité des fleurs pour les insectes, ce qui pourrait entraîner une modification de leur comportement de visite. En même temps, une autre question se pose, les ressources florales seront-elles toujours accessibles pour tous les pollinisateurs ? Prenons l’exemple d’une fleur qui est en forme d’entonnoir. Si le diamètre de l’entonnoir se réduit, certains insectes comme les bourdons ne pourront plus y entrer pour aller chercher le pollen et le nectar.

Une des plantes utilisées pour l’expérience est la bourrache, plante potagère qui, avec ses fleurs bleues en étoile et son nectar très sucré, attire de nombreuses abeilles.

Moins de nectar et de pollen. Et la qualité ?

Les deux stress réduisent la quantité de pollen et de nectar de chaque fleur. Reste encore la question de la qualité de ces deux ressources : les expériences sont en cours ! Pour les insectes, le nectar est la principale source de sucres, tandis que le pollen est la principale source de protéines et de stérols. Suite aux stress induits par les changements climatiques, la qualité des ressources est-elle modifiée ? Cela pourrait particulièrement toucher les insectes qui dépendent uniquement du pollen et du nectar pour se nourrir, comme les abeilles (abeilles domestiques, bourdons ou abeilles solitaires) ou encore certains diptères comme les syrphes.

Des conclusions qui peuvent être étendues à d’autres espèces végétales ?

La chercheuse de l’UCLouvain aimerait à présent pouvoir étendre ses conclusions à d’autres espèces végétales. « Cet été, deux étudiantes bioingénieurs vont travailler avec moi pour tester des espèces végétales présentes dans les mélanges type ‘bande fleurie pour pollinisateurs’ pour voir si les résultats obtenus sur les 4 espèces végétales étudiées se confirment avec d’autres espèces ». L’implantation de bandes fleuries (avec des espèces indigènes) pour pollinisateurs constitue d’ailleurs, pour Charlotte Descamps, une excellente mesure que les particuliers peuvent mettre en œuvre pour soutenir les populations d’insectes pollinisateurs. « Chacun, à son échelle, peut aussi laisser des zones plus sauvages dans son jardin pour laisser venir des fleurs qui nourrissent les insectes, cela ne coûte rien et ne demande pas d’entretien…Même les trèfles (pour le pollen) ou les pissenlits (pour le nectar) sont d’excellentes ressources pour les insectes », ajoute la chercheuse.

Quel avenir pour le partenariat plante-pollinisateur ?

Charlotte Descamps poursuit ses recherches avec une question centrale : si les traits floraux et les quantités de ressources florales sont impactés par les changements climatiques, quelles sont les conséquences sur les relations plantes-pollinisateurs ? Par rapport à la reproduction des plantes, la chercheuse est inquiète pour les plantes rares qui pourraient subir plus intensément ces modifications, mais de nombreuses plantes ne dépendent pas exclusivement des insectes pour leur reproduction. Par contre, de nombreux insectes, entre autres tous les bourdons et les abeilles solitaires (et domestiques), dépendent exclusivement du pollen et du nectar des plantes pour se nourrir.

« Avec les modifications de notre territoire et l’usage de pesticides et d’herbicides, nous avons réduit drastiquement la diversité végétale de nos paysages et porté largement atteinte aux populations d’insectes pollinisateurs. »

Entre temps, la chercheuse constate que dans le domaine agricole, les efforts vont bon train : « De plus en plus d’agriculteurs sont sensibilisés à l’importance des insectes pollinisateurs et replantent des haies, des vergers, ou s’engagent dans des mesures agro-environnementales plus complexes comme des bandes aménagées ou des prairies de haute valeur biologique », souligne-t-elle. Concernant l’évolution des populations d’insectes, son discours n’est pas plus rassurant : « De nombreuses études récentes ont confirmé le déclin de nombreux insectes. Et certains pays, comme la Chine, emploient déjà des ouvriers pour polliniser les arbres fruitiers. Certaines équipes de recherche réfléchissent aussi à des robots-abeilles. J’espère de tout cœur ne pas en arriver là sous nos latitudes. Mais pour cela, il faut que chacun agisse à son échelle pour renforcer le réseau écologique, afin que les insectes puissent continuer à butiner et trouver suffisamment de ressources dans nos paysages », conclut-elle.

En parallèle de cette étude de l'impact des changements climatiques sur la pollinisation, Charlotte Descamps a contribué au travail titanesque de la rédaction d'une Flore de Belgique.

Lauranne Garitte

Coup d’œil sur la bio de Charlotte Descamps

Charlotte Descamps est assistante à la Faculté des bioingénieurs. Après avoir terminé en 2014 son master de bioingénieur en gestion des forêts et des espaces naturels, elle poursuit son parcours par l’agrégation en enseignement secondaire. En avril 2015, elle a l’opportunité de reprendre un contrat d’assistante à la faculté. Son temps est partagé entre une thèse de doctorat concernant les relations plantes-pollinisateurs avec Pr. Anne-Laure Jacquemart ainsi que Pr. Muriel Quinet et l’enseignement. La botanique y occupe une place centrale ainsi que l’accompagnement de projets d’étudiants ; ses tâches d’enseignement s’étalent de la 1ère bachelier à la 1ère master à la Faculté des biongénieurs.

Publié le 16 mai 2019