Une carte de l'univers sur 13,4 milliards d'années

Simulation effectuée par Christophe Ringeval représentant des cordes cosmiques, traces éventuelles de l’unification des forces dans l’univers primordial. Planck n’a pas repéré de telles traces dans le fonds diffus cosmologique.

La mission Planck a livré ses résultats définitifs, confirmant notamment la justesse des hypothèses formulées par Georges Lemaître. Passage en revue des acquis de la mission et surtout des hypothèses qui demandent encore à être confirmées, avec le Professeur Christophe Ringeval, cosignataire de plusieurs articles présentant ces résultats.  

Le hasard a bien fait les choses : les résultats définitifs de la mission Planck ont été publiés par l’Agence Spatiale Européenne le 17 juillet dernier, jour anniversaire de la naissance du chanoine Georges Lemaître, père avec Alexandre Friedmann du modèle cosmologique standard. Ce modèle est la description effective la plus complète à ce jour de l’univers observable. Lancé par l’ESA (Agence spatiale européenne) en 2009, le satellite Planck avait pour mission de ‘scanner’ l’espace selon 9  fréquences différentes afin d’établir de véritables cartes de l’univers. Christophe Ringeval, Professeur à l’IRMP de l’UCL (Institut de Recherche en Mathématiques et Physique, groupe de cosmologie (CURL) ne peut dissimuler son admiration quand il parle du travail accompli par le satellite : « Nous voyons maintenant l’univers comme nous pouvons voir la Terre sur une carte avec les continents, les océans, les montagnes, etc. »  Avec cependant une différence importante : les cartes terrestres reflètent notre planète à un instant donné. Les cartes livrées par Planck sont des cartes de l’univers entier depuis aujourd’hui jusqu’à une époque très reculée, environ 300.000 ans après le Big Bang, soit il y a près de 13,4 milliards d’années. Un moment charnière dans l’histoire de l’univers puisque celui-ci était auparavant opaque : pas d’étoiles ni de galaxies distinctes mais une soupe très chaude (un plasma) dont la densité empêchait la lumière de s’échapper. Vers 300.000 ans, l’univers s’est trouvé suffisamment refroidi et dilaté, donc moins dense, pour que la lumière se propage enfin hors de la soupe primitive. C’est ce rayonnement fossile, à l’origine chaud, aujourd’hui très froid (2,73 K), souvent appelé CMB (Cosmic Microwave Background), qu’a enregistré le satellite Planck. Les cartes ainsi dressées montrent donc la lumière émise par l’univers quand il avait 300.000 ans, lorsqu’il est devenu transparent. Mais pas seulement : elles montrent aussi  l’interaction de la lumière avec tout ce qui s’est passé dans la suite, c’est-à-dire l’univers en train de se faire jusqu’à aujourd’hui !

« Le modèle de Friedmann-Lemaître fonctionne incroyablement bien, conclut Christophe Ringeval. Il permet d’expliquer l’univers de 300.000 ans à aujourd’hui. On cherche à le mettre en défaut mais rien de significatif n’a été trouvé ! » 

Cordes cosmiques

Il n’est pas possible, ici, de relater tous les enseignements livrés par la Mission Planck. Mais s’ils confirment magistralement les intuitions de Georges Lemaître et de tous ceux qui ont élaboré le modèle du Big-Bang, dont l’existence de la matière et de l’énergie noires même si on n’en connaît toujours pas la nature, elles ouvrent aussi la voie vers des avancées futures sur lesquelles travaillent notamment Christophe Ringeval et son équipe.

« Une part de nos recherches porte sur l’univers primordial, c’est-à-dire sur l’univers bien avant qu’il ne devienne transparent, explique Christophe Ringeval. Donc, a priori, nous ne devrions rien voir avec Planck puisque celui-ci a capté la lumière de l’univers au moment où celui-ci cesse d’être un plasma et devient transparent. Sauf que tout nouveau phénomène dans l’univers primordial peut changer le comportement du plasma et ainsi laisser des traces dans le rayonnement cosmologique ; celui-ci devient donc un outil qui pourrait nous permettre d’en apprendre davantage sur cet univers primordial. Un premier exemple est celui des cordes cosmiques (rien à voir avec la théorie des cordes). Au tout début, les physiciens des particules s’attendent à ce que les forces fondamentales de la Nature (électromagnétisme, force nucléaire forte, interaction faible, gravitation) soient unifiées ; lorsque l’univers se refroidit, ces forces se ‘spécialisent’ en quelque sorte. La séparation de ces forces correspond à un changement de phase, une transition de phase comme lorsque l’eau passe par exemple de l’état solide à l’état liquide. « Il se peut que des défauts apparaissent alors dans la structure de l’univers, explique Christophe Ringeval. Des défauts, appelés cordes cosmiques, qui se présentent sous forme d’objets filiformes dans la structure de l’espace-temps et qui doivent avoir laissé des signatures, des traces additionnelles dans le rayonnement fossile. » Christophe Ringeval a donc mis au point des cartes synthétiques, théoriques, pour savoir à quoi ressembleraient les cartes du fonds diffus si ces objets filiformes étaient présents. Les chercheurs ont donc comparé ces cartes avec celles dressées par Planck. Résultat ? Aucune trace des défauts longilignes ! Mais la signature dépend fortement de l’énergie à laquelle ces objets se forment ; si on ne les a pas trouvés, c’est peut-être parce qu’il faut regarder dans une autre plage d’énergie. « Grâce à Planck  on sait qu’il faut chercher à des énergies plus petites que 1015 GeV. Cela est important à la fois pour la physique des particules et pour les futures missions d’observation du rayonnement fossile. »

Inflation exponentielle

Les cosmologistes pensent aussi que durant sa phase opaque, peu après le Big Bang, l’univers a connu une expansion brutale, rapide,  quasi exponentielle pour tout dire. Mais comment le prouver ? En détectant, par exemple, une particule de Higgs. Pas celle qui a été détectée par le LHC du CERN en 2012. Mais une autre. Selon la théorie en effet, il peut y avoir eu une phase d’expansion très rapide, brève, si l’univers est dominé à ce moment par une particule de Higgs dans un certain état. « A chaque unification d’interactions fondamentales correspond une particule de Higgs associée. Celle qui a été découverte récemment correspond à l’unification de la force électromagnétique avec l’interaction faible. Il doit donc y avoir une particule correspondant à l’unification des trois forces fondamentales, donc qui correspond à une énergie beaucoup plus grande. » Inutile donc d’espérer la repérer sur Terre : nos accélérateurs de particules n’atteindront jamais de telles énergies. C’est alors  à l’univers primordial de jouer en quelque sorte le rôle d’accélérateur et au CMB le rôle de détecteur pour y parvenir. Même si Planck n’a pas permis de déceler univoquement ce nouveau champ de Higgs,  il a fournit des indices concordants sur l’existence de l’inflation exponentielle qui en découle.

Premier indice : la forme de l’univers. Le modèle standard de Friedmann-Lemaître ne permet pas de déterminer cette forme, ou plutôt, il en permet trois : sphérique, plat ou en forme de selle de cheval. Mais la théorie de l’inflation exponentielle prédit un univers plat. « Et c’est ce que Planck a mesuré, confirme Christophe Ringeval : nous vivons dans un univers très plat, ce qui est une conséquence naturelle de l’inflation exponentielle. » Deuxième indice : la carte du CMB livrée par Planck laisse apparaître des petits grumeaux, embryons des futures galaxies, ce qu’on appelle les anisotropies du rayonnement fossile. Planck a montré que ces anisotropies ne sont pas toutes identiques, et la manière dont elles diffèrent va aussi dans le sens d’une expansion quasi exponentielle.

Dernier indice ? Planck a testé de manière spectaculaire s’il pouvait y avoir eu dans le plasma des densités initiales différentes entre les espèces de particules. Autrement dit une surdensité de photons à un endroit, de quarks à un autre par exemple. La réponse est  non : toutes les particules naissent avec la même surdensité relative en tous les endroits de l’univers. Une observation qui cadre avec le fait que tout vient d’une particule unique, la même qui aurait généré l’inflation.

« Mais tous ces indices ne suffisent pas, confirme Christophe Ringeval. C’est comme dans une enquête policière, on ne peut se contenter d’indices, il faut une preuve ! Et celle-ci pourrait bien être la détection d’ondes gravitationnelles. L’inflation brutale qu’a connu l’univers doit en effet avoir généré de telles ondes, des petites fluctuations de l’espace-temps qui se propagent et devraient être encore visibles dans le rayonnement fossile. » Mais comment les détecter ? Grâce au phénomène de polarisation de la lumière : la lumière du fonds diffus est en effet polarisée et on sait que les ondes gravitationnelles agissent sur la génération d’un des deux modes de polarisation de la lumière. Il faudrait donc parvenir à repérer cette action sur la lumière. Mais même s’il a dressé deux cartes de polarisation du CMB, Planck n’était pas outillé pour une telle découverte et il doit passer le relais à des missions futures, notamment à la mission japonaise LiteBird et à des réseaux de détecteurs américains au sol. L’Europe n’est pas en reste, le financement d’un nouveau satellite pour la polarisation, CORE, est en discussion et la mission spatiale LISA de détection directe d’ondes gravitationnelles fait son chemin. « C’est une partie de mes recherches, s’enthousiasme Christophe Ringeval : créer des ‘template’, des cartes théoriques qui indiquent ce que les instruments de mesure devraient ‘voir’ si nos théories sont correctes. » De quoi attendre les futures missions avec impatience.

Coup d'oeil sur la bio de Christophe Ringeval

2016- : Professeur à l’UCL, CP3 (Center for Cosmology, Particle Physics and Phenomenology).
2006-2016 : Chargé de cours à l’UCL (CP3).
2004-2006 : Chercheur post-doctorant au Imperial College London (Groupe de physique théorique).
2002-2004 : Chercheur post-doctorant à l’Université de Genève (Département de physique théorique).
1999-2002 : Assistant, Université de Paris XI.
1999-2002 : Doctorat en sciences (Institut d’Astrophysique de Paris et Université de Paris VI).
1997-1998 : DEA Université de Paris VI.
1997 : Diplômé en physique de l’Université de Toulouse III.

Publié le 05 septembre 2018