Un « guide » pour Etats sous canicule

Alors que les vagues de chaleur(1) se multiplient ces dernières années, des chercheurs du Centre de Recherche sur l’Epidémiologie des Désastres (CRED) de l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain travaillent à la rédaction d’un guide de « bonnes pratiques » à mettre en place par les États lors d’épisodes caniculaires. Ce projet, baptisé « Supportive risk awareness and communication to reduce impact of cross borders heat waves » (SCORCH), est financé par la Commission européenne pour les deux prochaines années. Il s’organise en deux volets : recenser les pratiques mises en place dans neuf pays européens (Belgique, Pays-Bas, France, Royaume-Uni, Espagne, Portugal, Allemagne, Suisse et Macédoine) et dresser le portrait de celles mises en place dans trois voisins ciblés par l’étude : Géorgie, Tunisie et Israël.

Au cours des vingt dernières années, plus de 90% de la mortalité des catastrophes naturelles en Europe a été causé par les vagues de chaleur. « Depuis 2003 et la canicule(2) qui a touché l’Europe et fait plus de 70.000 morts, une vague de chaleur se produit au moins une fois chaque année, avance Joris van Loenhout, chercheur et membre du Centre de Recherche sur l’Epidémiologie des Désastres (CRED) de l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain. En Belgique aussi, les épisodes caniculaires sont bien plus fréquents. Du fait du changement climatique, leur nombre, mais aussi leur intensité est vouée à augmenter... »

Un sujet d’une actualité « brulante », donc. Plus qu’auparavant ? D’après l’Institut royal météorologique de Belgique (IRM), il y a toujours eu des vagues de chaleur, même avant que le réchauffement climatique ne fasse ressentir ses premiers effets. Certaines, particulièrement sévères comme celles de 1911, 1947 et 1976 sont restées dans les mémoires.

Pourtant, alors qu’avant 1988, les vagues de chaleur qui dépassaient les 15 jours étaient l'exception (1911, 1947 et 1976), elles ont tendance à se généraliser depuis : 1994, 1995, 1997, 2006 et 2010. Même chose au niveau de l'intensité, où le constat est plus frappant encore depuis 2003. « Si le nombre de vague de chaleur n'augmente peut-être pas encore de façon significativement visible, elles sont par contre de plus en plus longues, de plus en plus lourdes et intenses du fait du changement climatique, explique Joris van Loenhout. On l’observe en Belgique, comme ailleurs dans le monde. »

Evaluer les plans anti-canicule de neuf pays européens

C’est dans cette optique qu’un projet initié en 2018 et financé par la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO) a vu le jour à l’UCLouvain. Le projet « Supportive risk awareness and communication to reduce impact of cross borders heat waves », résumé en l’acronyme « SCORCH », a pour objectif d’améliorer la préparation des pays voisins de l’UE aux futures vagues de chaleur. Parmi ses chercheurs, Kirsten Vanderplanken et Joris van Loenhout expliquent : « Nous en sommes aux prémices du projet, tempère Joris van Loenhout. Mais déjà de nombreux partenaires européens et extra-européens sont désireux de collaborer avec nous. » Le projet vise spécifiquement trois pays « voisins » : Tunisie, Géorgie et Israël. Trois pays distincts d’un point de vue géographique, ainsi que dans leur développement de stratégies anti-canicule. « L’idée est de compulser les plans déjà développés en Europe pour voir ce qui fonctionne, tout en dressant le tableau de ce qui a été fait – ou non – dans les trois pays-cible. Si en Europe ces plans sont désormais bien développés, il existe moins d’informations concernant ceux des pays voisins de l’Union. »

Les chercheurs ont fait le tour des plans établis par neuf pays européens, notamment via une série d’entretiens de responsables d’activation de plan, pour s’inspirer et apprendre des bons exemples comme des erreurs passées.

Observer les stratégies mises en place dans trois pays voisins

« Dans une seconde partie du travail, nous nous sommes concentrés sur ces trois pays-cibles, poursuit le chercheur responsable. Un questionnaire de large ampleur a été réalisé et sera administré à la population nationale au mois de septembre afin de comprendre comment ces Etats encadrent leurs citoyens en cas de vague de chaleur. »

Après la Géorgie voilà quelques semaines, Kirsten Vanderplacken revient d’Israël et Joris van Loenhout de Tunisie pour continuer à établir des partenariats sur le projet. Avant cela, les chercheurs s’étaient rendus à Paris pour interviewer des acteurs de terrain comme Météo France sur l’effectivité des plans anti canicule. « Une fois toutes ces données rassemblées, l’idée est de dresser un « manuel de bonnes pratiques » à appliquer en cas de vague de chaleur, conclut le chercheur. Ce plan devrait aboutir l’an prochain, avant d’être suivi par des groupes de travail auprès des acteurs concernés dans les pays-cibles… Avec l’espoir d’être renouvelé financièrement lors du prochain appel à projet ECHO pour assurer le suivi de cette mise en place dans les pays concernés. »

Mission en Tunisie avec un collaborateur, le National Institute of Health

FOCUS : Le « EM-DAT »

Le Centre de Recherche sur l’Epidémiologie des Désastres (CRED) de l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain a été créé en 1973 comme une ASBL. En 1980, il est devenu un centre collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et a étendu son expertise en matière de santé dans des contextes d’urgence humanitaire au « Global Programme for Emergency Preparedness and Response ». En 1988, il lance le « Emergency Events Database », EM-DAT, soutenu par l’OMS et le gouvernement belge.

« L’objectif de cette base de données est d’aider l’action humanitaire à l’échelle nationale comme internationale, explique Joris van Loenhout, chercheur et membre du CRED. Pour ce faire, nous répertorions les catastrophes naturelles et technologiques qui se sont produites dans le monde et analysons les conséquences sur la santé des populations et l’adaptabilité des systèmes de santé. Faire ces analyses permet de rationaliser les décisions prises lors de catastrophes naturelles. »

Pour être classé comme « catastrophe naturelle », des critères ont été établis : l’évènement doit être causé par un phénomène naturel (aléa), avoir provoqué au moins la morte de dix personnes ou en avoir affecté 100 autres ou encore, un état d’urgence national été déclaré ou un appel à l’aide internationale a été lancé. Depuis 1900, ce sont plus de 23.000 désastres (63% de désastres naturels et 37% de désastres technologiques) qui ont été recensés sous ces critères à travers le monde. Regina Below en assure la gestion de la base de données et des chercheurs comme Joris van Loenhout sont davantage impliqués dans les études de cas. En effet, le projet de la base de données EM-DAT ne se résume pas au listing des désastres, mais les chercheurs se rendent également sur place pour évaluer précisément l’impact sur la santé des populations et des systèmes de santé de la catastrophe naturelle. Ils se sont notamment rendus aux Philippines pour étudier les conséquences du typhon Haiyan en 2013.

Lauranne Garitte

LEXIQUE
(1) Une vague de chaleur est une augmentation importante de la température de l’air. S’ensuit alors une période très chaude qui s’étend sur une période relativement longue, de quelques jours à plusieurs semaines. En Belgique, elle est officiellement définie par la succession de minimum 5 jours de températures maximales supérieures à 25°C, dont au moins trois sont supérieures à 30°C.
(2) Une journée de canicule est une journée durant laquelle la température a atteint ou est montée au dessus du seuil des 30°C, tandis qu’une journée d'été est une journée durant laquelle la température maximale a atteint ou dépassé les 25°C. Il est donc possible de reformuler la définition de vague de chaleur par une période comptant minimum 5 jours d'été successifs, parmi lesquels on retrouve au moins trois jours caniculaires.

Coup d’œil sur la bio de Joris van Loenhout

Joris van Loenhout est diplômé en Biologie et en Toxicologie et Santé environnementale de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas. Entre 2007 et 2014, Il travaille au département « Environmental Health » du Service public de Gelderland-Midden. A cette occasion, il a l’opportunité de coordonner plusieurs projets financés par l’Union européenne dans le domaine de la Santé environnementale. Joris van Loenhout a également mené une étude sur la qualité de la température intérieure en maisons de repos en lien avec la santé des résidents plus âgés. En 2015, il soutient sa thèse de doctorat sur l’impact à long terme de la fièvre Q, aussi connue sous le nom de coxiellose, un micro-organisme répandu dans le monde entier, présents chez de nombreux mammifères sauvages et domestiques et extrêmement contagieuse pour l’homme.

Depuis 2014, il travaille au sein du Centre de Recherche sur l’Epidémiologie des Désastres (CRED) de l’Institut de Recherche Santé et Société (IRSS) de l’UCLouvain, d’abord comme post-doctorant et aujourd’hui comme chercheur senior. Il contribue notamment à enrichir le projet « Emergency Events Database » (EM-DAT) et poursuit ses recherches sur l’impact des catastrophes naturelles sur la santé et les systèmes de santé, avec un intérêt particulier pour les vagues de chaleur. Un intérêt qu’il développe au sein du projet SCORCH.

Publié le 16 juillet 2019