L’approche que la recherche fondamentale attendait

Eos, the Excellence of Science. Ce programme porté par le FNRS et le FWO soutient des projets de recherche fondamentale menés conjointement par des chercheurs des communautés flamande et francophone. Quatre des projets sélectionnés pour recevoir un financement d’environ 1M€ par an durant 4 ans dès 2018 sont coordonnés par des équipes UCLouvain. Leurs défis ? Ouvrir un portail vers une nouvelle physique, comprendre les mécanismes immunitaires face aux virus, créer un réseau sans-fil surdoué ou encore prédire les changements climatiques sur 10 ans ! 

Une nouvelle physique

Le Pr Fabio Maltoni, chercheur à l’Institut de recherche en mathématique et physique de l’UCLouvain, étudie les interactions fondamentales qui régissent notre univers. C’est la fameuse physique des particules. Rejoint par des chercheurs de l’ULB, la VUB, l’Ugent et l’UAntwerp, le chercheur coordonne le projet be.h. Son objectif ? Donner une suite à la découverte du Boson de Higgs – ou boson H -, qui a valu le prix Nobel de physique à François Englert et Peter Higgs en 2013. 

Deux types d’expériences sont menées au CERN, au moyen de deux accélérateurs de particules, le grand collisionneur de hadrons (LHC) et le supersynchroton à protons. Il s’agira d’explorer les propriétés et les interactions du Boson de Higgs, notamment en observant ce qu’il se passe lorsque cette particule élémentaire interagit avec les autres particules que l’on connait déjà, mais aussi avec celles qui sont encore inconnues. Le Boson H pourrait être cet « ami en commun »,  jouant le rôle du messager indispensable pour ouvrir la porte d’un nouveau monde. « Le Boson H pourrait agir comme un portail vers une réalité différente. », explique le Pr Maltoni.  L’exploration de cette hypothèse pourrait potentiellement faire la lumière sur les mystères de l’origine de la matière noire et la masse du Neutrino, une autre particule élémentaire du modèle standard. La recherche d’autres particules candidates à la matière noire sera également au programme des expérimentateurs. 
La force du projet ? Mêler aspects théoriques et expérimentaux. Rien qu’à l’UCLouvain, l’équipe est constituée de trois expérimentateurs. Les chercheurs belges ont franchi une étape importante en juin 2018, et cela plus tôt que prévu, en observant le processus de production tth, soit la production d’une paire de quarks top-antitop et une particule H, les deux particules fondamentales les plus massives, lors d’une collision proton-proton au LHC. L’analyse des données qui seront récoltées dans le futur permettront d’étudier de manière détaillée l’interaction entre ces deux particules, et sans doute d’éclaircir bien des mystères sur notre monde et son évolution.

Projet be.h : the H boson gateway to physics beyond the Standard Model

Virus, quand l’alarme retentit

Le Pr Thomas Michiels dirige le laboratoire de virologie fondamentale à l’Institut de Duve (UCLouvain). Le projet Eos qu’il coordonne, lancé en collaboration avec des équipes de l’UGent, l’ULiège, et la KU Leuven, a pour objectif de comprendre comment les virus contournent les défenses immunitaires. Plus particulièrement, ce sont les interactions entre les molécules d’ARN virales et la réponse innée de l’hôte qui intéressent les chercheurs. 

Certains virus ont un génôme ADN et certains virus ont un génôme ARN, mais tous les virus produisent des molécules ARN qui peuvent interférer avec le fonctionnement des cellules et les mécanismes de défense immunitaire. Lorsqu’une cellule détecte l’ARN, elle déduit qu’il y a infection par un virus et enclenche un programme de défense pour se protéger ainsi que les cellules voisines. Mais la détection d’un ARN double brin est extrêmement sensible, des cellules normales produisant aussi une petite quantité d’ARN double brin. Il faut absolument éviter que nos cellules ne détectent cet ARN endogène comme le signal d’une infection virale, sinon elles enclenchent un programme de réponse immune qui, chroniquement, devient catastrophique. Par exemple, certaines personnes synthétisent en permanence de l’interféron, ce qui cause de graves problèmes de développement et des retards mentaux, et mène inéluctablement à une mort prématurée. 

 « Ce qui nous intéresse, ce sont les mécanismes qui font « balance » entre les protéines cellulaires, qui vont faire en sorte que l’on on n’atteigne pas le seuil de détection dans des cellules normales, mais qui font que l’on arrive à détecter l’infection d’un virus quand il y en a une. » explique Thomas Michiels. Les chercheurs ont notamment identifié une enzyme qui déstabilise le gêne double brin endogène pour éviter que la réponse ne se mette en marche, et d’autres senseurs de cet ARN double brin, dont une enzyme qui s’active en cas de production de l’ARN double brin signalant une infection. 

L’une des forces de la collaboration ? La diversité des modèles viraux étudiés ; les flavivirus, comme Zikka ou la Dengue (KU Leuven), l’Hépatite E (UGent), le virus de la grippe et le virus respiratoire syncytial (UGent), ou encore un virus à ADN notoire pour produire de l’ARN double brin reconnu par le système immunitaire (ULiège). À l’UCLouvain, ce sont picornavirus qui occupent les chercheurs. Et plus particulièrement le virus de Theiler, un virus à ARN négatif qui provoque des infections persistantes du système nerveux. Il a la particularité de persister malgré une réponse immunitaire, et produit de petites protéines qui interfèrent avec le fonctionnement des cellules et cette réponse immunitaire innée. « Nous essayons de voir comment notre virus interfère avec ce système immunitaire tout en sachant que le virus agit sur des composants cellulaires qui jouent des rôles critiques dans la régulation du fonctionnement de la cellule. Les virus évoluent à toute vitesse, se répliquent très rapidement et mutent très facilement, pour aller toucher là où ça fait mal. En étudiant comment un virus interfère avec le fonctionnement de la cellule, on arrive souvent à comprendre certains éléments du fonctionnement de la cellule elle-même. » détaille Thomas Michiels.   

Projet : Viral interference with RNA sensing and processing

Un réseau surdoué 

Notre smartphone switche en permanence du wi-fi à la 4G et vice-versa, deux réseaux sans fil dont on ne pourrait plus se passer. Mais à l’ère de l’internet des objets, où de plus en plus de petits dispositifs intelligents se connectent entre-eux et nous connectent au monde, le défi est de concevoir des réseaux sans fil qui proposent des services complémentaires à l’envoi de fichiers, aux communications ou au streaming. Le Pr Luc Vandendorpe, ingénieur électricien à la tête du groupe de recherche Wireless au sein de l’ICTEAM, coordonne le projet MUSE-WINET: MUlti-SErvice Wireless NETworks, qui rassemble des équipes de l’UCLouvain, la KU Leuven, l’UGent et l’ULB pour une période de quatre ans. Son objectif ? Mettre au point un réseau sans fil multi-services, soit surdoué et calqué pour l’ère de l’internet des objets. 
 
« Nous ne cherchons pas à créer ce qui existe déjà comme la 4G ou la 5G, et à l’améliorer. Notre but est de proposer des applications plus personnalisées, compatibles avec les besoins des objets connectés », explique le chercheur. Parmi ces performances, la transmission d’énergie et de data, les communications mais aussi du calcul. Tout ça en même temps ? Pas si vite ! Ces opérations convoitent les mêmes ressources, rendant la compétition féroce. Il y aura donc des sacrifices. Les chercheurs UCLouvain auront pour tâche principale d’évaluer quelles sont les combinaisons atteignables simultanément et où se situent les limites du multi-services. La transmission d’énergie fait partie des nouveaux services proposés par ce réseau. Les signaux radio alimenteraient dans un rayon de quelques mètres des dispositifs peu gourmands en termes de puissance et non-équipés de batteries, comme des capteurs de sécurité mesurant les mouvements au sein d’une foule par exemple. 

Autre service : les opérations de calcul. Se géolocaliser avec un objet de type smartwatch ou smartphone est aujourd’hui possible, mais les opérations calculatoires qui servent à transformer les données dévorent à grandes dents l’autonomie dudit objet. L’équipe du professeur Vandendorpe a imaginé « sous-traiter » ces calculs en local via le point d’accès au réseau, ou la station de base (l’équivalent d’un modem), l’algorithme étant hébergé dans le cloud ou le fog ( alternative permettant une meilleure réactivité). Un prototype de station de base expérimentale est au centre des réflexions pour tester plusieurs méthodes d’infrastructure. Les missions des autres équipes universitaires, aux expertises déjà démontrées aux côtés de l’UCLouvain lors d’un précédent projet de recherche commun, se diviseront entre l’équipement de stations de base d’un grand nombre d’antennes pour la KU Leuven, la conception de nœuds capables de consommer la puissance la plus faible possible pour l’UGent, et les techniques de localisation pour l’ULB. Les 2,4 milliards de smart devices présents sur terre en 2025 se connecteront-ils au réseau multi-services mis au point à l’université ? 

Projet MUSE-WINET - MUlti-SErvice WIreless NETwork

Mieux prévoir la fonte des glaces

Comment prévoir les événements climatiques qui auront lieu dans 10 ans? Hugues Goosse, climatologue et chercheur au Earth and Life Institute (ELI) et au Centre de recherche Georges Lemaitre pour la terre et le climat à l’UCLouvain, dévoile la complexité des mécanismes climatiques, dans lesquels interviennent la dynamique du système naturel, mais aussi la main de l’homme. Le projet Eos qu’il coordonne, PARAMOUR, mené en collaboration avec des équipes de la VUB, l’ULB, la KU Leuven et de l’ULiège, s’intéresse aux changements climatiques spectaculaires qui se sont produits ces dernières dizaines d’années dans les régions polaires et à la prévision des évènements qui auront lieu dans un futur proche. 

Il s’agit de comprendre quel impact ont les interactions entre les éléments de ce milieu polaire - l’océan, les glaces terrestres (calottes glaciaires) et marines (banquise), l’atmosphère -, et de quantifier la contribution de différents mécanismes dans les bouleversements observés. Des modèles climatiques couplés seront mis au point avec l’aide de développeurs pour représenter la dynamique du milieu polaire et les différentes interactions entre tous les éléments. Afin de déterminer les potentielles fluctuations et les indicateurs clés du climat pour les prochaines décennies, des simulations à la fois rétrospectives (1980-2015) et prospectives (2015-2045) vont être réalisées. L’objectif ultime ? Reproduire un modèle incluant les interactions au sein du système glace-océan-atmosphère sur des échelles de temps étendues pour pouvoir effectuer des prévisions sur les prochaines décennies. Mais, comme le rappelle Hugues Goosse, « Avant de pouvoir déterminer le moment où le glacier va s’effondrer, il faut pouvoir comprendre les différents mécanismes qui provoquent les modifications ayant causé la fonte des glaces. » L’équipe de l’UCLouvain va notamment regarder de près l’évolution de l’océan en Antarctique autour du Glacier de Totten, glacier qui a fortement fondu au cours de ces dernières années. 

L’atout de ce projet est sans aucun doute la mise en commun des expertises : l’atmosphère pour l’équipe de l’ULiège, la glace pour les équipes  de la VUB et de l’ULB, les interactions cryosphère-atmosphère pour l’équipe de la KU Leuven et l’océan pour l’équipe de l’UCLouvain. À titre de comparaison ? Un projet classique se concentre généralement sur un seul de ces milieux. Si les collaborations existaient déjà entre les experts, ce projet permet de réunir une masse critique ambitieuse.. 

Projet PARAMOUR : Prévisibilité et variabilité décennale à centennale du climat polaire: le rôle des interactions multi-échelles entre l'atmosphère, l’océan et la cryosphère

 

Eos : ce que les chercheurs en pensent

Souplesse des budgets 
Thomas Michiels loue le programme Eos pour sa souplesse : « Nous pouvons répartir les budgets au fur et à mesure du déroulement du projet, en fonction des besoins, qu’ils soient humains ou matériels. C’est LA révolution. » 

Soutien technique 
« Pour la plupart des projets, les climatologues font tout eux-mêmes, y compris développer les modèles. Pourtant, on a besoin du soutien technique des informaticiens. Ce projet nous permet de nous concentrer sur ce que l’on fait de mieux, la physique, et de bénéficier de l’aide de développeurs  », explique Hugues Goosse.

Durée qui fait sens 
L’autre confort ? La durée du financement. Pour Thomas Michiels, : « 4 ans, ça permet de vraiment se concentrer sur son travail. C’est ce dont on manque le plus en recherche fondamentale ». 

Talents internationaux
Le financement conséquent permet d’engager de jeunes chercheurs prometteurs. Par exemple, dix doctorants et 5 post-doctorants issus de la scène mondiale de la physique vont rejoindre le projet coordonné par Fabio Maltoni. 

Collaborer pour mieux chercher
Les moyens mis à la disposition des chercheurs et le fait qu’il s’agisse d’une collaboration entre plusieurs institutions aux expertises reconnues donnent une réelle opportunité aux équipes belges d’avoir un impact sur la scène internationale dans ce secteur très compétitif. « On ne peut pas lancer ce type de projets sans collaborateurs de la Belgique entière », rappelle le Pr Maltoni.

 

Publié le 20 septembre 2018