Une cage de carbone pour les données informatiques

La spintronique offre de nouvelles possibilités d’application pour le stockage, le transfert et le traitement des données informatiques. Le principal problème de cette nouvelle technologie est l’instabilité du transport de l’information sur spin. Des chercheurs de l’UCLouvain, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Paris présentent, dans la revue Science Advances, une nanostructure de carbone permettant de pallier à cette instabilité.

Super Sonic ? Non, la spintronique n’a rien à voir avec le petit hérisson mascotte de Sega. Quoique… pour tous deux, il est question d’énergie et de vitesse. Mais l’analogie s’arrête là.

La spintronique est une technologie qui consiste à utiliser le spin de chaque électron en plus de leur charge pour le stockage, le transport et le traitement de données informatiques. L’avantage de cette technologie est qu’elle permet un transport plus stable et plus rapide des données tout en réduisant l’énergie nécessaire pour ce transport. L’électron est une particule élémentaire qui joue un rôle prépondérant dans toutes les propriétés physiques de la matière telles que la conductivité électrique ou thermique, les propriétés mécaniques, le magnétisme, la luminescence etc. Un peu à l’image de la Terre et du Soleil, un électron « gravite autour du noyau de l’atome » tout en tournant également sur lui-même. Cette image classique simpliste permet d’illustrer cette propriété purement quantique qu’est le spin de l’électron et qui est au cœur de la spintronique.

Débloquer un verrou technologique

La quantité des données traitées informatiquement connait une croissance exponentielle et va continuer de s’amplifier dans les années à venir notamment avec l’arrivée de la 5G. Chacun possède dans son smartphone ou son ordinateur plusieurs milliers de photos, des heures de vidéos ou encore de musique. Le stockage de l’ensemble de ces informations et leur exploitation afin d’être lues, modifiées, et enregistrées représentent le cheminement classique du traitement de l’information par ordinateur. Afin d’optimiser au maximum ces processus, certains circuits spintroniques, technologie quantique nées dans les années 80 qui utilise le spin de l’électron en plus de sa charge, sont aujourdhui présents dans pratiquement tous les éléments de stockage de linformation que ce soit dans un disque dur magnétique ou une MRAM (Magnetic Random Access Memory). Problème : si le stockage de linformation sous forme magnétique a fait des progrès fulgurants ces dernières années, approchant les 40 Go/cm², le transport de linformation de spin sur puce reste délicat et très instable. Il est pratiquement impossible de la transporter sans la perdre (par décohérence) entre les composants présents sur des cartes électroniques. Pour dépasser le paradigme actuel des architectures informatiques, ce verrou technologique reste cependant absolument nécessaire à débloquer. Et c’est ce à quoi se sont attelés Aurélien Lherbier et Jean-Christophe Charlier de l’Institut de la matière condensée et des nanosciences de l’UCLouvain avec deux équipes d’Université de Paris, sous la direction de Clément Barraud du Laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques. Leur collaboration a mené à la création d’une nanostructure artificielle permettant le transport sur des longues distances de l’information quantique en utilisant la spintronique. Palliant ainsi à cette instabilité et permettant de gagner considérablement en vitesse de traitement des données. Les résultats de cette étude sont publiés ce 31 juillet 2020 dans la revue Science Advances.

Une cage protectrice de carbone

Linformation quantique est extrêmement fragile par essence. Si de nombreuses propositions théoriques ont émergé ces dernières années autour de circuits de logique de spin, surpassant la concurrence en termes de consommation d’énergie, un système optimisé de transport de linformation manquait donc toujours à lappel. C’est le défi qu’ont relevé les équipes du Laboratoire Matériaux et Phénomènes Quantiques et du laboratoire ITODYS de l’Université de Paris en collaboration avec Jean-Christophe Charlier et Aurélien Lherbier de l’Institute of Condensed Matter and Nanosciences (IMCN) de l’UCLouvain. Les chercheurs sont parvenus à générer cette plateforme protectrice en utilisant des nanotubes de carbone multiparois dont seule la paroi externe est modifiée chimiquement par des molécules, à l’instar d’une cage.

Le bénéfice de cette modification chimique du nanotube est double : elle permet denvoyer un signal de spin très fort tout en isolant les spins vers les parois internes du nanotube naturellement plus protégées contre les phénomènes de décohérence qui diluent l’information originale. « Des calculs basés sur les données expérimentales semblent porter la distance de transport de spin au-delà du millimètre contre quelques dizaines et centaines de micromètres mesurées auparavant dans le graphène, un système très proche. » explique Aurélien Lherbier, chercheur à l’IMCN de l’UCLouvain. Cette avancée technologique pourrait permettre de concrétiser cette nouvelle génération de dispositifs quantiques de logiques de spin, repoussant les limites des architectures actuelles d’ordinateur en permettant à la fois un gain de temps très important dans le traitement des données mais aussi dans la forte diminution de la consommation énergétique des ordinateurs.

 

Image : Illustration du dispositif réalisé à partir d’un nanotube de carbone multiparois modifié chimiquement sur sa couche externe et connecté entre deux électrodes magnétiques servant de source de spin et de détecteur de spin. La présence des molécules sur la paroi externe du nanotube permet de concentrer l’information dans les parois internes. La vitesse de déplacement de l’information est de 5.105 m/s soit à peine 600 fois moins que la vitesse de la lumière.

 

Coup d'oeil sur la bio de Jean-Christophe Charlier

Publié le 31 juillet 2020