Tabac et ados : la Belgique, mauvaise élève !

Des chercheurs de l’UCL ont mené une étude sur le tabagisme chez les adolescents au niveau européen. Et le moins que l’on puisse dire est que la Belgique ne brille pas, ni par ses résultats, ni par ses politiques en la matière...     

Certes, les adolescents belges fument de moins en moins. Il n’empêche : en matière de tabagisme chez les jeunes, la Belgique fait toujours partie des mauvais élèves de la classe ! Selon les derniers résultats de l’étude européenne SILNE-R(1), 18 % des élèves de 3e et 4e secondaires(2) interrogés déclarent fumer au moins une fois par semaine... contre 11 % en moyenne au niveau européen. « Idem pour le cannabis : alors qu’un jeune Européen sur dix avoue avoir déjà fumé un joint, en Belgique, ils sont près d’un sur cinq (18 %) à avoir expérimenté le cannabis », explique Nora Mélard, doctorante dans l'équipe du Professeur Lorant à l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCL et qui a travaillé en étroite collaboration avec ses collègues Adeline Grard et Pierre-Olivier Robert sur cette enquête. Pire, notre pays est classé parmi ceux qui en ont font le moins pour lutter contre le tabagisme chez les adolescents. Selon la chercheuse, « des 7 pays européens participant au projet SILNE-R, la Belgique est le seul à autoriser la vente de tabac dès 16 ans. Partout ailleurs, l’âge légal est de 18 ans. » 

Les facteurs influençant le tabagisme

Il n’y a pas que la législation nationale qui peut influencer la consommation de tabac chez les adolescents. Plusieurs autres facteurs interviennent. Pour l’étude SILNE-R, des questionnaires ont été soumis aux élèves. Ces questionnaires comprenaient plusieurs parties et thématiques, notamment: 

  • Le comportement tabagique individuel (âge de la 1re cigarette, habitudes de consommation, quantité, etc.) ;
  • Le comportement tabagique dans la famille (« Qui fume dans ta famille ? Quelles sont les règles à la maison vis-à-vis de la cigarette ? », etc.)
  • Le bien-être à l’école ; 
  • Le respect des règles scolaires (par les élèves, le personnel scolaire, etc.) ; 
  • L’hygiène de vie (santé, sport, etc.). 

« Nous avons aussi analysé avec beaucoup d’attention les réseaux sociaux des jeunes », ajoute Nora Mélard. « Nous leur avons demandé qui étaient leurs amis dans l’école. Plus un élève est cité, plus il est populaire. C’est une donnée importante, car fumer est un comportement social : avoir un ou plusieurs amis fumeurs augmente le risque qu’un jeune se mette à fumer à son tour. »

Les chercheurs ont également mené une série d’entretiens individuels avec des membres du personnel scolaire (directeurs, professeurs, éducateurs). Ils ont aussi organisé des discussions en groupes avec les adolescents eux-mêmes. Ce qu’il ressort de cette étude qualitative corrobore les résultats de l’étude quantitative menée via les questionnaires. À savoir que, en matière de politique tabagique, la Belgique souffre d’un manque de cohérence au sein même des écoles... 

Des règlements différents et inégalement appliqués

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Nora Mélard s’intéresse aux règlements scolaires en matière de tabac et leur impact sur le comportement tabagique des adolescents. « La loi interdit de fumer à l’intérieur d’un établissement », rappelle-t-elle. « En revanche, toutes les écoles n’ont pas la même politique en dehors de l’enceinte scolaire. Les plus strictes ont étendu cette interdiction à l’entrée et/ou aux abords de l’établissement. » Ces écoles comptent-elles moins de fumeurs pour autant ? Pas forcément. 
« Moins que le règlement et son étendue “géographique”, c’est surtout au niveau de son application, de la cohérence de la politique scolaire et de l’exemplarité que les choses se jouent », explique Nora Mélard. « Les thèmes les plus récurrents abordés par les adolescents dans les discussions de groupe tournaient autour du respect des règles, non seulement par les élèves, mais aussi par le personnel scolaire. À juste titre, les jeunes trouvaient injuste que des professeurs ou des éducateurs qu’ils voient fumer – ce qui est déjà regrettable en soi ! – leur interdisent d’en faire autant... Or, l’exemplarité influence beaucoup les choix des adolescents. De plus, ils ont l’impression que fumer est un comportement “normal”... Ce qui est loin d’être le cas ! » 

Comment mieux faire ?

Outre des chiffres et des explications quant aux causes du tabagisme, l’étude SILNE-R(3) permet surtout de dégager plusieurs recommandations. Par exemple :

  • Interdire la vente de tabac aux moins de 18 ans ;
  • Limiter les vendeurs de tabac aux abords des écoles et davantage les contrôler ;
  • Étendre l’interdiction de fumer aux abords immédiats de tous les établissements scolaires ;  
  • Faire respecter le règlement, non seulement aux élèves, mais aussi aux adultes (personnel scolaire, parents d’élèves, visiteurs, etc.) ;
  • Encourager les initiatives au niveau local : terrasses et parcs de jeux sans tabac, etc.

« Combattre le tabagisme, sa normalisation et sa visibilité dans l’espace public et médiatique ne dépend pas seulement des écoles : c’est la société dans son ensemble qui devrait œuvrer en ce sens ! », conclut Nora Mélard. « Les adolescents sont un public vulnérable. Il est de notre devoir de les protéger contre un comportement qu’eux-mêmes avouent souvent regretter. » 

Candice Leblanc

(1)Le projet SILNE-R a pour objectif d’évaluer l’impact des politiques menées contre le tabac sur les adolescents. Il rassemble 8 équipes de recherche dans 7 pays européens, dont la Belgique. Au total, ce sont 38 écoles et près de 20 000 élèves européens qui ont participé aux deux vagues de l’étude SILNE-R. En Belgique, les chercheurs ont sélectionné 7 écoles des environs de Namur. 
(2)La moyenne d’âge des élèves interrogés est donc de 15 ans.
(3)L’ensemble des résultats de la première vague de l’étude SILNE-R (l’étude SILNE) peut être consulté ici.

L’étude SILNE-R a été financée par la Commission européenne. 

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Nora Mélard

2014: Bac en marketing à l’EPHEC    
2015: Master en Sciences de la décision humaine à l’Université de Maastricht
2016: Master en Éducation et promotion de la Santé à l’Université de Maastricht
Depuis 2017: Doctorante à l’Institut de Recherche Santé et Société de l’UCL

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Vincent Lorant

Vincent Lorant est sociologue, politologue et économiste, docteur en Santé Publique. Il a réalisé sa thèse sur les inégalités de santé mentale. Il est professeur de sociologie médicale à la Faculté de Santé Publique de l’UCL. Ses recherches réalisées dans le cadre de l’Institut de Rercherche Santé Publique Santé et Société, portent sur les inégalités de santé, la consommation de substance par les adolescences, les services de santé mentale. Dans ce cadre, il s’intéresse aux politiques de santé publique.

Il a fait partie de l’équipe fédérale chargée de l’évaluation de la réforme art107. a participé à différents consortium européens de recherche : EUGATE, PROMO, COFI, SILNE, SILNER. fut le représentant belge de deux réseaux de recherche sur la santé des migrants, COST-HOME et COST-ADA

  

                

 

 

Publié le 13 septembre 2018