Les religions ne voient pas d’un très bon œil la sexualité liée au plaisir : les relations sexuelles ne devraient donc être motivées que par un désir de procréation… Mais pourquoi probablement toutes les religions s’accordent-elles sur ce point ? Vassilis Saroglou et Caroline Rigo, de la Faculté de psychologie à l’UCL, ont publié une étude pour en savoir plus.
Pourquoi les autorités catholiques prêchent-elles l’amour physique essentiellement pour faire des enfants ? Pourquoi les relations sexuelles sont-elles interdites durant le Ramadan ? Pourquoi la sexualité du couple est dictée par la nidda dans la religion judaïque ? On pourrait aller plus loin encore : pourquoi les religions, toutes confondues, interdisent-elles l’homosexualité ou l’onanisme ? En un mot, pourquoi craignent-elles tant la sexualité ? Une partie de la réponse pourrait être donnée par Vassilis Saroglou et Caroline Rigo, qui ont cherché à comprendre l’impact du sexe sur la pratique religieuse : et si le sexe détournait les croyants des valeurs fondamentales de la religion ? « Ce sujet d’étude est né de l’alliance de nos centres d’intérêts : le Pr Saroglou étant un spécialiste des religions, moi m’intéressant de près à la sexologie. De plus, il existe peu d’études approfondies portant sur les comportements sexuels et l’influence de la religion ; les études existantes traitent davantage des liens purement associatifs entre religiosité et attitudes et pratiques sexuelles (p.ex. premières expériences sexuelles…) », précise Caroline Rigo.
Par ailleurs, ces études existantes présentent un biais : « Le plus souvent, elles reposent sur les propos rapportés par les personnes interrogées, et non sur des expérimentations. On ne peut donc jamais être certain de ce que ces participants affirment, du poids de la religion ou de leur orientation politique (conservatrice ou libérale), par exemple, qui peut les influencer. C’est pourquoi nous avons décidé de réaliser une série d’études plus expérimentales », renchérit le Pr Saroglou.
La religion qui écarte du sexe
Pas facile, de tester en situation réelle l’influence directe de la religion sur l’activité sexuelle, ou, à l’envers, l’influence de la sexualité sur la religiosité d’une personne… Et pourtant, l’équipe de l’UCL l’a fait ! « Nous avons réalisé naguère une étude dans laquelle nous avons induit un ‘priming’ religieux subliminal’. « Des combinaisons de lettres apparaissaient sur un écran d’ordinateur, et les participants devaient dire s’il s’agissait de mots existants ou non. Mais lors de la diffusion de ces mots, d’autres apparaissaient, liés à la religion, une fraction de seconde. Ensuite, nous avons soumis ces personnes à des photos érotiques : les participants devaient dire s’ils les trouvaient plus ou moins indécentes. A la fin, ces mêmes participants répondaient à des questions afin d’évaluer leur niveau de religiosité. Nous avons ainsi constaté qu’après l’induction de mots religieux, les participants, croyants ou pas, évaluaient bien plus négativement les photos érotiques ; et, en outre, les non-croyants ‘s’inhibaient’ en regardant ces photos durant un temps bien plus court », explique Caroline Rigo.
Et le sexe qui écarte de la religion
Mais dans une série de trois récentes études, les chercheurs ont voulu savoir si l’effet inverse était également vrai : non plus celui de la religion sur la perception de la sexualité, mais l’influence du sexe sur les valeurs religieuses et morales. Et les résultats sont assez surprenants : « Des discours religieux contemporains, en particulier catholiques, tendent à réhabiliter la sexualité pour le plaisir, affirmant qu’elle serait bien compatible avec la religiosité. Nous avons voulu vérifier cette affirmation très théorique, et la faire reposer sur du solide. Car on peut soupçonner que l’une des raisons pour lesquelles la sexualité a autant été cadenassée par les religions est que, au contraire, elle détourne des valeurs que la religion donne, de ses messages », renchérit le Pr Saroglou. « En quelque sorte, faire l’amour le dimanche matin empêche d’aller à la messe ! Car les personnes se retrouvent dans un état d’esprit de jouissance, de plaisir qui, sur le moment, ne pousse pas à rechercher la spiritualité », ironise Caroline Rigo.
Trois études
Pour le démontrer, Vassilis Saroglou et Caroline Rigo, à travers trois études, ont donc pris à chaque fois un échantillon de volontaires et les ont séparés en deux groupes. Au premier, ils leur ont demandé de se remémorer un rapport sexuel, de se remettre dans cet état d’esprit et de le décrire en quelques lignes. Au second, il a été demandé de décrire le chemin qu’ils ont pris la dernière fois qu’ils sont allés au cinéma. Le premier groupe était donc dans un état d’esprit influencé par les pensées sexuelles, les seconds dans un état d’esprit neutre. Ensuite, les chercheurs ont évalué l’attrait pour diverses destinations de voyage dans les deux groupes : Tibet ou St-Jacques de Compostelle (à connotations plus spirituelles), ou bien le Kenya ou Miami, des destinations plus neutres.
La première étude a été menée en Belgique, la deuxième en Croatie, afin de voir s’il existait des différences culturelles. « Nous sommes chaque fois arrivés aux mêmes constats : dans le groupe qui avait dû se remémorer des moments d’intimité sexuelle, les participants étaient moins enclins à choisir des destinations à connotation religieuse, mais pas les destinations neutres », poursuit Caroline Rigo. Autrement dit, les pensées et affects sexuels avaient diminué spécifiquement les inclinations spirituelles.
La moralité mise à mal
« Et pour ne pas en rester exclusivement aux attitudes religieuses, nous avons voulu voir si la sexualité pouvait aussi influencer des comportements considérés comme moraux. Aussi, lors de la troisième étude, nous avons demandé aux participants, après avoir de nouveau soit repensé à des relations sexuelles, soit détaillé le chemin vers le cinéma, de définir ce qu’ils feraient avec une grosse somme d’argent. Ils pouvaient ainsi spontanément soit la garder pour eux, soit la partager avec des proches, soit la donner à des associations caritatives. Ils pouvaient dépenser cette somme comme ils le voulaient, en donnant pour chaque dépense le pourcentage de la somme qu’ils attribuaient. Résultat : les gens se montraient moins altruistes, plus égoïstes dans le groupe qui avait repensé au sexe. Autrement dit, la sexualité détourne des autres, que ce soit dans des valeurs religieuses ou morales », conclut le Pr Saroglou.
Faut-il en conclure que les personnes qui ont une activité sexuelle « pour le plaisir » ne sont que de grandes égoïstes ? « Pas nécessairement, en tout cas pas à long terme. Car l’étude n’a démontré de lien que dans les minutes qui suivaient ! », nous rassure Caroline Rigo.