Akkermansia, toutes voiles dehors !

Les effets protecteurs d’« Akkermansia » contre les facteurs de risques cardiovasculaires se confirment chez l’Homme. Ce sont les résultats d’une étude publiée par l’équipe de Patrice Cani (LDRI/MNUT) dans la prestigieuse revue Nature Medicine.

Les maladies cardiovasculaires tuent près de 18 millions de personnes chaque année dans le monde et sont ainsi responsables de 31% de la mortalité mondiale selon les chiffres de l’Organisation mondiale pour la santé. Ce n’est pas nouveau et elles sont au cœur des préoccupations de santé publique depuis dès années. La bonne nouvelle dans ce sombre tableau est qu’il est possible de prévenir l’apparition de ces maladies ou d’en limiter l’évolution de diverses manières. Les facteurs de risque comportementaux sont en première ligne : éviter le tabagisme, bouger, manger sainement, boire moins d’alcool…Pour les personnes à risque ou souffrant déjà d’une maladie cardiovasculaire, un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée aux besoins font aussi la différence.

Akkermansia, petite mais prometteuse

D’autres pistes pour prévenir ou limiter l’apparition des maladies cardiovasculaires sont encore explorées actuellement. Parmi elles : Akkermansia muciniphila. Une bactérie intestinale qui ne cesse de dévoiler ses atouts depuis 2013. Année où l’équipe du Professeur Patrice Cani (LDRI-MNUT) a révélé que l’administration de cette bactérie protégeait en partie des souris de l’obésité et du diabète de type 2. Depuis lors, « Akkermansia » - pour les intimes - a fait du chemin ! Aujourd’hui, l’équipe du Professeur Cani publie dans la prestigieuse revue Nature Medicine les derniers résultats de ses recherches révélant l’effet de cette bactérie sur le métabolisme de l’homme. Après deux ans de préparation et de réflexion autour du protocole de cette étude (2013-2015), et deux années de recrutement et de suivi de volontaires (2016-2018), les résultats sont là et l’effet prometteur d’Akkermansia sur les facteurs de risque cardiovasculaire se confirme.

Une collaboration étroite avec les Cliniques Saint-Luc

Au total quarante volontaires en surpoids ou obèses ayant tous une résistance à l’insuline (pré-diabète de type 2) et un syndrome métabolique, c’est-à-dire plusieurs facteurs de risques de maladies cardiovasculaires, ont participé à cette étude réalisée en collaboration étroite avec les Professeurs JP. Thissen, M. Hermans, D. Maiter et le Dr A. Loumaye des Cliniques universitaires Saint-Luc. Les volontaires étaient répartis en 3 groupes qui ont consommé quotidiennement durant 3 mois soit un placebo, soit 10 milliards d’Akkermansia muciniphila vivantes, soit 10 milliards de ces bactéries pasteurisées sous forme de complément nutritionnel. « Nous avons démontré en 2016 qu’Akkermansia entraînait une protection vis-à-vis de différents facteurs de risques de maladies cardiovasculaires plus importante lorsqu’elle est pasteurisée que lorsqu’elle est vivante », rappelle le Professeur Patrice Cani du Louvain Drug Research Institute de l’UCLouvain. Tous les volontaires étaient « naïfs », c’est-à-dire qu’il ne suivaient aucun traitement et n’ont modifié ni leur activité physique ni leur alimentation durant l’étude.

Des paramètres métaboliques stabilisés, voire améliorés

« Tout d’abord nous avons pu constater une compliance parfaite. En effet tous les volontaires ont ingéré le complément nutritionnel en suivant nos recommandations. Ce qui confirme ce qu’ils nous ont rapporté dans les questionnaires relatifs à de potentiels effets secondaires ou désagrément gustatif qui auraient pu les démotiver à consommer ces compléments. Et par ailleurs, les paramètres de sécurité, la tolérance et le profil d’innocuité de ce type de supplémentation quotidienne étaient excellents », explique Patrice Cani. Mais au-delà de ces constatations rassurantes, les premières auteures de cette recherche, Clara Depommier et Amandine Everard, ont également pu réaliser des observations très encourageantes en vue de limiter l’augmentation de certains facteurs de risques cardiovasculaires. « Alors que les sujets sous placebo continuaient de voir leurs paramètres métaboliques (insulinémie, résistance à l’insuline, hypercholestérolémie…) se détériorer au cour du temps, l’administration d’Akkermansia pasteurisée permettait d’empêcher ces altérations métaboliques », révèle les scientifiques. « En outre, les volontaires du groupe consommant Akkermansia pasteurisée ont montré une baisse des marqueurs d’inflammation du foie et des niveaux sanguins d’endotoxines, ce qui suggère le maintien d’une fonction barrière de l’intestin normale ». En augmentant la présence d’Akkermansia dans le microbiote intestinal, moins de toxines passent de l’intestin vers le sang puis vers le foie.

Bientôt une étude à large échelle

Au-delà de ces résultats statistiquement significatifs, des tendances ressortent de cette étude et valent également la peine d’être soulignées: « les volontaires ayant reçu la bactérie pasteurisée ont présenté une baisse moyenne du poids corporel de 2,3 kg et du tour de hanche de 2,6 cm par rapport aux sujets sous placebo », précise Patrice Cani. Les résultats de cette étude pilote publiés dans la prestigieuse revue Nature Medicine démontrent d’une part la faisabilité de l’utilisation d’Akkermansia pasteurisée comme complément alimentaire chez l’humain. Et d’autre part que les effets prometteurs sur les facteurs de risques cardio-métaboliques méritent de faire l’objet d’une étude à large échelle en vue de confirmer les résultats des chercheurs de l’UCLouvain. La future étude à large échelle sera prise en charge par la co-spin-off A-Mansia, elle-même issue du fruit des travaux de recherches de l’UCLouvain et de l’UWageningen et qui projette de mettre sur le marché le premier complément alimentaire à base d’Akkermansia fin 2020-début 2021.

Audrey Binet

En savoir plus sur Patrice Cani et ses recherches :

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Coup d’œil sur la bio de Patrice Cani

1998 · Baccalauréat en diététique (Institut Paul Lambin, UCL)
2000 · Master en sciences biomédicales – nutrition humaine (UCL)
2005 · Master en sciences de la santé (UCL)
2005 · Doctorat en sciences biomédicales – physiologie, métabolisme et nutrition (UCL)
Depuis 2009 · Professeur à la Faculté des sciences biomédicales et pharmaceutiques de l’UCL 
Depuis 2010 · Professeur invité à l’Imperial College of London (UK)
2013-2014 · Professeur invité à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (France)
2015 · Officier du Mérite wallon
Depuis 2016 · Membre associé de l’Académie Royale de Médecine de Belgique
2017 · Chaire Francqui à l’ULg
Depuis 2017 · Maître de recherches FNRS

Les recherches du Pr Cani sont principalement financées par le FNRS, la bourse Excellence of Science (EOS), WELBIO, l’European Research Council (ERC) et le Fond Baillet-Latour. 

Publié le 02 juillet 2019