Une nouvelle cible moléculaire dans la lutte contre le cancer

Ce 7 mai , le Dr Anabelle Decottignies, bioingénieure de formation, Maître de recherche au FNRS et à la tête d’une équipe de recherche à l’Institut de Duve, a reçu le prix Allard-Janssen qui soutient sa recherche appliquée au cancer. Qu’est-ce que cette étude apporte à la lutte contre le cancer ? Et quels espoirs ces recherches font-elles naître ?

Depuis 15 ans, le Dr Anabelle Decottignies travaille sur le télomère, cette structure située à l’extrémité du chromosome qui remplit une mission de taille : assurer la protection du chromosome et permettre les divisions cellulaires. Les télomères jouent un rôle important dans le vieillissement cellulaire mais également dans le cancer. Le groupe de recherche sur les télomères de l’Institut de Duve, mené par Anabelle Decottignies, s’est dernièrement fixé un objectif : mieux comprendre le mécanisme de maintien des télomères dans les cellules cancéreuses pour identifier de nouvelles cibles dans la lutte contre le cancer.

Les télomères, cette horloge biologique

Pour comprendre leurs recherches, commençons par appréhender le fonctionnement des télomères dans nos cellules saines. Les télomères agissent comme une horloge biologique régissant la vie de nos cellules. Plus nos cellules se divisent, plus nos télomères s’usent et raccourcissent. C’est le vieillissement naturel des cellules qui peut engendrer par exemple une baisse d’immunité. Toutefois, tant que ces divisions sont limitées, elles ont un effet protecteur, notamment contre le développement de cancers. Ainsi, naturellement, après une cinquantaine de divisions, nos cellules saines ne peuvent plus se diviser.

Les cellules cancéreuses ont une jeunesse éternelle

La plupart des cellules cancéreuses, au cours de leur processus d’oncogenèse (moment où elles acquièrent des mutations qui les rendent oncogéniques), acquièrent des mutations qui les rendent éternelles. Via ce processus, les cellules sont capables de se diviser à l’infini. Cette jeunesse éternelle s’appelle l’immortalité réplicative. Autrement dit, les cellules cancéreuses déjouent le processus naturel de mort cellulaire. En déjouant ce processus et en se multipliant à l’infini, les cellules cancéreuses s’amassent et forment des métastases ou des tumeurs. 

La télomérase, pour acquérir une immortalité réplicative

Pour acquérir cette immortalité réplicative et se multiplier à l’infini, les cellules cancéreuses recourent à deux moyens. Le premier moyen consiste à réactiver la télomérase, cette enzyme embryonnaire « de jouvence » qui permet de maintenir la taille des télomères. En effet, au tout premier développement de l’embryon, un gène prouvant que les cellules embryonnaires sont éternellement jeunes, est actif. A ce stade, les cellules peuvent se diviser indéfiniment grâce à une protéine appelée la télomérase. Mais rapidement après, les cellules répriment l’expression du gène responsable de cette immortalité, et l’horloge biologique est enclenchée. Dans 90% des cancers, ce gène encodant la télomérase peut se réveiller, engendrant des divisions infinies, et formant des métastases et des tumeurs. 

Un mécanisme alternatif appelé ALT

Dans 5 à 10% des cancers, c’est un tout autre mécanisme qui est mis en place. Ce mécanisme appelé ALT (Alternative Lenghtening of Telomeres) est méconnu car il est inactif dans nos cellules saines. Il a été découvert en 1995 par le groupe australien du Pr Roger Reddel. Avec ce mécanisme ALT, la cellule échappe à l’érosion des télomères et se divise indéfiniment. Comment ? Non plus via la réactivation de la télomérase, mais via des événements de recombinaison homologue entre les séquences d’ADN télomérique, qui implique des dérèglements génétiques et épigénétiques. Ce mécanisme très particulier d’immortalité réplicative est actif dans certaines tumeurs telles que les cancers de l’os (ostéosarcomes), les tumeurs du cerveau (glioblastomes, notamment pédiatriques), ou les tumeurs neuroendocrines.

La découverte d’une cible particulière

Si ce mécanisme ALT est méconnu, c’est parce que dans une cellule saine, des barrières l’empêchent de survenir. L’équipe d’Anabelle Decottignies s’est donc demandé quelle était la nature de ces barrières levées et a réalisé des tests (« screens ») génétiques avec des cellules qui suivent ce mécanisme, en les comparant avec des cellules qui réactivent la télomérase. Ainsi, l’équipe a trouvé une cible potentielle (un gène) qui permettrait de tuer la cellule qui utilise le mécanisme ALT, tout en épargnant complètement les cellules saines de notre organisme. Son nom ? TSPYL5. Grâce à cette cible, un traitement anti-tumoral visant les cellules cancéreuses ALT et épargnant les cellules saines pourrait être envisagé. Jusqu’ici, personne n’avait trouvé de cible moléculaire visant spécifiquement ce mécanisme ALT et qui épargnerait les cellules saines. Anabelle Decottignies et son équipe font donc un pas de géant dans la recherche contre le cancer. 

Et après ?

Grâce au subside débloqué via le prix Allard-Janssen, et en collaboration avec des chimistes et des biologistes structurels, l’équipe d’Anabelle Decottignies va pouvoir poursuivre son travail et essayer de trouver la molécule capable de cibler spécifiquement la protéine qui est encodée par le gène TSPYL5. La découverte de cette molécule permettrait de développer une thérapie ciblée chez les patients souffrant d’un cancer pour lequel ce mécanisme alternatif est enclenché. Au cours de ces prochaines recherches, Anabelle Decottignies cultive certains espoirs : « J’aimerais un jour permettre de traiter des cancers chez les enfants, tout en évitant de faire vieillir leurs précieuses cellules saines. »

Lauranne Garitte

Coup d'oeil sur la bio de Anabelle Decottignies

1987-1992  Diplôme de bioingénieur à l’UCL
1992-1998  Thèse à propos des mécanismes de résistance aux médicaments (la levure comme organisme modèle), à la faculté d’agronomie à l’UCL 
1999-2001  Postdoctorat portant sur l’étude de régulateurs du cycle cellulaire (avec la levure comme organisme modèle), dans le laboratoire de Paul Nurse à Londres.
2001-2004  Chargée de recherche FNRS à l’UCL et à l’Institut de Duve
2004        Chercheuse qualifiée au FNRS
2014        Maître de recherche au FNRS
2016        Prix Fond Simon Bauvin, Christian Lispet, Robert Brancart, Denise Raes de la Fondation Roi Baudouin
Décembre 2017  Officier du Mérite wallon dans la catégorie « Sciences »
Mai 2018  Prix Allard-Janssens

Publié le 09 mai 2018