Combattre l’obsolescence technique

Pour beaucoup, le terme ‘obsolescence’ est devenu synonyme de complot industriel en vue de rendre des biens de consommation non durables. Pourtant, à côté de cette supposée obsolescence programmée, il en est une autre dont il faut se préoccuper : l’obsolescence technique.

C’est un exemple emblématique… mais controversé, celui de l’ampoule qui brille pratiquement sans interruption depuis 1901 dans une caserne de pompiers de Livermore, en Californie. La preuve, selon beaucoup, d’une obsolescence des produits programmée par les constructeurs. Certes, il existait dans les années 1930 un cartel, appelé Phoebus, qui regroupait les principaux fabricants d’ampoules électriques. Mais a-t-il vraiment confié à des ingénieurs la tâche de dimensionner les ampoules pour qu’elles cessent de briller au-delà de 1.000 heures de fonctionnement ? Vu le contexte économique de la Grande Dépression, il est possible que le cartel ait agi de la sorte pour relancer une production sans doute défaillante même si, après enquête publique, il n’a jamais été condamné pour une telle pratique… mais bien pour entente sur les prix ! Que le cartel Phoebus soit coupable d’obsolescence programmée ou non, l’ampoule de Livermore est quant à elle devenue très inefficace avec le temps car dispensant à l’origine 60 watts, elle n’en diffuse plus aujourd’hui que 4… avec la même consommation d’énergie. Autre manière de dire que si l’on veut aujourd’hui la même intensité lumineuse qu’au début, il faudrait consommer bien davantage d’électricité. Il y a donc un compromis à trouver entre durée de vie du produit et consommation d’énergie.

« De toute façon, explique David Bol, professeur à L’Ecole polytechnique de Louvain (ICTEAM – Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics) ce type d’obsolescence, si elle est avérée, n’est guère intéressante pour les chercheurs en technologie : si elle a été programmée, d’un point de vue technique il suffit en quelque sorte de la déprogrammer pour résoudre le problème. Nous travaillons donc plutôt sur l’obsolescence technique à savoir par exemple l’usure, c’est-à-dire la dégradation des caractéristiques d’un dispositif, ou l’obsolescence liée à l’évolution des technologies qui fait que les dispositifs ne sont plus capables de supporter les nouvelles générations de produits avec lesquels ils doivent dialoguer. » Pour David Bol, ce dernier type d’obsolescence, très fréquente dans les technologies de l’information et de la communication par exemple, est avant tout une conséquence de la célèbre loi de Moore formulée en 1965, selon laquelle le nombre de transistors (briques de base d’un circuit intégré comme un processeur) pouvant être implantés sur un circuit intégré double tous les 18 à 24 mois, ce qui rend les produits très rapidement non compétitifs. Les informaticiens savent en effet que, tous les deux ans, les électroniciens leurs fourniront une nouveau processeur avec plus de mémoire et plus de performances ; ils programment donc des applications plus complexes et plus gourmandes.

Internet des objets

Les recherches de David Bol et son équipe portent sur l’internet des objets c’est-à-dire la connexion des objets de la vie quotidienne à internet. Pour ce faire, il faut un système électronique miniaturisé qui fait l’acquisition des données de capteurs, traite ces informations et les transfère vers le cloud où elles peuvent être consultées par l’utilisateur ou utilisées pour agir sur le monde physique. La pièce centrale qu’on retrouve au sein de ce système est un processeur, plus précisément un microcontrôleur (microprocesseur spécialisé pour être le coeur d’un système autonome qui gère des périphériques comme des capteurs, des actuateurs, etc.). Exemple simple : une chaudière commandée à distance. « Notre tâche, explique le Professeur Bol, est d’identifier les impacts négatifs de ces systèmes au niveau environnemental et de les réduire.» Un des problèmes qui se posent en effet, est que la consommation des microcontrôleurs actuels est trop élevée pour tenir plus que 2 ou 3 ans sur des petites batteries à bas coût. Quand on sait qu’il y aura sans doute plusieurs centaines de milliard de ces objets connectés d’ici 10 ans, on se doute que changer toutes ces batteries (ou les recharger) pose problème. L’équipe louvaniste a donc travaillé sur la réduction de la consommation des microcontrôleurs et en a mis un au point qui consomme environ 50 fois moins d’énergie que ceux vendus aujourd’hui dans le commerce. Appelé ‘SleepRunner’ car sa consommation de travail est du même ordre de grandeur que celle d’autres microcontrôleurs quand ils sont en veille, il vient d’être présenté lors de la dernière conférence ISSCC (International solid state circuit conference) de San Francisco.

Basse tension

Le but ? Faire fonctionner les objets connectés non plus avec une batterie mais par récupération d’énergie ambiante (à ce propos, lire l’article) que ce soit via des microcellules solaires ou des récupérateurs thermoélectriques qui récupéreraient l’énergie de la chaleur ambiante.

Pour arriver à cette performance, SleepRunner a été conçu pour fonctionner, notamment, avec une tension d’alimentation largement inférieure à la technologie standard, à savoir 0,4V d’alimentation contre au minimum 1V habituellement. Une tension plus basse signifie en effet une réduction importante d’énergie… mais demande de relever plusieurs défis techniques. Le microcontrôleur va ainsi être plus sensibles aux facteurs environnementaux et particulièrement aux variations de température. De même, à basse tension, l’impact du processus de fabrication est plus marqué.

Effet rebond

Les succès affichés par l’équipe de David Bol n’empêchent pas ce dernier de s’interroger sur le futur. « Eviter le remplacement des batteries et ainsi prolonger la durée de vie des objets connectés est évidemment une bonne chose. Mais l’effet rebond est très important dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) : plus une application est bon marché, facile d’utilisation, pérenne, plus elle va être utilisée, déployée. Autrement dit, des systèmes qui ne demandent plus de batterie par exemple sont sans doute appelés à se multiplier. Est-ce une bonne chose ? On risque de perdre tous les bénéfices d’une moindre consommation énergétique. Je dois bien constater, hélas, que les émissions de gaz à effet de serre de l’ensemble des TICs croît de 9% par an… Dans ce domaine comme dans bien d’autres, je crois que la sobriété devrait être de mise. »

Henri Dupuis

Coup d’œil sur la bio de David Bol

David Bol est diplômé Ingénieur civil en électromécanique de l’UCLouvain en 2004. Des études qu’il a entreprises dans le but de comprendre comment fonctionnent les technologies. Lors de sa thèse de doctorat, défendue en 2008, il s’intéresse déjà à la basse consommation des systèmes électroniques…. notamment les prothèses auditives, grandes consommatrices de piles ! Son post-doc est partagé entre l’université et la startup intoPIX active dans le domaine de la compression vidéo puis un séjour à Berkeley où il étudie l’empreinte carbone de la fabrication d’un circuit électronique. Une expérience qui lui fait encore davantage prendre conscience que l’électronique est généralement peu durable : « Non seulement il faut plusieurs kilos de matériau pour fabriquer une puce de quelques grammes, mais cette fabrication requiert aussi beaucoup d’énergie, d’autant plus que la taille des transistors qui la constituent diminue. En plus, et on le sait moins, le transfert d’un gigabyte de données, entraîne l’émission de ½ à 1 kg de CO2. » Nommé Professeur en 2012, il a participé à la création de la spin-off e-peas semiconductors et n’a de cesse, à côté de ses activités de chercheur et d’enseignant, de sensibiliser les plus jeunes au coût environnemental de l’utilisation d’Internet.

Publié le 13 juin 2019