Alors que tout le monde a les yeux rivés sur le COVID-19, une autre infection pulmonaire continue de faire des ravages : la tuberculose. La Dr Anandi Martin, chercheuse invitée à l’UCLouvain, s’intéresse aux bactériocines. Ces « soldats » bactériens pourraient agir à la place ou en complément des antibiotiques auxquels la tuberculose résiste toujours plus.
Un quart de la population mondiale est infectée par le bacille de Koch, la bactérie responsable de la tuberculose. La très grande majorité ne présentera jamais aucun symptôme. La tuberculose est alors dite latente. Mais environ 10 % des personnes infectées développeront la maladie. D’après le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à ce sujet, le monde compte ainsi 10 millions de tuberculeux.
Des traitements (très) longs !
Il existe des traitements contre la tuberculose. « Pour les formes simples de la maladie, le patient doit prendre des antibiotiques pendant six mois », explique la Dr Anandi Martin, chercheuse invitée au Centre de Technologies Moléculaires Appliquées dirigé par le Professeur Jean-Luc Gala, et spécialiste de la tuberculose (lire : « Tuberculose : où en est- on ?). « Et en cas de formes multirésistantes aux antibiotiques [1], il faut compter deux ans de traitements, avec des effets secondaires potentiellement sévères. De nombreux patients ont du mal à bien prendre leurs médicaments jusqu’au bout. Sans oublier l’émergence de formes de tuberculose extrêmement résistantes à presque tous les médicaments connus… » Résultat : toujours selon l’OMS, environ 1,2 million de personnes sont mortes de la tuberculose en 2019. C’est davantage que les décès dus au virus du sida [2].
La redécouverte des bactériocines
Depuis mars 2020, la Dr Martin est chercheuse chez Syngulon. Ses recherches en laboratoires se font cependant toujours au sein du laboratoire CTMA de l’Institut de recherches expérimentales et cliniques (IREC) de l’UCLouvain qui a noué des partenariats avec cette « start-up in the labs » [3] liégeoise spécialisée en biologie synthétique. Elle produit notamment des bactériocines. « Les bactériocines sont des peptides, de petites molécules produites par la plupart des bactéries pour se défendre », explique la chercheuse. « Chaque bactérie possède sa petite armée de bactériocines toxiques pour les autres bactéries de leur environnement. »
Les bactériocines sont connues depuis longtemps. Elles ont été découvertes en 1925 par le microbiologiste belge André Gratia. Trois ans plus tard, Alexander Flemming découvrait la pénicilline, marquant le début du règne glorieux des antibiotiques. Les vertus antimicrobiennes des bactériocines tombent alors dans l’oubli… Mais ces dernières années, face à l’essor des phénomènes d’antibiorésistance, les bactériocines suscitent un regain d’intérêt dans la communauté scientifique.
Tester un catalogue de bactériocines
« Nous possédons une collection unique au monde d’environ 300 bactériocines », explique la Dr Martin. « Je suis chargée de les tester sur la tuberculose. Objectif : découvrir si une ou plusieurs bactériocines – éventuellement en combinaison avec l’un ou l’autre antibiotique – ne pourrai(en)t pas agir contre le bacille de Koch. Objectif : lutter contre la tuberculose causée par des germes résistants à l’arsenal pharmaceutique actuel. »
Pour rappel, le bacille de Koch fait partie du groupe des mycobactéries. Leur particularité ? Ces bactéries-là possèdent une membrane externe très épaisse que les antibiotiques ont souvent bien du mal à franchir. Peut-être existe-t-il des bactériocines qui pourraient fragiliser la paroi du bacille de Koch ? Pour le savoir, la Dr Martin a commencé à étudier la littérature scientifique afin de repérer les bactériocines prometteuses. « Nos outils bioinformatiques devraient aussi nous aider à trouver de nouvelles bactériocines qui pourraient présenter un intérêt dans les maladies infectieuses comme la tuberculose. Et dès que le confinement imposé par le COVID-19 sera terminé, je lancerai les premiers tests in vitro. »
Et contre le COVID-19 ?
Dans les circonstances actuelles, difficile de parler d’infections respiratoires sans évoquer le COVID-19 ! Malgré leurs similitudes (voir encadré), la tuberculose et le COVID-19 sont deux maladies différentes. Cela dit, la Dr Martin profite de son passage en revue de la littérature scientifique pour se pencher sur certaines bactériocines aux vertus antivirales. « Il y a aussi toute une discussion scientifique au sujet du vaccin BCG », ajoute-t-elle. « Ce vaccin protège les enfants contre certaines formes sévères de la tuberculose. Et on sait que, en stimulant le système immunitaire, le vaccin BCG a aussi des effets protecteurs contre d’autres maladies respiratoires. Des études viennent donc de commencer pour vérifier si l’effet protecteur du vaccin BCG s’étend au COVID-19. » Verdict dans plusieurs mois.
Les points communs entre le COVID-19 et la tuberculose
Il y a une différence fondamentale entre les deux maladies. La tuberculose est provoquée par une bactérie alors que le COVID-19 est dû à un virus. Les deux infections présentent toutefois quelques similitudes.
- Ces maladies respiratoires s’attaquent principalement aux poumons.
- Elles se transmettent par aérosol, c’est-à-dire par la dispersion de fines gouttelettes infectées quand le malade tousse ou éternue.
- Elles sont très contagieuses. Les personnes infectées doivent être confinées.
- La toux et une fièvre persistante sont des symptômes fréquents. Toutefois, la majorité des personnes infectées sont asymptomatiques.
Candice Leblanc
[1] Sur 10 millions de tuberculeux, 500 000 souffrent de tuberculoses résistantes aux antibiotiques. Soit 5 % des malades. [2] Selon l’OMS, 1,1 million de personnes sont mortes du sida en 2019. [3] Une « start-up in the labs » n’a pas de laboratoire en propre et travaille en étroite collaboration avec des laboratoires universitaires partenaires.
Lire aussi : Tuberculose : où en est-on ?
Coup d’œil sur la bio d'Anandi Martin
Anandi Martin est chercheuse en biologie, spécialiste de la tuberculose. Elle est titulaire d’un master en biologie et d’un certificat en éducation et santé publique, obtenus en 1992 et 1996 à l’ULiège. Elle s’intéresse à la tuberculose dès le milieu des années 90 et y consacre sa thèse. Elle obtient le titre de docteur en biochimie en 2006, à l’UGent. Elle a participé à plusieurs programmes de recherche, tant dans des universités (Institut de Médecine tropicale d’Anvers, UGent, etc.) que pour des organisations internationales : Organisation mondiale de la Santé, Commission européenne, Médecins sans Frontières, Fondation Damien, etc. Elle rejoint le Pôle de Microbiologie médicale de l’UCLouvain en 2016. Depuis mars 2020, elle travaille pour la start-up Syngulon, en collaboration avec le Centre de technologies moléculaires appliquées (CTMA) de l’UCLouvain. Cette collaboration est réalisée avec le soutien de la Région wallonne.