La surface des cellules est constituée d’une membrane lipidique où se trouvent de nombreux récepteurs. Ceux-ci permettent de transmettre des signaux de l’extérieur vers l’intérieur de la cellule, parfois avec des effets non souhaités comme une inflammation par exemple. De nombreux médicaments ciblent ces récepteurs pour diminuer ces derniers sans pour autant dérégler la cellule. Dans ce cadre, David Alsteens, chercheur à l’Institut des Sciences de la vie de l’UCL, a choisi une méthode innovante pour arriver à mieux identifier les caractéristiques propres à chaque récepteur.
C’est dans la revue scientifique Nature Methods que David Alsteens a exposé sa nouvelle approche pour observer – mieux : pour quasiment déchiffrer – des récepteurs cellulaires. Elle repose sur un balayage réalisé par la pointe d’un microscope à force atomique. « La microscopie fait référence à une simple observation. Le nom est donc en quelque sorte mal choisi. Car cet appareil réalise une vraie topographie précise d’une molécule particulière. On pourrait comparer son fonctionnement à celui du diamant d’un tourne-disque sur des disques vinyles : cet appareil dispose d’une pointe nanoscopique fixée au bout d’un levier souple. Cette pointe va scanner littéralement point par point la surface des membranes cellulaires pour en dresser une image précise. Grâce à celle-ci, il est possible pour nous de connaître la position d’un récepteur et de déterminer comment il interagit avec un ligand avec lequel il s’associe pour s’activer », explique David Alsteens. « La mesure de ces forces d’interactions nous permet de déterminer l’affinité, c’est-à-dire la force d’association du ligand pour le récepteur. »
Une technique unique
Ce microscope à force atomique est déjà utilisé à d’autres fins : « Il existe depuis 1986. Il a été utilisé sur des matériaux, ensuite en imagerie à l’air ambiant, puis en milieu liquide… Cette technologie ne cesse d’évoluer pour rendre les analyses de surfaces toujours plus précises. Plus récemment, cette technique a permis d’investiguer des micro-organismes et des cellules vivantes », précise David Alsteens. D’une précision extrêmement fine, cette technologie utilisée pour observer la molécule individuelle est unique.
Accélérer la recherche
Cette technique peut par ailleurs permettre à la recherche d’avancer plus vite. « Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique doit tester sa molécule, il doit trouver la combinaison parfaite entre une molécule et un récepteur membranaire. Pour cela, les chercheurs doivent tester de nombreuses molécules sur un récepteur lors de la première phase d’étude. Ils écartent alors au fur et à mesure celles qui ne fonctionnent pas. Nous cherchons pour notre part à faire le chemin inverse. S’il est possible grâce au microscope à force atomique de repérer plus rapidement un candidat compatible, le temps passé à le rechercher sera considérablement réduit », se réjouit David Alsteens. Mais il ne fait pas que donner des informations : il est possible de fixer sur sa pointe un ligand que l’on va mettre en contact avec le récepteur identifié. « Ainsi, nous pouvons mesurer les forces, les interactions entre le récepteur et son ligand et voir comment le médicament interfère dans cette liaison. On peut en quelque sorte mesurer la compétition entre le médicament et le ligand naturel. » La mise en contact en direct permet dès lors d’accéder directement sur une cible bien précise et de provoquer une réaction. Ce qui s’avère particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit d’un médicament !
Résultats sur les plaquettes sanguines
Convaincus que ce microscope à force atomique apporte un véritable plus pour traiter des pathologies, David Alsteens et ses collaborateurs ont décidé de le tester sur un récepteur des plaquettes sanguines, impliqué dans les cas de thrombose : PAR1. Il a travaillé sur ce projet avec Brian Kobilka, de la Stanford University aux États-Unis et prix Nobel de chimie en 2012, découvreur de ce récepteur. « L’activation de PAR1 induit l’hémostase, à savoir le processus qui mène à l’arrêt d’un saignement afin d’éviter l’hémorragie. Il s’agit d’un récepteur couplé aux protéines G, qui permettent le transfert d'informations à l'intérieur de la cellule. Lorsque l’un des récepteurs situés à la surface de la cellule est activé, la protéine G qui est liée à ce récepteur aura soit un effet inhibiteur, soit un effet excitateur à l'intérieur de la cellule. »
Les chercheurs ont ainsi pu étudier le mécanisme d’activation de ce récepteur spécifique. Ils ont également observé la manière dont il réagit avec la molécule qui l’active, et ses interactions.
Application sur un médicament
En s’intéressant au système sanguin et cardiovasculaire, les chercheurs ont ensuite testé l’effet d’un médicament destiné à réduire les risques de crise cardiaque : le vorapaxar. Ce dernier bloque l’action du ligand, même s’il est fixé au récepteur. « Cette molécule est donc très efficace, mais elle pose un problème du fait qu’elle est insoluble dans l’eau. Elle doit dès lors être encapsulée pour qu’elle se solubilise dans la membrane lipidique. Notre recherche a pour objectif de permettre d’aller plus directement à la cible via le milieu aqueux, grâce à une administration directe sur le site. » Cette technologie de microscopie est actuellement réalisée sur des cellules que l’on place dans des conditions optimales en termes de température, de pH, etc. La prochaine étape serait de l’utiliser in vivo, afin de voir comment un virus, par exemple, interagit avec une cellule humaine, au moment même de l’infection, espère David Alsteens.
Un microscope aux multiples utilisations
Mais aujourd’hui déjà, ce microscope à force atomique offre déjà de belles réalisations. « Il est utilisé par exemple à l’UCL dans l’équipe du Professeur Dufrêne, pour étudier les récepteurs des staphylocoques dorés, afin d’examiner comment ils interagissent sur la peau de différentes personnes. Ainsi, on a pu constater qu’ils sont plus agressifs sur des peaux atopiques, par exemple », explique David Alsteens. Par ailleurs, des micro-organismes peuvent être fixés à l’extrémité de la pointe afin d’étudier leur interactions avec d’autres, ouvrant le champ des possibles.
Aujourd’hui cantonné dans les centres de recherches, on pourrait imaginer le retrouver dans des hôpitaux, par exemple pour identifier rapidement la structure de cellules cancéreuses. « On sait par exemple que les cellules les plus souples sont celles qui aboutissent le plus souvent à des métastases. Cet appareil pourrait ainsi déterminer rapidement à quel type de cellule l’oncologue a affaire, pour adapter le traitement… »
Carine Maillard
Coup d'oeil à la bio de David Alsteens