Sur les traces des stocks de carbone dans le sol chilien

Une équipe de chercheurs belges et chiliens, réunis par BELSPO dans le cadre du programme Soil under Global Change, a étudié et défini les conditions de stockage du carbone dans le sol. La découverte qu'ils ont faite permet d'appréhender de manière plus précise la problématique du réchauffement climatique. Une recherche publiée dans Nature Geoscience.

Un pas de plus vers la compréhension des changements climatiques ? Sans aucun doute. Si de nombreux facteurs entrent en ligne de compte, une équipe de chercheurs belges et chiliens s'est penchée sur les incidences du climat et de la géologie sur le stockage du carbone dans le sol. Elle a permis de remettre en question l'hypothèse qui était jusque-là favorisée dans tous les modèles et qui rendait les prévisions imprécises : non, le stockage du carbone dans le sol n'est pas conditionné uniquement par le climat. La composition des sols entre elle aussi en ligne de compte. Cette recherche a fait l'objet d'un article publié dans Nature Geoscience[1] en septembre 2015.

C'est dans le cadre du projet interuniversitaire Soil under Global Change[2] lancé par BELSPO[3], que des chercheurs de l'Université de Gand, de la KU Leuven, de l'ETH Zurich et de l'UCL ont collaboré avec l'Université de Conception, au Chili. L'objectif : déterminer si les interactions entre le climat et la composition des sols influencent le stockage du carbone dans le sol. Des échantillons de sol ont ainsi été prélevés au Chili, sur une distance de 4000 km. « Nous sommes allés dans ce pays car il présente un gradient climatique intéressant, indique Kristof Van Oost, chercheur qualifié FNRS pour le Centre de recherche pour la Terre et le climat George Lemaitre de l’UCL. Le Chili traverse plusieurs zones climatiques, et sa géologie est très variable d'une région à l'autre. Il est très représentatif de tous les climats du monde entier, on peut le voir comme un laboratoire naturel idéal pour étudier cette problématique à grande échelle. Plusieurs sites ont été échantillonnés, jusqu'à l'Antarctique. »

Pas de rôle direct pour le climat

Si cette étude prend toute son importance, c'est parce que la question de la matière organique, et donc du carbone, est en lien direct avec les changements climatiques. « Le stock de carbone dans le sol est beaucoup plus important que celui qu'on peut trouver dans l'atmosphère, précise Kristof Van Oost. Influencer le premier peut donc avoir un impact sur le deuxième. Il faut éviter que le carbone qui se trouve dans le sol s'échappe vers l'atmosphère. On a même plutôt intérêt à augmenter la capacité de stockage du sol. Il y a donc deux éléments à favoriser : éviter que le carbone s'échappe et augmenter les entrées de carbone dans le sol. Mais pour cela, il faut avant tout comprendre les conditions de ce stockage, et c'est très difficile à mesurer. Les propriétés changent vite, c'est très variable et incertain. »

Depuis que la question de la séquestration du carbone est étudiée, les chercheurs ont toujours vu des liens avec les paramètres climatiques, comme les précipitations ou les températures. Des relations ont été établies, à tel point qu'il était admis que le climat était le facteur principal influençant la stabilité du carbone dans le sol, et intégrait de cette manière les « Modèles du Système Terre » (ESM) permettant de faire les prévisions futures.

Le projet mené au Chili démontre que cette approche est faussée. « Les expériences que nous avions menées nous permettent de dire que le climat n'explique pas tout. Ce sont les paramètres mêmes du sol qui permettent une quantité plus ou moins grande de stockage. Ce stockage est lié à la composition chimique des sols, à leur minéralogie, qui agit sur la stabilité des matières organiques et du carbone. La température n'agit donc pas comme facteur principal, elle joue un rôle indirect dans le processus : le climat influence les propriétés du sol, qui elles-mêmes influencent le carbone. Il est donc important de comprendre les mécanismes géochimiques des sols pour comprendre comment tout cela interagit ».

Et d'enchaîner sur une comparaison avec un réfrigérateur. « La température agit sur la décomposition des matières. Si on met du lait dans un frigo à 4°, il sera bien conservé. Si on le laisse en-dehors, il se décomposera en quelques heures et ne pourra pas être consommé. Si on augmente la température, le stock de carbone se décompose plus vite car les microbes sont plus actifs et consomment plus de matières organiques. Cependant, il faut également tenir compte du contenant : une bière en cannette ne se décomposera pas facilement, qu'elle soit dans le frigo ou pas. Pour les matières organiques, c'est la même chose : elles sont plus ou moins protégées chimiquement ou physiquement de la décomposition par la minéralogie des sols ».

Faire évoluer les modèles

Les recherches menées sur la question n'en sont pas pour autant terminées. Après le terrain, place place aux expériences en laboratoire. « Nous avons démontré des relations statistiques sur base d'observations, précise Kristof Van Oost, qui a notamment travaillé avec Sébastien Doetterl (Université de Gand)et Antoine Stevens, ancien post-doc à l'UCL. A présent, nous menons des expériences pour mieux en comprendre les mécanismes, grâce à des incubations dont nous changeons la minéralogie, ici, à l'UCL. Nous analysons le CO2 produit par nos expériences. »

Les collaborations se poursuivent avec l'Université de Gand, qui s'occupe des analyses isotopiques, permettant de définir quels types de carbones se décomposent plus ou moins. Mais aussi avec le Chili, où les observations se poursuivent. « Nous travaillons également avec les personnes qui créent les ESM, afin de faire évoluer ces modèles, qui sont actuellement trop réducteurs et imprécis. »

Ils souhaitent faire évoluer les zones de recherches, aussi. Car « en général, cela se passe essentiellement dans les pays où il y a de l'argent pour la recherche. La région des Tropiques est par exemple très sous-représentées, alors qu'on sait qu'il s'y trouve d'importants stocks de carbone. Cela dit, des projets commencent à se mettre en place pour voir ce qu'il se passe avec le carbone par là. Ce n'est que le début... »

 

 

[1] http://www.nature.com/ngeo/journal/v8/n10/full/ngeo2516.html

[2] https://hal.elic.ucl.ac.be/soglo/

[3] https://www.belspo.be/belspo/index_fr.stm

 

Coup d'oeil sur la bio de Kristof Van Oost

Kristof Van Oost

2003                  Docteur en Sciences (KUL)

2004-2006        EU Marie Curie Fellow, Earth System Science Group, University of Exeter, UK

2006-2007        Postdoctorat, FWOVlaanderen

2007-2015        Chercheur Qualifié FNRS, Earth & Life Institute, TECLIM, UCL

Depuis 2016     Maître de recherche FNRS, Georges Lemaître Center for Earth & Climate Research, Earth & Life Institute, UCL

 

 

Publié le 15 avril 2016