De retour d’Antarctique, impression... à chaud !

Une équipe de chercheurs de l’UCLouvain et de l'ULB vient de revenir de près de deux mois de mission en Antarctique. Ils y ont étudié le bilan de masse de la calotte glaciaire antarctique en analysant l’accumulation de neige en surface. Hugues Goosse, coordinateur du projet et professeur extraordinaire à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain nous raconte et nous livre ses premières impressions et observations… 

Fin 2018, Hugues Goosse, coordinateur du projet MASS2ANT et professeur extraordinaire à l’Earth and Life Institute de l’UCLouvain, expliquait à Science Today les raisons de son départ quelques jours plus tard vers l’Antarctique, paradis blanc propice à l’étude de l’évolution de notre climat. Après avoir passé plus d’un mois sur le Continent Austral, il revient sur cette riche aventure humaine et scientifique au milieu de nulle part. 

Trois paramètres à étudier

Le 1er décembre 2018, le chercheur s’envole pour le Cap, en compagnie d’une équipe interuniversitaire (UCLouvain, ULB et Université du Colorado à Boulder). Leur objectif est triple : prélever de la neige à plusieurs endroits pour étudier son accumulation, forer une carotte de glace aussi longue que possible pour analyser chaque couche, et mesurer le mouvement de la glace. Tous ces paramètres nous donnent des indices sur la manière dont le climat a évolué ces dernières décennies, et dont il évoluera prochainement. En effet, toute variation climatique en Antarctique impacterait le reste du monde.

Là où personne n'a jamais posé le pied

Pour atteindre le camp de base, le voyage fut long : près de deux semaines pour l’atteindre (dont quatre jours d’attente dans une base russe faute de bonnes conditions météorologiques) et une semaine pour rentrer au plat pays. Sur place, l’équipe est restée quatre semaines avec un container de matériel, un autre pour vivre (cuisine, salle de bain et toilettes), une grande tente pour couvrir le lieu du forage en cas de mauvaises conditions météorologiques, et des petites tentes pour dormir. Ce camp était installé au sommet d’une petite colline de glace, afin que celle-ci s’écoule de la même manière dans toutes les directions et que cet écoulement perturbe le moins possible l’interprétation de la carotte de glace. « Les premiers jours, on sait ce qu’on a à faire, et on est concentré pour ne pas perdre de temps précieux. Ce n’est que progressivement qu’on se rend compte qu’on est dans un environnement unique, que le premier voisin est à 80 kilomètres et que personne n’a jamais posé le pied là où nous sommes. Tout est vaste et vide. Il n’y a pas de vie. L’expérience humaine est donc d’autant plus intense », raconte Hugues Goosse. Un guide et un mécanicien les accompagnent d’ailleurs pour leur indiquer les endroits dangereux et pour réparer les petits ratés des outils utilisés. 

Forer la nuit

Les premiers jours, tout se met doucement en place : l’équipe commence le forage, prélève des échantillons de neige et plante des bâtons de bambou pour que les suivants, l’an prochain, analysent le mouvement des glaces. « Les principaux obstacles que nous avons rencontrés étaient d’ordre logistique », témoigne Hugues Goosse, « il suffit d’une pièce qui casse ou qui ne fonctionne pas pour être coincés. Mais l’ingéniosité du mécanicien et de l’équipe m’ont épaté ». L’autre obstacle inattendu fut les températures trop élevées pour forer : « Les carottes de glace ne peuvent pas se réchauffer, sinon des réactions chimiques déstabilisent les mesures. Or, dans la tente de forage, il faisait trop chaud. Nous avons donc décidé de forer la nuit, lorsque les températures étaient en dessous de -8 degrés », explique le chercheur. Même si l’équipe vit avec 24 heures de soleil, la nuit les températures oscillent autour des -10 degrés et avoisinent, la journée, 0 degré.

Une carotte de 260,1 mètres

Au terme des quatre semaines de mission, l’équipe est de retour en Belgique avec plusieurs échantillons et d’innombrables données. Ils ont foré jusqu’à plus de 200 mètres de profondeur pour récolter une carotte glaciaire de 260,1 mètres, soit 50 mètres de plus que l’an dernier. « L’autre bonne nouvelle est que la glace est de bonne qualité tout le long, grâce aux nouvelles techniques utilisées », s’enthousiasme le scientifique. Il faudra encore un peu attendre avant que l’ULB analyse cette carotte puisqu’elle attend encore dans un congélateur en Antarctique et sera envoyée en bateau jusqu’Anvers dans les mois à venir. L’équipe a également pu noter que la glace s’est déplacée d’un mètre par rapport à l’an dernier. Enfin, les chercheurs ont pu mesurer les propriétés de la neige en surface et ses couches, et les analyser sur place.

Un phénomène régional ou plus global?

A peine de retour, Hugues Goosse note qu'« il est encore trop tôt pour tirer des conclusions.» L’équipe sait qu’il y a des profils variés de températures, que parfois il y a de la fonte en surface, et que globalement, il y a une grande variabilité spatiale. Ces variations dépendent parfois d’une différence topographique d’une dizaine de mètres. Désormais, la question à se poser est : est-ce que ces données sont représentatives d’un phénomène à plus grande échelle ? A ce jour, l’hypothèse la plus simple est que localement, les mesures prises sont modifiées par les vents et varient en fonction de la position par rapport à ces vents. Mais cette hypothèse n’est que locale. Hugues Goosse cherchera à connaître les liens entre ces changements locaux et ceux à plus large échelle.

Au travail

Dans les mois à venir, le chercheur de l’UCLouvain utilisera donc des modèles pour les comparer à la réalité, et analysera ainsi les processus (rôle du vent, de la température, apport de masse d’air océanique, rôle des échanges avec le continent, etc.). Il tentera ainsi de modéliser l’évolution de la température de l’intérieur du puits de forage. Pendant ce temps, les autres membres de l’équipe travailleront sur d’autres paramètres (mouvement de glace, analyse de la carotte, comparaison des échantillons de neige). L’objectif, progressivement, est de reconstruire le climat régional. Avec des premières réponses en juin 2019.

DES BULLES POUR NOËL

Lors de cette mission, l’équipe a non seulement passé le cap vers l’an 2019, mais a aussi vécu Noël ensemble. A cette occasion, en guise de dessert après une fondue bien méritée, les membres de l’équipe ont fait l’expérience de boire un verre rafraîchi par des débris de glace provenant du forage. En-dessous de 50 mètres, des bulles sont piégées dans la glace, au moment où la neige se transforme en glace sous la pression. Quand ces bouts de glace fondent, un léger bruit effervescent se fait entendre. De quoi mettre des bulles dans ses bulles !

Lauranne Garitte

 

Coup d’œil sur la bio d'Hugues Goosse

Hugues Goosse est professeur à l’UCLouvain où il enseigne la climatologie et des disciplines connexes et directeur de recherches au Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S - FNRS). Ses recherches portent sur le développement de modèles climatiques, à la comparaison entre les résultats de modèles et différents types d’observations ainsi qu’à l’application de ces modèles pour étudier les changements climatiques passés et futurs. Il se consacre à la fois aux variations d’origine naturelle et aux changements climatiques induits par les activités humaines. Plus spécifiquement, ces travaux récents se focalisent sur les interactions entre la glace de mer et l’océan dans l’océan Austral, les changements climatiques durant les derniers millénaires et les méthodes d’assimilation de données en paléoclimatologie.

Publié le 14 mars 2019