Depuis 5 ans, les professeurs Sandrine Horman et Christophe Beauloye étudient un des grands acteurs à l’origine des thromboses : les plaquettes sanguines. Dans certaines conditions, elles peuvent devenir « hyper » réactives et former plus facilement des caillots qui bouchent alors nos artères. La récente publication de ces scientifiques de l’UCL dans la prestigieuse revue « BLOOD » a mis en avant le rôle clef des lipides dans la dérégulation de nos plaquettes. Une découverte majeure permettant potentiellement, à terme, d’identifier et de mieux traiter les patients plus à risque d’infarctus.
En Belgique, 15.000 personnes meurent chaque année d’accidents cardiovasculaires. A l’origine, bien souvent, une thrombose artérielle. « C’est elle qui peut conduire à l’infarctus du myocarde», explique Sandrine Horman, professeure et chercheuse FNRS à l’Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC) de l’UCL. « La thrombose est un caillot sanguin qui se développe dans un vaisseau. Lorsqu’un tel caillot survient dans une des artères coronaires, il empêche l’arrivée du sang dans une zone du cœur, ce qui peut être critique pour son bon fonctionnement. Ces artères alimentent, en effet, le cœur en oxygène et en nutriments. Or, lorsqu’une partie du cœur est coupé de ce qui l’alimente, celui-ci finit par mourir, provoquant l’infarctus. »
La recherche du Pôle de Recherche Cardiovasculaire (CARD) au sein de l’IREC à l’UCL, s’intéresse au métabolisme cellulaire, c’est-à-dire à la façon dont les cellules utilisent et synthétisent des substrats énergétiques pour vivre et fonctionner. Plus particulièrement, depuis de nombreuses années, le laboratoire fait partie des quelques groupes de recherche dans le monde, spécialisés dans l’étude du métabolisme de la cellule et du muscle cardiaque. Mais au sein du groupe où travaille Sandrine Horman, c’est vers le responsable des thromboses artérielles que s’est porté l’intérêt : les plaquettes qui circulent dans notre sang.
Une autre perspective dans l’étude de l’infarctus
« Une poignée seulement de groupes de chercheurs se penchent actuellement sur le métabolisme plaquettaire », relève la professeure Horman. Les plaquettes jouent un rôle majeur dans les pathologies cardiaques. D’ailleurs, les principaux traitements utilisés en clinique sont des traitements anti-plaquettes. L’aspirine ou le Clopidogrel (connu aussi sous le nom Plavix), par exemple, sont de tels traitements. Ils cherchent à empêcher la formation des caillots à l’origine du « vaisseau bouché », en visant les plaquettes. Ce sont elles, en effet, qui vont s’agréger (se coller les unes aux autres) et déclencher la thrombose, provoquant l’infarctus, potentiellement mortel. Pour l’empêcher, il faut donc inhiber l’agrégation des plaquettes.
« La difficulté, c’est que tous les patients ne sont pas égaux face aux traitements, poursuit la chercheuse. De plus, certains sont plus à risque que d’autres de faire un infarctus parce que leurs plaquettes fonctionnent différemment. » Avec Christophe Beauloye, Sandrine Horman a dirigé trois jeunes doctorants dans leurs recherches, Sophie Lepropre, Shakeel Kautbally et Marie Octave. Objectif : identifier les facteurs responsables de cette modification des plaquettes, et qui les font réagir différemment.
Une enzyme au cœur de l’agrégation des plaquettes
« Nous avons voulu viser l’ennemi, plutôt que nous concentrer sur la victime », image la professeure. L’ennemi, c’est le déclenchement de l’agrégation des plaquettes. Pour cela, les lipides ont une importance majeure. « Ils jouent un rôle important dans la structure des plaquettes. Mais pas seulement : ils les nourrissent et contrôlent leur fonction. »
C’est là que la découverte des chercheurs de l’IREC entre en jeu. Dans leur travail, ils se sont intéressés aux lipides au sein de la plaquette. Conclusion majeure : les plaquettes sont capables de synthétiser les lipides. « Les plaquettes sont lipogéniques », note la professeure Horman.
Les scientifiques ont alors cherché à moduler une enzyme qui permet aux plaquettes de synthétiser les lipides. «Nous avons montré que si on modifie justement l’activité de cette enzyme, nous pouvons modifier le contenu en lipides des plaquettes. Plus de 800 lipides présents au sein de la plaquette ont été screenés afin d’identifier ceux qui jouent un rôle clef pour le contrôle de leur fonction».
De manière très intéressante, tous les lipides ne sont pas affectés de la même manière : ce sont ceux qui favorisent la thrombose artérielle qui sont préférentiellement fabriqués lorsque cette enzyme est active. « C’est la découverte centrale de notre travail : quand l’activité de cette enzyme, l’Acétyl-CoA Carboxylase ou ACC, est changée, les lipides plaquettaires sont modifiés, favorisant l’activation des plaquettes et par conséquent la thrombose ».
Marie Dumas
EntretienSandrine Horman est professeure et chercheuse qualifiée FNRS à l’UCL. Elle travaille au sein du Pôle CARD à l’IREC, laboratoire dans lequel elle a codirigé les recherches ayant aujourd’hui abouti à la publication dans « BLOOD ». Quelles sont les perspectives des travaux du laboratoire CARD ? Les perspectives à long terme sont claires : « nous voulons appliquer ces résultats en clinique. Certes, nous faisons de la recherche fondamentale. Mais il faut faire le lien entre ce que l’on découvre au laboratoire et ce que l’on peut appliquer au patient ». Ce lien est fait grâce au professeur Christophe Beauloye qui, en plus d’être professeur de physiologie cardiovasculaire à l’UCL, est aussi médecin cardiologue en clinique. Voilà deux ans qu’il est chef du service de cardiologie aux cliniques universitaires Saint-Luc. Il consacre encore beaucoup de son temps à la recherche, comme en témoigne cette découverte. «C’est lui qui nous permet de faire très facilement ce lien évident avec la clinique. » Plus directement, quelles sont les prochaines étapes de vos recherches ? «Nous avons récemment analysé les plaquettes de patients à risque de thrombose ou souffrant d’une menace d’infarctus, et elles ont une ACC et un métabolisme lipidique modifiés. Notre recherche future va se focaliser sur cette voie de contrôle du métabolisme des lipides, d’une part à des fins thérapeutiques, afin d’évaluer si, en ciblant cette enzyme, certains traitements peuvent avoir une influence sur l’activité des plaquettes et donc sur le risque de formation de caillots ; d’autre part, à des fins diagnostiques, pour trouver de nouveaux biomarqueurs capables d’identifier les patients à risque de thrombose et d’infarctus. Un des objectifs sera d’étudier si ces plaquettes au métabolisme modifié libèrent des marqueurs facilement détectables dans le sang. La mesure de ce(s) biomarqueur(s) sanguin(s) permettrait de dépister les patients à risque et de leur administrer le traitement adéquat, pour éviter la survenue de l’infarctus et diminuer la mortalité. |
Coup d'oeil sur la bio de Sandrine Horman
1992, Candidate en sciences biologiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)
1994, Licenciée en sciences biologiques, ULB
1994–1999, Doctorat en sciences biologiques, Laboratoire de Cytologie et Cancérologie Expérimentales (Professeur Pr. P. Galand), ULB
2000–2007, Chargée de recherche, Unité Hormones et Métabolisme (HORM, Pr. L. Hue), Institut de Duve, Université catholique de Louvain (UCL)
2007, Chercheuse Qualifié FNRS, Pôle de Recherche Cardiovasculaire, Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC), UCL
2012, Chargée de Cours à temps partiel, UCL
2016, Professeure, UCL
Coup d'oeil sur la bio de Christophe Beauloye
1992, Candidat en sciences médicales, Faculté universitaire Notre Dame de la Paix, Namur
1996, Docteur en Médecine Chirurgie et Accouchement, Université catholique de Louvain (UCL)
1996 –2004, Médecin Assistant Candidat Spécialiste en médecine Interne et Cardiologie
1998–2002, Aspirant FNRS, Doctorat en sciences biomédicales, Unité Hormones et Métabolisme (HORM, Pr L. Hue), Institut de Duve, UCL
2004, DES en Cardiologie, UCL
2004–2005, DES en soins intensifs, UCL
2005–2006, Fellowship, cardiologie interventionelle, OLVZ, Aalst
2006, Chef de Clinique Adjoint, service de Cardiologie, Cliniques universitaires Saint Luc
2009, Chargé de Cours Clinique, UCL
2014, Professeur Clinique, UCL
2010–2017, Clinicien Chercheur Post-doctorant, FNRS, Pôle de Recherche Cardiovasculaire, Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC), UCL
2016, Chef de service de Cardiologie, Cliniques universitaires Saint Luc