Travailler dans le monde fascinant du spatial, Michael Saint-Guillain, assistant de recherche en ingénierie informatique à l’ICTEAM de l’UCLouvain, n’y pensait pas. Et pourtant, en 2018, alors doctorant, il participe à “UCL to Mars”, une expédition scientifique unique de simulation de séjour sur Mars. C’est cette expérience qui l’a convaincu d’étudier l’intelligence artificielle dans le domaine du spatial...
La Planète rouge fascine l’Homme depuis toujours. Fortement ressemblante à la Terre, Mars est une candidate de premier plan pour des études comparatives, des recherches sur la présence de vie et une éventuelle colonisation. Elon Musk, CEO de SpaceX, prévoit d’envoyer des êtres humains sur Mars dès 2024. Pour que cette science-fiction devienne réalité, d’innombrables scientifiques travaillent sur le sujet. Parmi eux, Michael Saint-Guillain, assistant de recherche en ingénierie informatique à l’UCLouvain. En septembre dernier, il a défendu sa thèse de doctorat à propos de la gestion des tournées de véhicules sous incertitude. Comment peut-on optimiser les déplacements de patrouilles de police, par exemple ? Rien à voir, à première vue, avec l’espace...
“UCL to Mars”, c’est quoi ?
C’est en mai 2017 que ses recherches prennent un tournant inattendu : “J’ai répondu à l’appel à candidature pour participer à l’équipage ‘UCL to Mars’ de 2018”, lance le jeune chercheur. Le principe ? Depuis 2008, des équipes composées de doctorants et d’étudiants de l’UCLouvain participent au programme de simulation de séjour sur Mars, basé à la Mars Desert Research Station dans le désert de l’Utah. Ils y mènent des expériences scientifiques et effectuent des travaux géologiques sur le terrain, afin d’optimiser une future mission habitée sur Mars. La station, ainsi que la Mars Society, fournissent une infrastructure scientifique unique avec un ensemble de contraintes similaires à celles de Mars : espaces confinés, expéditions en combinaisons spatiales, nourriture lyophilisée, etc.
L’expédition martienne 2018
Michael Saint-Guillain faisait partie de l’expédition 2018 avec 7 autres étudiants et chercheurs de l’UCLouvain. “Chacun a proposé un projet personnel de recherche qu’il voulait mener sur place pendant les deux semaines de simulation”, explique le chercheur. Analyse chimique du terrain, cartographie du site par drone, compréhension de la physique des particules, etc. Le projet de Michael Saint-Guillain était particulier car transdisciplinaire : “Mon travail consistait à modéliser les projets des autres participants comme des problèmes d’ordonnancement de tâches sous incertitude, afin de maximiser la probabilité que ces tâches soient réalisées dans les temps”, détaille-t-il. Il s’agit donc d’une analyse mathématique opérationnelle de toutes les expériences avec un objectif : maximiser les chances de réussite de la mission, tout en prenant en compte les ressources, contraintes et incertitudes rencontrées par les membres de l’équipage.
En quête du planning le plus fiable
En mars 2018, durant deux semaines, 8 membres de l’UCLouvain se sont donc rendus dans le désert de l’Utah pour réaliser leurs expériences. Au total, au sein de l’équipe, 230 tâches étaient prévues. “Je devais trouver le meilleur planning possible pour combiner l’ensemble de ces tâches, en tenant compte de toutes les contraintes. Par exemple, pour un prélèvement de sol, il faut être minimum 3 et maximum 5 pour sortir de la base. Cela doit coïncider avec les moments libres des autres scientifiques. Il en va de même pour le matériel qui ne doit pas être utilisé en même temps par plusieurs chercheurs.” Pour coller à la réalité de l’espace, Michael Saint-Guillain ajoute à cette optimisation le facteur “incertitude” : quel est le planning le plus fiable, qui maximise la probabilité que tout se passe pour le mieux malgré l’incertitude ? Pour Mars, par exemple, cette incertitude s’illustre par la fenêtre de communication bien précise entre la sonde et la Terre. Si l’information n’est pas communiquée à ce moment-là, l’équipage ne peut établir une nouvelle communication que le lendemain. Or, une journée sur Mars coûte extrêmement cher. Quelles tâches pourrait réaliser un équipage en attendant la prochaine fenêtre de communication ?
Modèles déterministes vs. modèles probabilistes
“Grâce à UCL to Mars, j’ai pu appliquer les résultats théoriques de ma thèse au contexte d’une expédition spatiale”, s’enthousiasme le chercheur. Après cette récolte d’informations sur le terrain et la poursuite de ses expériences, Michael Saint-Guillain a récemment publié ses résultats. Dans l’article scientifique, il compare les modèles déterministes et les modèles probabilistes pour la planification des tâches. Le contexte d’une mission spatiale est particulier car les opérations doivent être planifiées plusieurs jours à l’avance, et la complexité des chaînes de décisions ainsi que les délais de communication ne permettent pas de replanifier en dernière minute. Il ressort de cet article que, même lorsque les distributions de probabilités fournies sont de très mauvaise qualité, les solutions obtenues grâce au modèle probabiliste surpassent largement celles obtenues avec un modèle déterministe. Autrement dit, même dans un contexte où les durées des tâches sont globalement surestimées, la fiabilité des solutions peut être multipliée en moyenne par trois avec le modèle probabiliste. L’enchaînement des tâches réussit dans 95% des cas avec le modèle probabiliste, contre un taux de réussite de 30% avec les modèles déterministes. “Cela vaut donc la peine de tenir compte de l’incertitude dans le contexte d’une mission spatiale”, conclut-il.
Tout l’intérêt de l’intelligence artificielle
Plus globalement, ce premier article a permis au chercheur de prouver combien l’intelligence artificielle avait un intérêt dans l’espace. La sonde Voyager 2, envoyée à la fin des années 80 de la Terre au système solaire, est le meilleur exemple : “Au total, 175 expériences étaient prévues”, explique Michael Saint-Guillain, “Pour chaque expérience, il faut que la sonde soit dans une position bien particulière. Pour chaque mesure, il y a des contraintes énergétiques. L’ordonnancement de toutes ces tâches a occupé une trentaine d’ingénieurs spécialistes à temps plein pendant six mois...” L’outil informatique modélisé par l’ingénieur informaticien requiert quant à lui bien moins de ressources.
Et demain ?
“Pour le moment, les astronautes ne décident rien quand ils partent en mission”, explique Michael Saint-Guillain, “Ce serait trop dangereux et cela coûterait trop cher. Ils exécutent ce que des centaines de personnes sur Terre prennent le soin de décider pour eux. Pour les missions sur la Lune ou dans la Station spatiale internationale, la communication ne prend pas plus d’une seconde, donc cette organisation est possible. Mais sur Mars, il n’y a actuellement que deux fenêtres de communication par jour d’environ 10 minutes. Et le message prend 15 minutes pour arriver sur Terre et 15 minutes pour retourner sur Mars. En cas d’imprévu, les astronautes qui iront sur Mars devront donc prendre des décisions eux-mêmes. L’intelligence artificielle viendra alors en support à ces astronautes. Grâce à une immense base de données, couplée à de puissants algorithmes de résolution de problèmes, elle suggérera des alternatives ou des décisions aux astronautes.”
Une expérience extrêmement riche
Ces perspectives de révolution d’exploration spatiale sont excitantes, tout comme le fut le changement de sujet d’étude de Michael Saint-Guillain. “Aller dans le désert de l’Utah grâce à ‘UCL to Mars’ m’a apporté énormément. Cette initiative étudiante a complètement influencé et transformé ma carrière. Pour moi, la thèse n’est pas une finalité en soi. C’est une formation, une recherche de voie. Grâce à ‘UCL to Mars’, j’ai pu me diriger vers un domaine qui me passionne tout en valorisant mes recherches”, se réjouit le chercheur. L’équipage 2020 vient d’être formé en juin 2019. Le prochain appel à candidature sera en mai-juin 2020, pour tenter de faire partie de l’équipage 2021. A bon entendeur !
Lauranne Garitte
Coup d’œil sur la bio de Michael Saint-Guilain
Michael Saint-Guillain a obtenu sa thèse de doctorat en sciences informatiques en 2019 à l’UCLouvain (Belgique), en co-tutelle internationale avec l’INSA-Lyon (France). D’abord sous la thématique des problèmes dynamiques et stochastiques de tournées de véhicules, son intérêt s’est rapidement étendu à la gestion des opérations et la prise de décision sous incertitude en général. Il travaille actuellement sur l’application de modèles probabilistes pour la planification robuste d’opérations, dans l’industrie de la production en biotechnologie, ainsi que pour l’exploration spatiale. |