L’heure H de l’hydrogène

L’Agence internationale de l’Energie (AIE) a présenté un premier rapport sur l’hydrogène à l’occasion de la réunion du G20 à Tokyo. Ce rapport est disponible en ligne depuis ce vendredi 14 juin. Le Professeur Joris Proost, représentant de la Belgique pour la thématique ‘Hydrogène’ au sein de l’AIE, y a contribué. L’hydrogène va-t-il enfin s’imposer dans la transition énergétique ?

Lors du week-end de Pentecôte, Joris Proost (pôle Materials and Process Engineering de l’UCLouvain) a enfourché son vélo et traversé la Belgique du Nord au Sud, de Meerle au nord d’Anvers jusqu’à Torgny, en Gaume : 400 km en trois jours ! Bien sûr, c’était pour une bonne cause (le périple était organisé par Broederlijk Delen, une asbl d’aide au développement qui investit dans les communautés rurales d’Afrique et d’Amérique latine). Mais on peut être certain que, comme à son habitude lorsqu’il pédale (et c’est fréquent, 2000 km chaque année au moins !), Joris Proost n’aura pu s’empêcher de mouliner aussi quelques idées sur l’hydrogène. Pour lui, il ne fait aucun doute que l’heure H de l’Hydrogène a sonné ! Les indices allant dans ce sens se multiplient.

L’AIE (Agence Internationale de l’Energie ) s’impose en effet de plus en plus dans le débat sur le réchauffement climatique à cause de l’importance qu’y prend la transition énergétique. Et alors que l’hydrogène est longtemps resté absent des débats de l’Agence, il y a fait une entrée en force voici un peu plus d’un an lorsqu’elle a décidé de rédiger un premier rapport mondial sur le sujet. Ce dernier a été publié ce vendredi 14 juin 2019. Plus de 140 personnes émanant d’organismes publics, d’entreprises, de gouvernements ont fixé le cadre de ce rapport. Parmi elles, trois experts universitaires seulement…. dont Joris Proost (les deux autres étant des professeurs de l’université d’Oxford et de la T.U.Delft). Le rapport final a été rédigé sur cette base et présenté à Tokyo par l’AIE en marge du G20 présidé par le Japon. « Pour le Japon, l’hydrogène est devenu une priorité, explique le Professeur Proost. Après la catastrophe de Fukushima, ils ont décidé que l’hydrogène serait l’énergie du futur. Et ils veulent profiter de leur présidence du G20

Le groupe des Onze

Il a fallu bien des hasards pour que Joris Proost devienne en quelque sorte le ‘Monsieur Hydrogène’ belge. Tout se joue au collège Sint-Jozef d’Herentals, dans la campine anversoise dont il est originaire. Quelle carrière choisir ? Pas ingénieur en tout cas, puisque son père l’est. Mais Joris et ses camarades de la section latin-math profitent de l’enseignement d’un professeur de mathématique extraordinaire qui stimule la réflexion des jeunes gens. Jusqu’au jour où, sous forme de boutade et de défi, 11 d’entre eux décident de présenter l’examen d’entrée en polytechnique à la K.U.Leuven sans préparation, sans rien étudier. Juste pour voir. Vite vu : ils réussissent tous les 11 ! Soit. Mais quelle spécialisation choisir ? Joris fait le tour de tous les laboratoires… sauf la métallurgie puisque son père est précisément ingénieur métallurgiste. « Mais les autres spécialisations ne m’ont pas plu, se souvient-il. Donc j’ai choisi la métallurgie par défaut. Heureusement car c’était une formation qui combinait la science des matériaux et le génie chimique. Je ne l’ai jamais regretté. »

Son promoteur de travail de fin d'année, le Prof. Jef Helsen, le motive profondément et l’oriente vers la recherche . Il fera donc une thèse de doctorat au sein de… l’IMEC, l’institut interuniversitaire flamand de micro-électronique. « J’étais le premier métallurgiste à faire de la recherche chez les électroniciens, sourit-il. Mais après tout, les chips, il faut les produire correctement, non ? » A ce stade, toujours pas la moindre trace d’hydrogène en vue…

Direction Harvard ensuite, pendant trois ans, dans le laboratoire du professeur Frans Spaepen. « Il m’a appris ce qu’était vraiment la recherche scientifique: concevoir soi-même un système qui n’existe pas pour essayer de répondre à une question que personne ne s’est jamais posé ». Toujours rien qui concerne l’hydrogène. Désireux de revenir en Europe, Joris Proost apprend qu’un poste s’ouvre à l’UCLouvain, le Prof. André Van Lierde, alors responsable du laboratoire de métallurgie, étant admis à l’éméritat. «J’ai été très chaleureusement accueilli, se souvient le Professeur Proost, comme si l’on s‘étonnait qu’un Flamand sollicite un poste en Wallonie. J’ai eu une liberté totale dans la direction que je voulais donner au laboratoire. Mon prédécesseur avait une conception très appliquée de la recherche. J’ai donc d’abord nettoyé les abords du laboratoire des tonnes de minerais, certains provenant encore du Congo !». Et l’hydrogène ? « Nous avons commencé à travailler sur la récupération électrochimique des métaux dans des eaux usées. La production d’hydrogène en est une réaction parasite, mais elle fonctionnait tellement bien qu’on s’est graduellement focalisé là-dessus. » Bref, voici enfin notre hydrogène mais qui s’invite comme un parasite, par hasard. Le reste, Joris Proost l’a mûri sur son vélo, lors des nombreux trajets entre Kessel lo (Leuven) où il habite et la côte où il aime se rendre (lire l’article ‘De l’hydrogène plus vert’ pour découvrir un aperçu des résultats des recherches de son équipe de l’UCLouvain).

WallonHY

En 2015, la Wallonie approuve le projet de recherche WallonHY visant à développer un électrolyseur plus performant (lire De l’hydrogène plus vert). Avec une condition à la clé : s’intégrer dans une des priorités de l’AIE. Joris Proost s’y implique, fait en sorte que notre pays soit présent dans le groupe spécifique à l’hydrogène, puis est nommé représentant officiel de la Belgique au sein de ce groupe. Il est également sollicité pour prendre part aux travaux d’une task force spécifique (la Tâche 38) où est étudiée plus particulièrement la production d’H2 par électrolyse. Il y a coordonné l’analyse de tous les projets de démonstration qui existent dans le monde et rassemblé des données économiques sur ces systèmes, la réduction du prix de production étant un élément essentiel. Des travaux qui ont été intégrés dans le rapport général de l’AIE présenté au G20.

« Ma motivation personnelle est de positionner la Belgique sur la carte de l’hydrogène. Le rapport montre que notre région (la North Sea region comprenant les Pays-Bas, la Belgique et les côtes est de la Grande-Bretagne) est considérée comme un des 7 grands marchés mondiaux potentiels de l’H2, à cause de son développement et ses besoins industriels bien sûr, mais aussi de la présence de grands champs éoliens offshore, donc d’électricité verte qu’il faut stocker (lire De l’hydrogène plus vert). » D’autant qu’en outre, toutes les expertises sont là : dans le groupe de travail de 140 personnes qui ont préparé le rapport, siégeaient en effet neuf Belges, l’une des plus importantes délégations… mais aucun ne représentait la Belgique en tant que telle : Joris Proost était là en tant qu'expert universitaire, les autres travaillent pour l’UE, l’AIE elle-même, Engie ou d’autres grandes entreprises énergétiques comme le russe Gaz Prom !

Un rapport étoffé

Comme il est d’usage, un tel rapport international aborde non seulement la production (verte ou non….) et le marché actuel, mais aussi le stockage et l’utilisation de l’hydrogène. Et bien sûr des éléments de prospective et des recommandations aux gouvernements.

« En ce qui concerne la production verte, c’est-à-dire à partir d’électrolyseurs alimentés par de l'électricité verte, deux tendances s’affrontent dans le rapport souligne Joris Proost. La première voudrait que la production verte se fasse à la même échelle que l’actuelle production à partir de méthane (dont le produit résiduel est le CO2, plus ou moins 8 Tonnes par tonne d'H2 !). Donc dans de grandes installations de 100 MW ; l’H2 serait ensuite distribué vers les lieux d’utilisation par camion par exemple. Personnellement, j’ai défendu la tendance inverse. Je pense qu’il faut essayer de décentraliser la production et dimensionner celle-ci aux besoins. » Un exemple avec l’usage actuel de l’H2 dans l’industrie sidérurgique ou chimique : l’hydrogène nécessaire pourrait provenir d’un électrolyseur de quelques MW, situé au sein de l’entreprise. Au-delà de cela, pour le marché actuel, le défi est de faire baisser le prix de production de l’hydrogène vert (lire De l’hydrogène plus vert).

Le marché domestique et celui de la mobilité sont évidemment les marchés potentiels qui sont abordés dans le rapport. Et là, rien n’est joué même si le Japon entend en être une vitrine lors des JO de 2020 à Tokyo. Tous les transports publics affectés aux Jeux fonctionneront à l’hydrogène et des piles à combustible chaufferont et éclaireront nombre d’installations. « Ce qui freine ici, explique Joris Proost, ce n’est pas le coût du combustible comme dans le cas du marché industriel car pour ces usages l’H2 est concurrentiel par rapport au diesel, l’essence ou le fuel, mais c’est le coût des véhicules et celui des piles à combustibles ou des chaudières. En outre, dans le cas du transport, il faut un système de distribution efficace. » D’où la recommandation du Professeur Proost de commencer par les transports publics et les flottes captives dont les demandes en énergie sont parfaitement prévisibles. Recommandation entendue côté wallon puisque le 9 mai dernier, le gouvernement régional a approuvé le lancement d’un appel à candidats pour la mise en service de deux stations de production et distribution d’hydrogène pour alimenter les bus du TEC.

« Pour la production de chaleur et d’électricité au niveau domestique, cela demandera encore plus de temps, souligne le Professeur Proost. La technologie est disponible mais il faut que cela ait du sens au niveau économique. » Les installations restent en effet trop onéreuses ou surdimensionnées par rapport aux besoins. Plutôt que des maisons ou des appartements individuels, ce sont donc plutôt des quartiers, des immeubles qui pourraient recourir à l’hydrogène, sans doute à une échéance d’une vingtaine d’années.

Descendu de son vélo, après avoir fait le plein d’oxygène – et d’hydrogène- Joris Proost rejoint la chorale de son village, préoccupé par la sauvegarde des chants polyphoniques géorgiens… qu’il chante depuis plusieurs années. « C’est une tradition qui a pratiquement disparu et n’est plus vivace que dans des villages de montagne du Caucase », se désole-t-il. Villages où il s’est déjà rendu à deux reprises. Mais sans son vélo cette fois.

 

 

Publié le 20 juin 2019