Banquise: standardiser les mesures pour mieux prédire le changement climatique

 

Au Centre de recherche sur la Terre et le climat Georges Lemaître (TECLIM) de l’UCL, deux chercheurs se passionnent pour les variations climatiques dans les régions polaires : François Massonnet et Hugues Goosse. « Ces régions me fascinent : ce sont parmi les dernières encore quasi vierges d’activités humaines qui subsistent sur notre planète, s’enthousiasme le premier. Via notre empreinte humaine, nous sommes pourtant indirectement parvenus à bouleverser ces écosystèmes a priori entièrement protégés… »

Depuis de nombreuses années, les études sur le climat ont cherché à appréhender ces bouleversements sur de très longues périodes car comprendre ces évolutions pourrait permettre de mieux prévoir nos changements climatiques. Certaines de ces études s’étendent sur plusieurs millions d’années dans le passé et dans le futur… « Hugues Goosse et moi-même nous sommes plus spécifiquement intéressés aux variations climatiques dans ces régions polaires sur des périodes plus courtes, de quelques dizaines d’années, poursuit François Massonnet. De la fin des années 1970, jusqu’à la fin du siècle actuel, nous avons analysé l’évolution de la banquise et toutes les modélisations qui ont été faites sur cette période. Un constat : aucune ne ressemble à l’autre : tous les modèles d’études s’accordent sur le fait que la banquise fond, mais pas sur la vitesse de cette fonte... »

Trop de différences entre les prévisions

La banquise, cette fine couche de glace qui flotte et se forme naturellement dans l’océan, est à distinguer de l’épaisse calotte glaciaire. Depuis plusieurs années, de nombreuses études concordent effectivement pour affirmer que cette zone du globe est interconnectée avec nos changements climatiques. « Par des études satellitaires et de terrain, il est clair que l’on constate un important retrait de la banquise, confirme le chercheur. Toutes les études l’attestent. Mais aucune d’entre elles n’est d’accord sur la vitesse de cette fonte. » Le grand intérêt de l’étude menée par François Massonnet et Hugues Goosse est d’avoir identifié l’origine de ces disparités dans les prévisions de fonte de la banquise. Cette diversité est une conséquence de la façon dont les modalisateurs apprécient son épaisseur au départ qui est à l’origine de la diversité des résultats. A l’heure actuelle, seule la méthode satellitaire permet de mesurer l’épaisseur de la banquise. Depuis l’espace, des satellites envoient des signaux jusqu’au cœur de la banquise. Une fois impactée, la surface renvoie les signaux au satellite qui en calcule la hauteur par la distance parcourue. Mais cette transmission est perturbée par différents éléments, des « bruits » constitués par exemple par de la neige au-dessus de la banquise, des turbulences atmosphériques…Mesurer précisément l’épaisseur de la banquise relève donc du défi. Les scientifiques parlent d’incertitudes allant de 50 à 100%. Donc, pour un mètre d’épaisseur calculé, l’erreur peut être de 50 centimètres à…Un mètre, soit quasiment la mesure entière. Mais comment choisir les « bons » modèles avec la bonne épaisseur de banquise ? « Nous ne pouvons pas en être sûrs car l’échelle de temps est trop courte : cela ne fait que 15 ans que nous récoltons des données relatives à l’évolution de la banquise. Or, en matière de climat, il faut minimum 30 ans pour s’assurer de résultats certains. » Conclusion : une telle mesure est aujourd’hui impossible en l’état actuel des choses…

Un appel aux programmes spatiaux d’observation

« Nous lançons donc un véritable appel aux programmes spatiaux d’observation pour déployer des systèmes d’observation à grande échelle et contraindre les formats de prédiction des modèles, afin de mieux prévoir la fonte de la banquise, lance le chercheur. Nous ne pouvons pas aller plus vite que la musique et obtenir l’équivalent de 30 ans d’expérience en une fois, mais on peut au moins espérer ainsi des observations bientôt plus précises. » Un espoir que la communauté des recherches pourrait concrétiser : « Il y a encore cinq ans, les communautés scientifiques de développement de modèle étaient séparées et ne se parlaient pas beaucoup…, explique François Massonnet. Depuis, ça s’est emballé : de plus en plus de conférences font se rencontrer modélisateurs et observateurs du climat. Comme Hugues et moi, tous deux aux casquettes multiples, un véritable travail conjoint se met en place. Enfin, nous avons réalisé qu’il s’agit de la clef de l’avenir des recherches. »

Marie Dumas

Entretien

François Massonet est Chargé de Recherches au F.R.S.-FNRS et membre du Centre de Recherches sur la Terre et le Climat Georges Lemaître (TECLIM, Earth and Life Institute). Avec Hugues Goosse, il publie dans la revue Nature Climate Change les résultats d’une étude relative à l’évolution de la banquise et aux différentes manières de calculer sa progressive diminution.

Pourquoi s’intéresser aux régions polaires ?

En plus de la passion, il y a trois grandes raisons qui justifient notre intérêt pour ces zones du globe. La première, c’est qu’elles sont aux premières lignes des changements climatiques. L’Arctique s’est réchauffé bien plus vite que le reste de la planète et il en est de même que plusieurs régions de l’Antarctique. Pour utiliser une expression assez courante dans notre milieu, ces régions sont un peu le «canari dans la mine» , c’est-à-dire que ce sont des indicateurs précoces des changements climatique. Une autre raison est que nous avons de plus en plus de preuves que ce qu’il se passe dans les régions polaires n’est pas destiné à s’y cantonner. Ce sont des régions « téléconnectées » : elles sont liées à d’autres régions physiquement éloignées de notre planète qui, a priori, ne devraient pas être en interaction directe, mais interagissent tout de même d’une manière ou d’une autre. C’est le cas par exemple du bassin Pacifique avec le phénomène El Niño et ses répercussions dans l’Atlantique. Nous avons observé un effet identique entre l’Arctique et l’Europe. Plusieurs études ont également montré que ces forts réchauffements en Arctique pouvaient induire des variations de froid ou de chaleur sur tout le globe. Ces régions peuvent donc être en quelque sorte des indicateurs de notre futur climat.

L’évolution de cette zone du monde pourrait entraîner de nombreux changements dans le futur.

C’est la troisième raison qui guide cette étude. Elle est aussi plus pragmatique. Ces régions sont devenues plus habitables. Elles restent certes froides en hiver et englacées la plupart du temps, mais nous avons pu observer un retrait significatif de la banquise pendant la période estivale, permettant le passage de certains bateaux qui ne pouvaient auparavant y passer. Cela ouvre des opportunités pour de nombreux acteurs économiques, redistribuant les cartes au niveau géopolitique. C’est une région riche de possibilités, mais qui reste encore à découvrir.

 

 

 

 

Coup d’œil sur la bio de François Massonnet et Hugues Goosse

François Massonnet est Chargé de Recherches au F.R.S.-FNRS et membre du Centre de Recherches sur la Terre et le Climat Georges Lemaître (TECLIM, Earth and Life Institute). Après avoir obtenu son diplôme d'ingénieur civil en mathématiques appliquées à l'UCL en 2009, il propose dans sa thèse de doctorat des méthodes novatrices pour reconstruire et prédire l'évolution des banquises arctique et antarctique, par l'utilisation conjointe de modèles climatiques et d'observations satellitaires et de terrain. De 2014 à 2016, il effectue un postdoctorat au Barcelona Super Computing Center en Espagne au sein d’une équipe de renommée internationale en matière de prévision climatique sur des échéances allant de quelques mois à quelques années. Il y a notamment acquis une expertise reconnue dans les domaines d'évaluation et de vérification des modèles et prévisions climatiques. Grâce à cette expérience, il a contribué en 2013 à l'écriture du cinquième rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l'Evolution du Climat (GIEC) et est actuellement impliqué dans deux projets européens Horizon 2020. Plus d'informations : www.climate.be/u/fmasson et @FMassonnet (Twitter).

Hugues Goosse est professeur à l’UCL où il enseigne la climatologie et des disciplines connexes et directeur de recherches au Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S - FNRS). Ses recherches portent sur le développement de modèles climatiques, à la comparaison entre les résultats de modèles et différents types d’observations ainsi qu’à l’application de ces modèles pour étudier les changements climatiques passés et futurs. Il se consacre à la fois aux variations d’origine naturelle et aux changements climatiques induits par les activités humaines. Plus spécifiquement, ces travaux récents se focalisent sur les interactions entre la glace de mer et l’océan dans l’océan Austral, les changements climatiques durant les derniers millénaires et les méthodes d’assimilation de données en paléoclimatologie.

Publié le 19 juin 2018