Un outil modernisant la politique agricole européenne

Louvain-La-Neuve

Commandé par la Commission européenne (CE) et financé par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), le projet de recherche «Sen4CAP» mené par Sophie Bontemps et Nicolas Bellemans et dirigé par Pierre Defourny dans le laboratoire d’Environnemétrie et de Géomatique de l’Institut «Earth and Life Institute» de l’UCL aboutit aujourd’hui à du concret. Ils démontrent avec une série de produits cartographiques que les satellites «Sentinel» du programme Copernicus de l’Union européenne peuvent jouer un rôle clé dans la modernisation et la simplification de la Politique Agricole Commune (PAC) européenne. A plus long terme, ces produits cartographiques pourraient également devenir un véritable outil pour aider les agriculteurs à optimiser leurs pratiques agricoles.

La PAC est la plus ancienne des politiques mises en place à l’échelle de l’Union européenne (UE). Elle repose notamment sur le principe du subventionnement des agriculteurs. Chaque année, ces derniers doivent rentrer une déclaration concernant leurs pratiques agricoles. Informer l’UE sur la superficie de leurs différentes cultures ou sur leurs pratiques bénéfiques pour l’environnement est nécessaire pour avoir droit à ces subsides. 

« Jusqu’à présent, ces déclarations sont contrôlées sur un échantillon d’environ 5% des exploitations, explique la chercheuse Sophie Bontemps. Un échantillon fait au hasard, sur des images satellites très précises, mais très coûteuses, le tout avec une lourdeur administrative significative. »

Mais avec la réforme de fond de la PAC qui verra le jour en 2020 et dont une loi-clé a été votée le 22 mai dernier, le modus operandi va évoluer : « La CE a changé son fusil d’épaule : plutôt que de contrôler seulement quelques agriculteurs avec une précision extrême mais à des dates ponctuelles, elle va désormais observer l’ensemble des champs à l’échelle nationale et ce tout au long de l’année, poursuit Sophie Bontemps. Une nouvelle approche qui repose sur l’utilisation des images acquises pour les satellites 'Sentinels'. »

Perdre en précision pour gagner en efficacité

Bien que cette nouvelle approche entraîne une perte de précision spatiale, puisque l’essentiel du travail de suivi se fera avec des images à 10-20 mètres et non plus à 5 mètres, elle permet en contrepartie de couvrir toutes les exploitations agricoles d’un pays et de fournir des informations sur l’ensemble de la saison agricole, depuis les semis jusqu’aux récoltes des cultures successivement mises en place.

« Ce changement complet de manière de fonctionner de la PAC demande de repenser beaucoup de choses, s’enthousiasme Sophie Bontemps. Nouvelles législations à mettre en place, nouvelles méthodes de télédétection à développer pour extraire la bonne information du flux d’images satellites, mais aussi nouvelles manières de gérer la quantité de données à traiter… »

C’est dans ce deuxième volet que les recherches de l’équipe de Pierre Defourny, dont fait partie Sophie Bontemps, prennent tout leur sens. La réforme devant entrer en vigueur en 2020, la CE a commandé une série d’études pilotes pour préparer ce changement de paradigme, dont le projet Sen4CAP (Sentinels for Common Agriculture Policy) financé par l’ESA. Le projet, mis en oeuvre par un consortium de cinq partenaires européens avec l’UCLouvain à sa tête, a comme objectif de développer de nouvelles méthodes et outils pour un suivi de l’agriculture pertinent pour la PAC.

« Nous travaillons main dans la main avec les agences de paiement des six pays pilotes sélectionnés, rappelle la chercheuse. L’Italie, la République Tchèque, les Pays-Bas, la Lituanie, la Roumanie, l’Espagne et Belgique : tous ces pays ont été choisis par la Direction Générale de l’Agriculture et du Développement rural, l’organe européen responsable de la mise en œuvre de la PAC, parce qu’ils représentent, à leur échelle, la diversité agricole européenne. »

Un objectif à plus long terme

En mars 2018, un premier jeu de produits prototypes a été présenté à la Direction générale de l’agriculture et à l’ensemble des pays membres, démontrant avec succès le rôle que pouvaient avoir les images des satellites « Sentinels » dans la nouvelle approche de la PAC. 

Parmi ces prototypes, l’un d’eux est une carte montrant les cultures à l’échelle nationale, réalisée en analysant les images acquises par les satellites. « Un tel résultat peut être généré tout au long de la saison, quasi en temps réel, observe Sophie Bontemps. L’outil permet ainsi aux agences de paiement d’avoir très rapidement les informations nécessaires sur les pratiques agricoles à contrôler. »

Les résultats présentés aux pays collaborateurs ont été bien reçus : « Nous ne sommes pas au bout du projet, mais déjà nous avons pu démontrer que la réforme pouvait être mise en place concrètement et que les informations satellitaires aidaient à assurer la conformité des déclarations. »

Si l’objectif principal de cette réforme de la PAC reste la simplification de la tâche ainsi que la diminution des coûts, il n’est pas le seul. « La PAC entend également changer la relation entre les agriculteurs et l’Europe grâce à cette réforme, contextualise la chercheuse. Pour l’instant, il s’agit essentiellement d’une relation basée sur un contrôle réalisé en milieu voire fin de saison agricole. Grâce à ces nouvelles données disponibles partout et tout au long de l’année, le contrôle en tant que tel de la part de l’UE devient un « suivi ». Les informations obtenues plus en amont pendant la saison pourront être partagées avec les agriculteurs, créant davantage de dialogue entre les deux entités. Si cette idée de partage d’information se contenterait dans un premier temps d’envoyer des avertissements pour aider l’agriculteur à être conforme aux obligations de la PAC, il n’est pas impensable qu’à plus long terme ce partage d’informations puisse aussi lui permettre d’avoir une vue d’ensemble sur sa production, sur les différents types de cultures présents dans sa région, sur l’engrais à utiliser, sur la gestion de l’eau…Et d’ainsi pouvoir s’adapter pour le mieux, d’un point de vue économique et écologique. »

Entretien

Comment vous êtes-vous orientée vers ce type de recherche ?
J’ai fait des études de bio-ingénierie et d’agronomie un peu comme on choisit sa voie à dix-huit ans : j’étais intéressée par les problématiques environnementales et je me suis retrouvée dans ce cursus-là un peu par hasard… mais sans aucun regret a posteriori ! J’ai surtout eu la chance d’avoir réalisé un travail de fin d’études que j’ai beaucoup aimé, me plongeant déjà dans l’univers de la télédétection, dans lequel je devais utiliser des données satellitaires pour étudier l’influence des centres urbains sur l’évolution de l’occupation du sol au Cambodge. Cela condense toute ma passion : l’environnement et les cartes ! Pas seulement, d’ailleurs car dans le cadre de ce travail j’ai pu me rendre moi-même au Cambodge. J’y ai rencontré de nombreuses personnes passionnantes.
Ces recherches se déroulaient déjà sous la houlette de Pierre Defourny, dont le laboratoire extrêmement dynamique m’a beaucoup plu. C’est une des multiples raisons pour lesquelles j’y ai poursuivi mes recherches.

Ces recherches justement vous passionnent, pour quelles raisons ?
En plus d’être en lien avec ce que j’ai étudié et ce qui m’attire depuis longtemps – les enjeux environnementaux et les cartes, donc ! – le fait de travailler dans des projets extrêmement concrets et en relation directe avec des utilisateurs des produits que nous développons est extrêmement stimulant.
J’ai toujours eu la chance de travailler dans des projets de l’Agence spatiale européenne. Cet organisme attache une importance particulière à ce que ces projets répondent à des besoins bien identifiés et nous met en contact avec des utilisateurs dès le début du travail. Ils restent avec nous et sont régulièrement rappelés pour échanger sur les évolutions. Indépendamment du fait que cet aspect très concret de la recherche me plait énormément, je suis également persuadée qu’il est un des éléments clefs de la réussite des projets sur le long terme.

Coup d'oeil sur la bio de Sophie Bontemps

2004 : Master en bioingénieur – Aménagement du territoire
2010 : Thèse de doctorat en sciences agronomiques et ingénierie biologique (UCLouvain)
2007 - aujourd’hui : assistante de recherche en télédétection spatiale (cartographie des surfaces terrestres, suivi de l’agriculture) 
2013 - aujourd’hui : chef de projet de recherche et développement (UCLouvain/ELI-Geomatics)

 

Coup d'oeil sur la bio de Nicolas Bellemans

2012 : Bachelier en bioingénieur 
2014 : Master en bioingénieur – Aménagement du territoire
2015-2018 : Assistant de recherche au Laboratoire d’Environnemétrie et Géomatique (UCLouvain/ELI-Geomatics)

 

Coup d'oeil sur la bio de Pierre Defourny

1991-1993 : Chercheur à l’Asian Institute of Technology (UNEP-GRID), Thailand
2004-2005 : Visiting Scientist au NASA Goddard Space Fligth Center,USA
2010-2015 : Président fondateur du Earth and Life Institue, UCLouvain
2016 : Visiting Scientist au CGIAR-CIMMYT, Mexico
1993 – aujourd’hui : Professeur ordinaire à l’UCLouvain, responsable du Laboratoire d’Environnemétrie et Géomatique (UCLouvain/ELI-Geomatics)

Publié le 20 août 2018

Published on August 21, 2018