Le changement climatique et les activités humaines modifient l’habitat de nombreuses espèces animales et végétales. Comment y réagissent-elles ? Des chercheurs de l’UCL se sont penchés sur la question.
Le climat change et de nombreux écosystèmes aussi. Or, quand une espèce voit son environnement devenir moins favorable à sa survie, elle peut réagir de 3 façons différentes :
- La sélection naturelle : les individus ne changent pas d’habitat, mais d’une génération à l’autre, les individus les mieux adaptés aux conditions environnementales prospèrent et se multiplient.
- La plasticité désigne la capacité d’un organisme à modifier certaines caractéristiques, par exemple sa morphologie ou son métabolisme, en réponse à son environnement. Ces changements intervenant au cours de la vie de l’individu, son génome n’est pas modifié.
- La dispersion consiste, pour certains individus, à quitter leur habitat natal pour aller vivre et se reproduire dans de nouveaux environnements.
Quand la dispersion freine l’adaptation
Dès que les individus d’une espèce se reproduisent ailleurs que là où ils sont nés, c’est-à- dire lorsqu’ils dispersent, ils apportent leurs gènes dans leur population d’arrivée. C’est ce qu’on appelle le flux de gènes.
Une théorie couramment admise en écologie et biodiversité est que ce flux de gènes est un frein à la différenciation des populations et à l’adaptation des individus aux conditions locales. « Pour comprendre ces concepts, imaginons une espèce de papillons comprenant des individus rouges ou verts », explique le Dr Staffan Jacob, chercheur sous mandat « Move-in Louvain » à l’Earth and Life Institute. « Dans un environnement rouge, s’ils ont un intérêt à être rouges – pour survivre, se cacher des prédateurs, se nourrir, se reproduire, etc. –, la sélection naturelle va favoriser les papillons rouges au détriment des verts. Cette sélection mène à une adaptation de la population et des individus qui la composent à leur environnement local. A contrario, la dispersion va freiner cette adaptation en mélangeant les individus entre différentes populations. Des papillons verts vont donc disperser vers des environnements rouges et inversement, réduisant de facto les différences entre les populations. »
Choisir son habitat idéal
Mais la dispersion mélange-t-elle toujours les populations ? Dans le cadre d’une collaboration entre l’UCL (Pr Nicolas Schtickzelle), le CNRS en France et l’Université de Gand, le Dr Jacob a voulu tester en laboratoire une théorie : si les individus ne dispersent pas au hasard et choisissent de rejoindre les conditions environnementales qui leur sont les plus profitables, alors la dispersion pourrait, non plus freiner, mais bien favoriser l’adaptation. Pour ce faire, les chercheurs ont étudié les réactions de plusieurs génotypes de Tetrahymena thermophila, un micro-organisme unicellulaire aquatique qui se déplace activement dans son environnement grâce à ses cils.
Ce micro-organisme est capable de vivre entre 10 et 40 °C, mais sa température idéale varie selon son bagage génétique. Premier élément important, l’équipe a découvert que cette petite bête est capable de choisir et de nager vers son habitat préféré : « Lorsque les individus sont placés dans un habitat présentant une température qui ne leur convient pas, ils le quittent pour rejoindre la température qui leur convient mieux », explique le Dr Jacob.
Les chercheurs ont ensuite testé l’importance du choix d’habitat pour l’adaptation des populations à des hautes températures. « Nous avons mis des individus dans un environnement à 35 °C, soumis à un flux régulier de dispersants, et les avons suivis sur environ 250 générations. Si les individus rajoutés régulièrement n’avaient pas choisi leur habitat (dispersion aléatoire), alors l’adaptation locale s’en trouvait empêchée. Par contre, quand nous rajoutions des individus qui avaient auparavant choisi l’environnement à 35 °C, l’adaptation locale était favorisée. Ce qui prouve que, lorsqu’elle implique un choix d’habitat, la dispersion n’est pas un frein, mais au contraire un facteur favorisant l’adaptation locale. »
Des résultats à préciser et à étendre
Cette étude (1) démontre l’importance de ce comportement – le choix d’habitat – dans l’adaptation des populations face à une augmentation de température. « Le flux de gènes n’est pas toujours un frein à l’adaptation locale et à la différenciation », résume le Pr Schtickzelle. « De plus, il y a de fortes chances que cette logique puisse s’appliquer à d’autres espèces. Cela reste à démontrer, mais si un micro-organisme unicellulaire est capable de prospecter afin de choisir l’habitat qui lui convient le mieux, il y a fort à parier qu’il en est de même pour des espèces animales multicellulaires. » De quoi potentiellement modifier notre compréhension des dynamiques évolutives où la dispersion joue un rôle.
Candice Leblanc
(1) S. Jacob et al., « Gene flow favours local adaptation under habitat choice in ciliate microcosms » in Nature Ecology & Évolution, 2017, 1, 1407–1410. URL : https://www.nature.com/articles/s41559-017-0269-5
Coup d'oeil sur la bio de Nicolas Schtickzelle
1997 Master en biologie à l’Université catholique de Louvain (UCL)
1997-2002 Aspirant du Fonds de la Recherche scientifique (FNRS)
2003 Doctorat en biologie à l’UCL
2003-07 Chercheur postdoctoral FNRS
Depuis 2007 Chercheur qualifié FNRS et responsable du groupe de recherches « Quantitative Conservation Biology » de l’UCL
Depuis 2008 Membre du collège des Alumni de l’Académie royale de Belgique
Depuis 2015 Professeur à l’UCL
2010-16 Président du Centre de recherche sur la biodiversité de l’UCL
Les recherches du Pr Schtickzelle sont principalement financées par le FNRS et l’UCL.
Coup d'oeil sur la bio de Staffan Jacob
2010 Master en Biodiversité, Écologie et Évolution à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (France)
2013 Doctorat à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (France)
2014-16 Postdoctorat à la Station d’écologie théorique et expérimentale du CNRS à Moulis (France)
Depuis 2016 Postdoctorat à l’UCL (Earth and Life Institute, équipe du Pr Nicolas Schtickzelle, bourse « Move-In Louvain »)
Les recherches du Dr Jacob ont été principalement financées par l’UCL, le CNRS (France) et le FNRS.