Réduction des charges patronales : tout miser sur les bas salaires !

Mise en avant par les deux derniers gouvernements comme une mesure qui va tout changer, la réduction des cotisations patronales en Belgique sera-t-elle aussi efficace qu’imaginé ? Uniquement, si elle se concentre sur les bas salaires, répondent Muriel Dejemeppe et Bruno Van der Linden, chercheurs à l’Institut de recherches économiques et sociales de l’UCL.

Juillet 2015 : le gouvernement fédéral annonce fièrement une réduction des charges patronales dès 2016. Si une enveloppe globale de 2.335 millions d’euros est prévue à cet effet, les modalités de mise en œuvre ne sont pas encore très précises… À qui va s’adresser cette réduction ? Quels en seront les effets sur l’emploi ? Cette mesure a-t-elle un sens ? Autant de questions auxquelles il est important de répondre avant de se lancer. Dans le cas contraire, le risque de perdre de l’argent dans des réformes inefficaces est bien présent !

Enrayer le chômage dans le secteur du travail peu qualifié

Une problématique à laquelle Muriel Dejemeppe et Bruno Van der Linden, économistes à l'Institut de recherches économiques et sociales (UCL), ont décidé de s’intéresser par le prisme du travail peu qualifié. Pourquoi ? « La problématique du travail peu qualifié occupe les économistes depuis « L’appel des 72 économistes » sous la houlette de Jacques Drèze (UCL) en 1987. Un problème qui est loin d’être réglé ; il existe en effet une forte proportion de chômage parmi la main d’œuvre peu qualifiée et cette population ne va pas disparaître d’un coup de baguette magique. Si l’on veut faire reculer ce chômage, il faut prendre des mesures permettant d’augmenter efficacement et durablement l’emploi dans les secteurs susceptibles d’offrir de l’emploi à cette population », explique Bruno Van der Linden.

Des coûts salariaux très élevés pour les bas salaires

« L’un des gros problèmes est que la quantité de main d’œuvre peu qualifiée désirée par les entreprises est très sensible au coût du travail. Cela à cause des possibilités d’automatisation, de délocalisation, etc. » L’idée des chercheurs de l’IRES est donc de réduire ces coûts à l’aide d’une baisse des cotisations patronales.

Eviter le piège de l’augmentation des moyens salaires

On est cependant en droit de s’interroger sur la pertinence de ne se concentrer que sur la main d’œuvre peu qualifiée et par extension les bas salaires. Une réduction des cotisations patronales n’aurait-elle pas le même effet sur l’emploi des moyens salaires ? Pourquoi ne pas en profiter pour augmenter l’emploi dans tous les secteurs ? « De nombreuses études montrent que ce type de réduction chez les salaires moyens aurait plutôt tendance à se traduire par une augmentation du salaire brut plutôt qu’une augmentation de l’emploi. En outre, l’offre d’emploi dans ces secteurs est moins sensible au coût du travail », poursuit le Pr Van der Linden.

Tout miser sur les bas salaires… Oui mais comment ?

Une fois ces constatations faites, il restait aux chercheurs de déterminer comment se servir au mieux de l’enveloppe budgétaire prévue pour que chaque euro investi le soit avec la plus grande efficacité possible. Pour ce faire, les économistes de l’UCL se sont basés sur les 1.280 millions d’euros prévus par le gouvernement fédéral en 2015. Ce qui leur permet d’obtenir des résultats, publiés dans la revue UCL Regards Economiques, qui pourraient être réellement appliqués par le gouvernement.

« Avant toute chose, précisons que notre proposition s’adresse à tous les emplois qu’il s’agisse de nouvelles recrues ou pas. La volonté est de stimuler l’embauche mais aussi de freiner la propension à supprimer des emplois peu qualifiés en donnant un message très clair aux employeurs. » Enfin, en se basant sur de nombreuses études scientifiques, Muriel Dejemeppe et Bruno Van der Linden proposent une réduction structurelle des cotisations patronales qui prendrait la forme suivante :

  • Suppression totale des cotisations patronales pour tout niveau de salaire égal au revenu minimum moyen garanti en Belgique. La réduction de cotisations patronales représente alors plus de 500 €/mois.
  • Entre le revenu minimum et 1,5 fois le revenu minimum brut (2.339 €/mois), la réduction de cotisations patronales diminue de manière linéaire. Ainsi, pour un niveau de salaire égal à 1,5 fois le revenu minimum, elle atteint 154 €/mois, soit le montant de la réduction forfaitaire de cotisations patronales qui est en vigueur actuellement.
  • La réduction forfaitaire de 154 €/mois reste appliquée jusqu’au seuil «haut salaire» actuel de 4.467 €/mois.
  • Au-delà de 4.467€/mois, le taux de cotisations patronales qui prévaut est de 29 %.

Á la clé : entre 28.000 et 47.000 nouveaux emplois

« Selon nos estimations, mettre en œuvre une telle réforme coûterait 1.270 millions d’euros, on est donc tout à fait dans la limite des possibilités avancées par le gouvernement. Par ailleurs, notre estimation ne tient pas compte des économies permises par les effets de cette réforme sur l’emploi : elle devrait créer à court terme entre 28.000 et 47.000 emplois », conclut Bruno Van der Linden.

Elise Dubuisson

Coup d'oeil sur la bio de Muriel Dejemeppe

Muriel Dejemeppe

1997 : Master en économie (UCL)
2002 : Doctorat en économie (UCL)
Depuis 2015 : professeur d’économie à l’Economic School of Louvain et chercheuse à l'Institut de recherches économiques et sociales - IRES (UCL)

Coup d'oeil sur la bio de Bruno Van der Linden

Bruno Van der Linden

1980 : Ingénieur civil en mathématiques appliquées (UCL)
1987: Doctorat en sciences appliquées (UCL)
1989 : Master en économie (UCL)
Depuis 2013, professeur d’économie à l’Economic School of Louvain et chercheur à l'Institut de recherches économiques et sociales – IRES (UCL)
Depuis 2015, directeur de recherches du Fonds de la Recherche Scientifique – FNRS

Publié le 13 mai 2016