Les armes secrètes de S. salivarius

Streptococcus salivarius est une bactérie qui vit pacifiquement dans notre tube digestif. Une équipe de chercheurs de l’UCL a mis en évidence les mécanismes de communication et d’attaque qui lui permettent de lutter contre d’autres bactéries avec lesquelles elle est en concurrence… et qui sont parfois néfastes pour nous.

Du point de vue du nombre, le corps humain compte dix fois plus de bactéries et champignons que de cellules ! Notre tube digestif abrite ainsi plus de 700 espèces différentes de bactéries et de champignons. Leurs principales fonctions : nous aider à digérer et nous protéger contre la prolifération des « méchantes » bactéries, celles qui, comme la salmonelle ou la listeria, peuvent nous rendre malades. « La flore intestinale est un écosystème où la compétition pour la place et la nourriture est rude ! », explique le Dr Johann Mignolet, chercheur à l’Institute of Life Sciences, dans le laboratoire du Pr Pascal Hols. « Dans cet environnement très compétitif, le comportement de Streptococcus salivarius s’avère particulièrement intéressant… »

Un « gentil » streptocoque

La famille de streptocoques compte plusieurs « méchantes » espèces. Streptococcus mutans est responsable des caries, S. pneumoniae provoque certaines pneumonies, S. pyogenes la scarlatine, etc. « S. salivarius, par contre, est ce qu’on appelle une bonne bactérie », explique le Dr Mignolet. « Elle est notamment utilisée comme probiotique. Elle est particulièrement abondante dans la flore buccale et également dans l’intestin. »  
Si elle est bénéfique pour les êtres humains, S. salivarius n’est pas tendre avec les autres espèces de bactéries ! « Non seulement elle peut les tuer à l’aide de bactériocines, mais elle peut aussi capter, absorber une partie du matériel génétique (ADN) de ses “victimes” et de modifier son propre génome, quand elle y trouve quelque chose d’intéressant pour elle – un nouveau mécanisme de défense, par exemple. Un peu comme une tribu de cannibales qui mangeraient le cœur ou le cerveau de leurs adversaires pour s’approprier leurs “pouvoirs” ! » 

Communiquer pour attaquer

S. salivarius possède un système de communication : des sortes de phéromones (ComS) qui lui permettent d’échanger des informations sur l’état de ses congénères et, le cas échéant, de coordonner des attaques contre les autres espèces. En effet, plus il y a de S . salivarius dans les environs, plus il y a de ComS. « A partir d’un certain niveau de ComS, la communauté des S. salivarius le ressent comme un stress et active un facteur de transcription, ComR. Ce régulateur enclenche en même temps les 2 mécanismes évoqués plus haut : la libération de bactériocines et la capture de l’ADN des bactéries ainsi tuées. Ces 2 mécanismes existent chez d’autres espèces, mais la particularité de S. salivarius est qu’ils sont enclenchés de manière simultanée. » (1)

Une bactérie « antibiotique » ?

Ce n’est pas tout ! Les chercheurs ont également découvert que le pouvoir antibiotique de S. salivarius va au-delà de ses « cousins » streptocoques. « En général, les bactériocines d’une bactérie sont dirigées contre une gamme spécifique de cibles, souvent des espèces de la même famille », explique le Dr Mignolet. « Or, nous avons découvert que les bactériocines de S. salivarius peuvent tuer des staphylocoques dorés, des listéria et même certains entérocoques. Autant de bactéries pathogènes qui résistent de plus en plus aux traitements antibiotiques. » 
Ces résultats doivent être confirmés et affinés, mais ils ouvrent des perspectives intéressantes pour lutter contre certaines bactéries multi-résistantes. « Nous pourrions administrer ComS (les “phéromones”) via l’alimentation afin d’induire la réponse de S. salivarius, indépendamment des populations bactériennes effectivement en présence. Ou alors nous pourrions isoler et produire ses bactériocines pour lutter contre d’autres bactéries néfastes pour nous. » (2) Et ajouter ainsi une arme supplémentaire à notre arsenal antibiotique.

Candice Leblanc

(1) Mignolet J. et al., « Circuitry rewiring directly couples competence to predation in the gut dweller Streptococcus salivarius » in Cell Reports, février 2018. 
(2) Le laboratoire du Pr Hols poursuit ses recherches en collaboration avec la société Syngulon où travaille actuellement le Dr Mignolet. La spécialité de cette start-up est l’utilisation des bactériocines à des fins biotechnologiques et biomédicales. 

Coup d'oeil sur la bio de Johann Mignolet


J.Mignolet et Pr Hols
 

2004                Maîtrise en biologie à l’Université de Namur
2009                Doctorat en biologie moléculaire à l’Université de Namur
2009-10          Chercheur postdoctoral à l’ULB (Pr C. Van Lint)
2010-13          Chercheur postdoctoral à l’Université de Genève (Pr P. Viollier)
2013-16          Chercheur postdoctoral à l’UCL (Pr P. Hols) 
Depuis 2017   Chercheur chez Syngulon

Les recherches du Dr Mignolet ont été principalement financées par le FNRS, le programme IUAP-BELSPO et l’UCL.

Publié le 20 mars 2018