Comment poursuivre la croissance économique dans un contexte de transition énergétique ? Le Pr Hervé Jeanmart1 et Elise Dupont2, doctorante, tentent d’offrir une piste de réponse à cette question, en étudiant le retour sur investissement énergétique des énergies renouvelables, et son impact sur la société.
« Il faut viser le 100% renouvelable ! ». Nous avons déjà tous entendu ce genre de discours confiant. Aujourd’hui, pourtant, dans la majorité des pays développés, les sources d’énergie renouvelable dites « modernes » telles que l’éolien et le solaire en sont encore à leurs débuts. Face à cette nécessité climatique de tendre vers le 100% renouvelable, le Pr Hervé Jeanmart, membre du Louvain4Energy de l’UCLouvain et la doctorante Elise Dupont s’interrogent : quel est le réel potentiel des énergies renouvelables (éolien et solaire) ? Quelle est leur capacité à se substituer aux énergies fossiles, tout en satisfaisant l’augmentation des besoins de nos sociétés, induite par la croissance économique et démographique ?
Le retour sur investissement énergétique, c’est quoi ?
Pour étudier cette vaste question, le Pr Jeanmart travaille depuis plusieurs années sur le retour sur investissement énergétique. « Nous connaissons tous le retour sur investissement financier. », introduit le responsable académique, « Le retour sur investissement énergétique est un concept similaire, mais axé sur la production d’énergie ». Pour construire des installations qui produisent de l’énergie (une éolienne, par exemple), il faut assembler des matériaux, les déplacer, les installer, les entretenir, les démanteler, les recycler, etc. Toutes ces actions consomment de l’énergie. De l’autre côté, dès que le vent souffle, l’éolienne produit de l’énergie. Le retour sur investissement énergétique est le rapport entre ce qu’a produit une installation sur sa durée de vie, et ce qui a été nécessaire pour produire et entretenir cette même installation.
Un modèle mondial
Depuis 4 ans, Elise Dupont, doctorante à l’Institut de Mécanique, Matériaux et Génie civil (IMMC) de l’UCLouvain, travaille, sous la direction du Pr Jeanmart, en particulier sur l’éolien et le solaire. D’un côté, elle se demande combien ces installations produisent d’énergie. Pour cela, sa source principale sont les données météorologiques mondiales, couplées à des bases de données d’occupation des sols. Sur un maillage dessiné sur une carte du monde, elle a d’abord identifié les zones où l’on ne peut pas installer de panneaux solaires ou d’éoliennes (centres-villes, trop grande distance des habitations, montagnes, etc.). Elle a ensuite estimé la production d’une installation, puis résolu un problème d’optimisation qui concerne surtout les éoliennes : si on met beaucoup d’éoliennes dans une même zone, elles s’influencent les unes les autres, et leur rendement est moindre. Ensuite, Elise Dupont a analysé le potentiel de chaque zone, et a trié ces données par qualité en fonction de leur retour énergétique. De l’autre côté, l’étude a porté sur l’analyse de cycle de vie des installations : quelle mobilisation d’énergie est nécessaire pour produire et entretenir une éolienne ou un panneau solaire ? En découle un ratio, ce fameux taux de retour énergétique, qui alimentera d’autres études sur les conséquences de la transition énergétique sur nos sociétés.
Un retour énergétique qui diminue avec le temps
Dans notre système énergétique actuel, différentes sources d’énergie coexistent avec des ratios très variés. Le pétrole a par exemple un ratio énergétique très élevé (de 60 à 100 pour 1 à ses débuts) car il faut peu d’énergie pour le puiser. A l’autre extrême, le biocarburant dans nos régions possède un retour énergétique assez faible (2 à 3 pour 1). Or, les scientifiques de l’étude ont noté une tendance à voir ce ratio diminuer au cours du temps. Prenons l’exemple du pétrole qui, à ses débuts, jaillissait naturellement sous la pression. Avec le temps, il a fallu utiliser davantage de matériel coûteux pour l’extraire. Son retour énergétique baisse jusqu’à ce qu’il soit peut-être, un jour, trop cher énergétiquement d’extraire du pétrole. Pour l’éolien et le solaire, le ratio diminue également mais en fonction de leur extension, les meilleurs sites étant exploités en premier. Une chose est sûre : le ratio des énergies renouvelables est actuellement moins intéressant que celui du pétrole historique. Dès lors, une question se pose : peut-on maintenir la société telle qu’on la connaît, avec une source d’énergie renouvelable qui a un retour énergétique plus faible ?
Eviter l’effondrement économique
Si les chercheurs de l’UCLouvain s’intéressent à cette problématique, c’est parce qu’en parallèle, des économistes réfléchissent à la trajectoire que la société pourrait suivre en cas de transition énergétique. Or, ceux-ci affirment déjà qu’en-dessous d’un certain ratio, nos sociétés s’effondrent, notamment parce que le secteur énergétique occupe une place trop importante dans l’activité économique. Pour éviter cet effondrement, l’étude du retour sur investissement énergétique permet d’anticiper les bonnes trajectoires à emprunter. Elle permet de déterminer ces conditions et paramètres qui rendraient possible une transition vers un monde renouvelable, tout en préservant nos sociétés. Ces courbes de diminution des ratios énergétiques en fonction de l’extension spatiale pour les énergies renouvelables serviront à alimenter le travail de ces économistes mais aussi d’autres chercheurs qui réfléchissent de manière globale aux conséquences de la transition énergétique sur nos sociétés.
Vers un développement important du solaire
A ce stade, certaines conclusions peuvent déjà être tirées des analyses d’Elise Dupont et du Pr Jeanmart. « On confirme qu’à l’échelle mondiale, le potentiel de l’éolien et du solaire est vraiment important », commente le Pr Jeanmart. « Ce potentiel est même largement au-dessus de nos besoins actuels. Par contre, pour l’Europe, la consommation actuelle est du même ordre de grandeur que le potentiel. » Ensuite, concernant l’éolien, le principal constat est qu’il y a énormément de bons sites pour les installer sur la planète, mais son retour énergétique est rapidement décroissant en fonction de son développement. Les panneaux solaires, quant à eux, ne s’influencent pas les uns les autres. Leur ratio, bien que plus faible que celui de l’éolien, décroit moins avec l’extension. « Le solaire va encore se développer largement », affirme le Pr Jeanmart. Et ce, de deux manières différentes :
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Soit les panneaux seront plus performants, mais plus coûteux.
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Soit les panneaux seront un peu moins performants énergétiquement, mais beaucoup moins chers et donc plus faciles à installer de manière extensive.
Ainsi, d’après les chercheurs de l’UCLouvain, l’avenir énergétique de la planète passera par un développement du solaire et de l’éolien tout en rappelant la nécessité de changer nos modes de consommation puisque le retour sur investissement énergétique sera plus faible.
Et après ?
Maintenant que la majorité des chiffres ont été rassemblés, l’équipe de l’UCLouvain compte réaliser le même travail pour la biomasse, dont l’analyse sera plus complexe vu la diversité dans le secteur. Ensuite, l’objectif sera d’introduire les courbes obtenues dans les modèles économiques qui s’occupent de prévoir les trajectoires possibles de nos sociétés lors de la transition énergétique. Ce serait le point de départ d’une étude liant énergie et économie. D’ici quelques années, ce travail d’étude des contraintes physiques des installations d’énergie renouvelable sera achevé. Les autres chercheurs pourront s’emparer de ces chiffres et voir comment continuer à développer nos sociétés de manière harmonieuse dans ce contexte.
Lauranne Garitte
(1) Professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain (l’EPL) et membre de l’Institut de Mécanique, Matériaux et Génie civil (IMMC) de l’UCLouvain. (2) Doctorante à l’Institut de Mécanique, Matériaux et Génie civil (IMMC) de l’UCLouvain.
Coup d’œil sur la bio d'Hervé Jeanmart
Hervé Jeanmart est ingénieur civil mécanicien depuis 1996 à l’UCLouvain. Après ses études et une thèse consacrée à la mécanique des fluides soutenue en 2002, Hervé Jeanmart devient en 2004 professeur à l’UCLouvain. Il est membre de l’Institut de Mécanique, Matériaux et Génie civil (IMMC). Actif dans le domaine des machines thermiques et des combustibles alternatifs, Hervé Jeanmart étend également son expertise à l’étude des liens entre l’énergie et l’activité économique. |