De l’hydrogène plus vert

L’hydrogène pourrait jouer un rôle clé dans la décarbonation de l’industrie chimique et le stockage d’électricité verte. Mais il reste du chemin à parcourir pour améliorer les capacités des filières et les coûts de production. Un nouveau design des électrodes intervenant dans l'électrolyse de l’eau participe à ces solutions.

Manque de chance : l’élément le plus abondant de l’univers, l’hydrogène (lire l’encadré), n’est quasiment pas disponible sous forme gazeuse sur Terre ; pour l’utiliser, il faut donc l’extraire de molécules qui en contiennent comme l’eau ou les composés organiques du type gaz naturel. On comprend dès lors que l’être humain se soit spontanément tourné vers un réactif gratuit, abondant, immédiatement disponible : l’oxygène. « Toute notre exploitation des énergies fossiles, explique le Professeur Joris Proost, de l’unité Materials and process engineering de l’UCLouvain et membre de Louvain4Energy, se base sur le fait qu’on dispose d’oxygène gratuit même si, dans l’air, il est mélangé. Mais ce n’est pas gênant pour beaucoup de procédés, d’autant que le composant essentiel auquel il est mêlé est l’azote, un gaz inerte. Les sources d’énergie fossile à base de carbone sont elles aussi très bon marché. Les deux étaient faits pour se rencontrer. Mais si vous les mélangez, il n’y a rien à faire : vous dégagez du CO2 ! » Cependant, comme le réchauffement climatique nous oblige à décarboner notre économie, l’heure de la revanche a peut-être sonné pour l’hydrogène.

Hydrogène et énergie

Lorsqu’on pense hydrogène, c’est en général l’image d’une voiture du futur qui vient à l’esprit. Pourtant, s’il existe aujourd’hui un marché de l’hydrogène, ce n’est pas du tout celui-là. Produit à raison d’environ 60 millions de tonnes par an pour une valeur avoisinant les 100 milliards de dollars, l’hydrogène est utilisé pour la formation des hydrocarbures (les fameuses chaînes C-H qui résument presqu’à elles seules toute notre chimie, du bitume à divers types de plastiques en passant par le propane ou le butane), comme gaz réducteur dans la sidérurgie ou encore comme élément de base de l’ammoniac (NH3) nécessaire à la fabrication des engrais. L’hydrogène a donc un intérêt comme élément en soi et pas seulement comme vecteur énergétique.

C’est cependant dans ce secteur que son avenir pourrait être le plus prometteur. « Il est prévu de multiplier par dix environ, d’ici à 2050, la production d’électricité verte c’est-à-dire à partir de sources renouvelables, essentiellement le solaire et l’éolien. Mais on sait que ces sources ne sont pas régulières et qu’il y a donc un grand problème de stockage, explique le Professeur Proost. » Une des solutions possibles pour y parvenir est de relier le réseau à des batteries : en cas d’excédent de production, le courant y serait stocké. Mais elles sont incapables de le faire à l’échelle du gigawatt. L’autre solution pour stocker cette électricité, bien plus performante en terme de capacité, est de transformer l’électricité en hydrogène gazeux via l’électrolyse de l’eau.

L’électrolyse de l’eau

L’électrolyse de l’eau est un classique des cours de science de l’enseignement secondaire dont nous nous souvenons tous : deux électrodes métalliques (en général en nickel) sont immergées dans l’eau et reliées à une source de courant continu ; le passage du courant dissocie l’eau (H2O) en deux gaz, le dioxygène (O2) et le dihydrogène (H2). Un procédé vieux de plus de deux siècles (il a été réalisé pour la première fois en 1800 !), mais dont l’industrialisation a été freinée par le coût de l’énergie, en l’occurrence l’électricité, particulièrement si elle provient de sources renouvelables. Sauf qu’aujourd’hui, le coût des énergies renouvelables a diminué… parfois même jusqu’à la gratuité lorsque la production est excédentaire, par exemple en cas de vent soutenu ou d’ensoleillement maximal. Cette baisse du coût de l’énergie n’est cependant pas suffisante pour assurer la viabilité économique du système. D’autres problèmes subsistent en effet, liés à l’utilisation des gaz produits. Pour l’oxygène, pas de problème : il peut être relâché dans l’atmosphère où il retrouvera toute son utilité.

Mais que faire de l’hydrogène ?

Hydrogène vert ou noir

La première idée qui vient à l’esprit est de provoquer la réaction chimique inverse et donc de reproduire de l’électricité à partir de l’hydrogène, exactement comme on entrevoit de le faire dans une pile à combustible qui pourrait, par exemple, fournir de l’énergie électrique à une voiture ou à une habitation. Ce sera peut-être le cas un jour mais aujourd’hui, le rendement énergétique de ce processus est très mauvais et on ne retrouve qu’une faible part de l’électricité injectée au début du processus. Mieux vaut donc utiliser l’hydrogène en tant que tel, pour les usages décrits plus haut, avec un avantage : il s’agit cette fois d’un hydrogène ‘doublement vert’ puisque produit à partir d’électricité à la fois durable et excédentaire.

Tout irait donc pour le mieux s’il n’y avait un problème de coût. « L’hydrogène produit aujourd’hui par les procédés habituels n’est en effet pas ‘vert’ du tout, confirme le Professeur Proost, puisque 8 tonnes de CO2 sont relâchées dans l’atmosphère pour chaque tonne de H2 produite ! Mais il revient à environ 2 euros par kilo, le triple si c’est par électrolyse. Du coup, 96% de l’hydrogène est produit par les procédés traditionnels et seulement 4% à partir d’électrolyse de l’eau. » L’enjeu est donc de faire baisser le prix de l’hydrogène vert.

Comment y arriver ? On peut évidemment parier sur le fait que des taxes sur le carbone vont enchérir le coût de l’hydrogène noir. Mais rien n’est sûr et ce sera sans doute insuffisant. Mieux vaut donc se tourner vers la technologie.

Nouvelles électrodes

Même si les électrolyseurs industriels n’ont pas grand-chose à voir avec les appareils de démonstration des laboratoires scolaires, la base est identique : tout se jour au niveau des électrodes. Une anode et une cathode suffisent à l’école ; pour des électrolyseurs industriels, il faut en empiler des centaines les unes à la suite des autres. Mais différents facteurs techniques limitent cet empilement et pour absorber par exemple le courant excédentaire d’une éolienne de 2 MW, il faut placer plusieurs électrolyseurs les uns à la suite des autres, ce qui alourdit les coûts. Le rêve serait donc de disposer d’électrodes plus performantes permettant d’en utiliser moins et donc moins d’installations pour absorber des pics de courant. C’est ce qu’a réalisé l’équipe de Joris Proost en remplaçant les électrodes traditionnelles par des électrodes poreuses, en 3D. « Nous augmentons ainsi la surface active des électrodes d’un facteur 40 ou 50 sans multiplier le nombre de celles-ci. Certes la production de H2 n’est pas 40 à 50 fois supérieure, mais la diminution du nombre d'électrodes pour accommoder une puissance donnée permet d'abaisser de façon significative les coûts de production de l'hydrogène électrolytique, jusqu’à ceux de l’hydrogène noir. »

Ces performances observées en laboratoire vont bientôt être testées au niveau industriel dans une spin off qui est en voie de création. Ces unités d’électrolyse qui fonctionnent à l’électricité verte on en effet un rôle à jouer dans la décentralisation de la production d’hydrogène que ce soit pour la production d’engrais ou son utilisation en sidérurgie, mais aussi, avec des électrolyseurs de petite taille, pour produire de la chaleur dans les habitations, voire même de l’électricité via une pile à combustible. « Mais le marché de l’hydrogène se situe d’abord dans le secteur de la chimie, conclut Joris Proost ; il rendra l’industrie chimique plus verte ».

Henri Dupuis

L’hydrogène

Elément le plus abondant de l’univers (il est le constituant principal des étoiles), l’hydrogène n’est pas présent sous sa forme moléculaire (H2) sur Terre. Pour en disposer, il faut l’extraire de molécules qui le contiennent comme le méthane (CH4) ou l’eau (H2O). Aujourd’hui, la très grande majorité de l’hydrogène produit (96%) l’est par vaporeformage du gaz naturel. Celui-ci (qui est essentiellement composé de méthane) est converti en présence de vapeur d’eau et de chaleur en H2 et CO2. C’est donc une opération qui demande de l’énergie et produit beaucoup de gaz à effet de serre (8 tonnes de CO2 par tonne de H2 produite). En outre, elle est réalisée dans de grandes installations ; la production est donc très centralisée et nécessite une distribution essentiellement par camions. On peut donc, dans ce cas, parler d’hydrogène ‘noir’ !

Il existe d’autres manières de le produire comme la gazéification du charbon de bois qui doit se faire à très haute température et rejette du CO. Et bien sûr l’électrolyse de l’eau, manière la plus verte de le produire, mais qui reste moins compétitive à l’heure actuelle.

Le professeur Joris Proost (en vert) avec des membres de son équipe devant le prototype d’électrolyseur muni d’électrodes 3D

Coup d’œil sur la bio de Joris Proost

Après avoir décroché son diplôme d’ingénieur civil en métallurgie et matériaux à la K.U. Leuven en 1994, Joris Proost accomplit son doctorat en sciences appliquées au sein de cette même université et de l’IMEC, le centre interuniversitaire de micro-électronique. Son parcours post-doctoral le mène essentiellement à l’université de Harvard. Il revient en Belgique en 2003, mais cette fois au sein de la Louvain School of Engineering de l’UCLouvain où il gravira tous les échelons académiques, jusqu' à Professeur ordinaire (2017). De manière générale, ses recherches portent sur la réactivité des métaux et de leurs oxydes dans différents environnements, avec une attention particulière aux procédés durables en électrochimie. Le Prof. Proost est depuis 2015 également le représentant belge pour la thématique Hydrogène au sein de l'Agence Internationale pour l'Energie (IEA/AIE). Dans cette fonction, il a récemment été invité à contribuer à la rédaction d'un rapport stratégique Hydrogène, qui sera présenté officiellement à Tokyo en juillet 2019 au G20.

Publié le 20 juin 2019