Biodiversité : l’état d’urgence

On va beaucoup parler biodiversité cet automne à l’UCLouvain. Mais sous un angle peu souvent abordé, celui des interactions – on n’oserait écrire les synergies- entre les différentes causes du déclin des espèces. Un colloque qui mérite le déplacement.

Caroline Nieberding, Professeure au sein du Biodiversity Research Centre – ELIB et responsable de l'équipe ‘Ecologie évolutive et génétique’ de l’UCLouvain, n’a pas pour habitude de mâcher ses mots, ni d’ailleurs de se contenter de discours. Elle est en effet l’une des fondatrices et animatrices du mouvement We change for life qui regroupe plus de 250 universitaires belges qui, par leur exemple, souhaitent sensibiliser le grand public à changer de mode de vie. « Nous vivons actuellement un crash de biodiversité sans précédent ». Voilà, c’est dit. Tranquillement, comme on énonce un fait. Le crash est celui que dénonce l’IPBES dans son rapport publié en mai de cette année. L’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) est en quelque sorte à la biodiversité ce que le GIEC est au climat : un rassemblement d’experts internationaux, scientifiques et représentants politiques qui évaluent et synthétisent des publications scientifiques récentes (plus de 15.000 dans ce cas) dans des domaines divers afin d’avoir une vue d’ensemble sur les menaces (écologiques mais aussi socio-politiques) qui pèsent sur les écosystèmes. Cela va donc au-delà de la ‘simple’ recension des espèces en voie de disparition ou disparues.

« L’IPBES a sorti un premier rapport en 2016, explique Caroline Nieberding, co-organisatrice avec des collègues de l’ELI (Earth and Life Institut) du colloque du 24 octobre prochain (lire l’encadré). Il était consacré à la pollinisation et avait soulevé une prise de conscience des enjeux de celle-ci. L’an dernier, la plate-forme a publié cinq rapports sur l’état de la biodiversité dans différentes régions, l’Europe-Asie par exemple. Le rapport de cette année va plus loin, synthétise les précédents et dresse un bilan mondial.»

Le déclin s’accélère

Il est difficile de résumer un tel rapport mais quelques conclusions s’imposent, dont celle-ci qui va dans le sens du colloque louvaniste : il est nécessaire de poursuivre et développer les recherches sur la biodiversité tant elle reste mal connue. Si le nombre d’espèces est estimé à environ 8 millions, on connaît très mal leurs habitats et modes de vie. Et encore moins les interactions entre les différentes causes de déclin et les réactions en chaîne qui pourraient s’installer en cas de disparition de l’une ou l’autre espèce. Le rapport recense aussi 35 ‘hot spot’, points chauds de la biodiversité (dont le bassin méditerranéen et les récifs coralliens par exemple, sans oublier les forêts tropicales qui ont fait l’actualité lors de l’été) qui ne représentent qu’environ 2% de la surface terrestre mais abritent 75% des espèces animales menacées. Les chiffres égrenés tout au long du rapport donnent le tournis. Environ 1 million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction, parmi lesquelles 40% des amphibiens et le tiers des mammifères marins. Au moins 680 espèces de vertébrés ont disparu depuis le XVIe siècle. Mais surtout, pour la première fois, le rapport isole et classe les cinq facteurs principaux qui sont responsables de ce gâchis. Par ordre décroissant, ce sont : les changements d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, le changement climatique, la pollution et enfin les espèces exotiques envahissantes. Hélas, le rapport indique aussi qu’en dépit des progrès et efforts réalisés, les trajectoires actuelles ne permettront pas d’atteindre une exploitation durable de la nature.

Interactions

Un rapport essentiel donc, selon Caroline Nieberding qui aimerait cependant aller plus loin. « A l’heure actuelle, on analyse chaque cause (réchauffement climatique, fragmentation des habitats,…) comme si cette cause était la seule responsable du déclin, alors que les espèces subissent toutes ces causes en même temps et de plein fouet. Ainsi, on estime que le changement climatique est responsable d’environ 8% de la perte de biodiversité et l’usage des sols, 20%. Mais dans la réalité, il y a fort à parier que les effets du changement climatique vont s’ajouter à ceux de l’agriculture intensive. Un exemple : le changement climatique fait bouger les espèces vers le nord. Mais si elles n’y trouvent pas d’habitat favorable, elles n’iront nulle part, elles disparaîtront.»

Le but de la conférence est donc de faire dialoguer des leaders des rapports du GIEC et de l’IPBES : climatologues, experts des usages des sols, écologistes, et encore des spécialistes des solutions technologiques proposées pour essayer de voir comment les interactions peuvent affecter l’évolution de la biodiversité.

Enoncer des faits

Mais le colloque a un autre but, essentiel pour Caroline Nieberding : « Parler est ma responsabilité. Taire que la maison brûle est grave. » La Professeure louvaniste sait cependant la difficulté de l’exercice. Il est en effet difficile de faire prendre conscience d’un danger qui n’est pas imminent, de problèmes qui semblent a priori ne pas nous concerner. « Le lien entre la biodiversité et notre vie quotidienne n’est pas clair, pas immédiat, surtout ici en Europe. Nous avons déjà perdu l’essentiel de notre biodiversité. Nous n’abritons plus que 2% environ des espèces animales et végétales ! Et les conséquences pour nous du recul de la biodiversité ailleurs, dans les zones tropicales, dans les océans, sont encore mal documentées. Nous ne sommes pas ‘formatés’, préparés pour comprendre un danger qui n’est pas immédiat. On me dit parfois que je suis alarmiste. Mais je ne fais que documenter des faits, je ne demande pas de croire. Dire que la terre est ronde n’est pas du militantisme, c’est un fait. Les rapports du GIEC et de l’IPBES, ce sont des faits, pas des croyances. »

Henri Dupuis

Le colloque du 24 octobre

Intitulé ‘How human activities cause biodiversity loss : Interactions and relative contributions of human activities; What do we know, what do we need to know ?’ ce colloque est aussi une occasion pour Caroline Nieberding et ses collègues du Earth and Life Institute de fédérer les compétences que l’UCLouvain compte au sein de cet institut. Parmi les intervenants, on trouve ainsi plusieurs de ses membres, comme Jean-Pascal van Ypersele (climatologue, ancien vice-président du GIEC/IPCC), Patrick Meyfroid (qui a participé à la rédaction du rapport de l’IPBES), Philippe Baret (agronome) et Michel Crucifix (physicien). Avec les autres intervenants, ils tenteront de déterminer l’importance des différentes activités humaines sur la biodiversité. Les exposés seront publics, accessibles aux non spécialistes des domaines débattus (mais en anglais uniquement).

Programme détaillé et renseignements disponibles ici

Coup d’œil sur la bio de Caroline Nieberding

Caroline Nieberding est licenciée en biologie de l’Université de Liège. Elle entame ensuite une thèse de doctorat en phylogéographie, au cours de laquelle elle se passionne pour l’étude de l’histoire évolutive et écologique du mulot en Europe. Pour ce faire, elle séjourne à l’Institut des Sciences de l’Évolution de l’Université de Montpellier (ISEM) en 2002 et 2003, et au Centre de Biologie et de Gestion des Populations (CBGP) en 2004.

Après la défense de sa thèse en juillet 2005, Caroline Nieberding est en post-doc européen Marie Curie à l’Institut de Biologie de Leiden (Pays-Bas) où elle poursuit des recherches sur l’évolution adaptative des espèces. Caroline Nieberding est depuis 2008 professeure en Ecologie et Evolution à UCLouvain en Belgique, et responsable de l'équipe ‘Ecologie évolutive et génétique’. Elle est membre de Louvain4Evolution, un consortium de recherche transdisciplinaire qui mène des projets visant à comprendre le vivant, sa diversité et ses propriétés communes à la lumière de l’évolution.

Soucieuse de faire partager au grand public les résultats de ses recherches et celles des autres scientifiques, elle a développé un site web.

Publié le 19 septembre 2019