Les plus de 55 ans: regards croisés entre Ottignies et Louvain-la-Neuve

 
Etudiant depuis 2006 l’évolution démographique des seniors en Belgique, Jean-Paul Sanderson publie aujourd’hui les résultats d’une enquête à l’échelle locale d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Objectif : dresser le profil de ces plus de 55 ans dont certains sont arrivés il y a peu sur le territoire de la commune.

En Belgique, la recherche en démographie sur le veillissement de la population se développe sur trois axes principaux. Le premier pose la question des migrations résidentielles au moment du passage à la retraite et en fin de vie. La deuxième observe les transformations démographiques en parallèle avec les transformations de la législation en lien avec les pensions. La troisième, enfin, est la plus étudiée actuellement : elle analyse le vieillissement en tant que tel.

Après s’être penché sur ces trois axes, c’est sur le dernier que Jean-Paul Sanderson, chercheur en démographie à « l’Institute for the Analysis of Change in Contemporary and Historical Societies » (IACS), le Centre de recherche en démographie et sociétés de l’UCL, vient de publier les résultats de ses recherches.

« Dans les études sur le vieillissement de la population belge, nous avons pour habitude d’analyser le niveau local, par communes, explique le chercheur. Ici, j’ai concentré mon enquête sur la population d’Ottignies-Louvain-la-Neuve… » L’objectif : dresser le portrait des personnes âgées de 55 ans et plus à Louvain-la-Neuve (LLN) et Ottignies et particulièrement, de comparer LLN avec le reste de la commune. « L’idée peut paraître saugrenue, souligne le chercheur, car il s’agit d’une commune relativement jeune et dont la population est fortement centrée autour de l’Université. Pourtant, ce que l’on constate depuis de nombreuses années, c’est que d’une part la ville perd des jeunes ménages avec enfants qui vont s’installer ailleurs, mais qu’elle est d’autre part attractive pour des personnes âgées de 60 ans et plus. »

Pour les résultats relatifs au départ des jeunes ménages, c’est « normal » selon Jean-Paul Sanderson : « Les jeunes couples avec enfant ont davantage tendance à s’installer en dehors des villes, particulièrement lorsqu’ils ont des enfants : pour un prix identique, ils ont une habitation plus grande, souvent avec jardin. » Pour les personnes de plus de 65 ans qui viennent s’installer à LLN, les résultats sont plus atypiques : « Alors que dans l’ensemble des recherches réalisées sur le premier axe d’études sur le vieillissement, les migrations résidentielles au moment du passage à la retraite, montrent l’inverse, le cas de cette ville universitaire montre que les personnes âgées viennent ici s’installer en vile. »

L’enquête a réuni 372 personnes au total, 265 à LLN et 107 sur le reste de la commune . Résultat : « 92% des personnes de plus de 60 ans sont satisfaites de vivre à Louvain-la-Neuve : on peut difficilement faire mieux ! lance le chercheur. Globalement, tous ceux qui ont été interrogé dans la ville ont un niveau de satisfaction par rapport à leur lieu de vie très positif, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer : certains pourraient se plaindre du bruit avec les fêtes étudiantes par exemple. Ce n’est pas le cas, le taux de satisfaction étant supérieur à celui du reste de la commune qui s’élève à 82%. »

La proximité familiale, une des premières motivations à l’installation des plus de 65 ans malgré un coût rédhibitoire

Deux éléments ont particulièrement surpris le chercheur dans cette étude. En premier chef, les motivations liées à l’installation sur la commune. « Au-delà des clichés auxquels on s’attendait, la proximité familiale est ressortie comme étant l’un des éléments les plus importants pour venir s’installer dans la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, observe Jean-Paul Sanderson. On y vient car cela permet de rester proches des enfants. » Parmi les sondés, ils étaient nombreux à s’occuper de leurs petits-enfants. Preuve d’une bonne condition physique, mais aussi d’une solidarité intergénérationnelle capitale. » Malgré cette motivation, le coût de l’immobilier était pointé comme un des points noirs soulevés par l’enquête. Le besoin de logements sociaux pour favoriser une certaine mixité sociale et culturelle sur l’ensemble de la commune était saillant dans les résultats.

La mobilité reste au cœur des préoccupations

Au total, 44% des personnes interrogées se sont installées dans la commune après les années 2000. Parmi les raisons invoquées pour venir s’installer à Ottignies, on cite donc le fait d’avoir des membres de la famille qui habitent les environs ou d’avoir déjà résidé par le passé dans la commune, mais pas seulement. « Dans la commune et surtout du côté de LLN, les principales réponses citent aussi les facilités en termes de services, comme l’accès aux commerces., poursuit le chercheur. "Dans les deux cas, les facilités en termes de déplacements caracolent en tête de réponses. La commune est basée sur un nœud routier et ferroviaire qui facilite beaucoup les déplacements. »

Mais cette mobilité « aisée » se couple de deux éléments qui ont surpris Jean-Paul Sanderson. « Une des questions qui portaient sur la mobilité demandait si ces personnes âgées avaient une voiture…Parmi les 80 ans et plus, c’est presque 70% qui en ont encore une ! Je m’attendais pourtant à ce qu’à LLN les gens abandonnent plus facilement ce moyen de locomotion. » Elément moins surprenant : 51% des plus de 65 ans utilisent le vélo pour faire leurs courses. Un chiffre qui diminue doucement avec l’âge.

Autre élément inattendu : la mobilité « inter quartier » était elle aussi fortement présente. « Parvenir à circuler au sein d’une ville et pas seulement d’une ville à l’autre est un type de mobilité plus rarement mis en avant, pointe le chercheur. Pourtant, cette mobilité interne à la commune a été pointé comme un gros point noir par les sondés. » Parmi eux, certains regrettaient l’absence d’un bus régulier au sein de la ville. Des remarques valables pour l’entièreté de la commune.

La bonne surprise : des seniors « connectés »

Ces deux résultats négatifs, le coût du logement et la difficile mobilité « inter quartier », cachent un dernier élément surprenant, plus positif cette fois. Il concerne l’utilisation des nouvelles technologies par les plus de 65 ans. Le chercheur a posé deux questions : les plus de 65 ans naviguaient-ils régulièrement sur internet et communiquaient-ils par Whatsapp ou Skype ? Concernant l’utilisation de ces applications, 25% de l’ensemble des sondés les utilisent. En revanche, ils étaient effectivement 63% à régulièrement naviguer sur internet à…Ottignies, contre 44% à LLN ! « Je me serais attendu à l’inverse, ponctue le chercheur. Mais l’appropriation des nouvelles technologies est assez forte sur l’ensemble de la population étudiée. Nous sommes clairement sur une situation assez exceptionnelle, comparativement à d’autres communes. »

Entretien

Qu’est-ce qui vous a poussé à étudier le profil de nos seniors en général et à Ottignies-Louvain-la-Neuve plus particulièrement ?

Depuis 2003, mes travaux portent principalement sur la mobilité résidentielle en Belgique. Le choix de travailler sur le vieillissement est venu de l’analyse des transformations démographiques à l’échelle locale et des disparités spatiales : alors que certaines communes ont une population encore relativement jeune, d’autres, à quelques kilomètres, sont marquées par le vieillissement. La volonté de comprendre les mécanismes sous-jacents m’a amené à m’intéresser à la mobilité des seniors. Pour ce qui est d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, le projet a été lancé suite à une rencontre avec le consortium Louvain4Ageing qui souhaitait lancer un Livinglab – une sorte de laboratoire à ciel ouvert où chercheurs, décideurs et simples citoyens peuvent se rencontrer pour des améliorations (nouveaux services, nouvelles technologies… – à destination des aînés ou faire état de difficultés) sur Louvain-la-Neuve mais nous demandais au préalable d’analyser la situation des personnes âgées de 55 ans et plus dans la commune.

Comment s’est déroulée l’enquête ?

L’enquête a été retardée du fait de démarches pour obtenir l’autorisation des données relatives à la vie privée des sondés. Cela a mis le temps, mais nous avons commencé à rassembler ces données via des questionnaires individuels à partir du mois de juillet dernier. Cela a plutôt bien marché sur LLN, car les gens se sentent concernés par l’Université. Les personnes interrogées ont accepté assez facilement d’y participer, parce que l’Université s’intéressait à eux.

A l’inverse, pour le reste de la commune, cela ne s’est pas toujours aussi facilement déroulé. Comme l’enquête est également soutenue par les autorités communales, cela nous a un peu desservi car les gens se sont sentis délaissés… Un habitant de Céroux-Mousty nous a même dit : « On fait tout pour Louvain-la-Neuve et rien pour nous ». Certains refusaient donc de participer à l’enquête qui devait originellement toucher plus de 700 personnes…

Un souvenir vous marque-t-il plus personnellement ?

Suite à l’enquête, une des personnes ayant répondu au questionnaire m’a écrit pour féliciter l’enquêteur qui était venu chez elle. Par la suite, nous avons correspondu pendant deux mois en parlant de sujets très divers… Cet homme de 80 ans qui se déplace difficilement mais qui est bien connecté sur internent, vit ici à LLN. Il sera l’un des témoins sur scène lors de la présentation des résultats.

 

Marie Dumas

Jean-Paul Sanderson fait partie du comité scientifique et d'organisation du Colloque de l'Association Internationale des Démographes de Langue Française "Comment vieillissons-nous?" qui aura lieu du 28 au 31 août 2018 à Louvain-la-Neuve.

 

 

 

Coup d’œil sur la bio de Jean-Paul Sanderson

Jean-Paul Sanderson est docteur en démographie. Après une licence en histoire, il entreprend un diplôme et une maîtrise en démographie à l’UCL. Ses principaux centres de recherche sont le vieillissement, la mobilité résidentielle, la démographie historique, les inégalités sociales et spatiales. Il est actuellement assistant de recherche à l’UCL.

Publié le 19 juin 2018